Le premier ministre Benyamin Netanyahu pensait qu’en l’assassinant, il pourrait revendiquer une victoire là où les forces d’occupation ont échoué. Il visait à briser la détermination du Hamas et à perturber sa cohésion politique et organisationnelle, estimant que l’assassinat aggrave les pressions sur le successeur de Haniyeh pour qu’il soit plus flexible dans les négociations sur la libération des otages israéliens. Mais le résultat était l’émergence d’un dirigeant réputé plus ferme et plus résolu, un chef de guerre moins enclin au compromis que son prédécesseur.
Selon des responsables arabes et du Hamas informés, lorsque des membres du groupe palestinien se sont réunis pour choisir le successeur de Haniyeh, Sinwar a interrompu les discussions par une lettre : le nouveau dirigeant doit être un proche de l’Iran. Et c’est là que se situe la seconde conséquence du meurtre de Haniyeh : la nomination de Sinwar, qu’Israël a juré de tuer, se traduirait par le renforcement des relations avec l’Iran et la consolidation de son influence sur le Hamas. La République islamique, l’ennemi juré d’Israël au Moyen-Orient, est le principal bailleur de fonds du groupe palestinien avec au moins 100 millions de dollars d’aide par an. Téhéran apporte également au Hamas une formation militaire, des armes et un soutien stratégique et surtout la fourniture de technologies de roquettes. Cette aide a accru les capacités opérationnelles du Hamas, permettant le développement d’un arsenal de roquettes plus sophistiqué et de plus grande portée. En 2021, après qu’un cessez-le-feu a été conclu pour mettre fin à l’opération Seif Al-Qods de 11 jours et aux affrontements avec l’armée d’occupation israélienne dans la bande de Gaza, Sinwar a déclaré que le Hamas était reconnaissant envers l’Iran pour avoir fourni de l’argent, des armes et de l’expertise.
La stratégie de Téhéran
L’implication de l’Iran avec le Hamas fait partie d’un partenariat stratégique visant à étendre son influence au Moyen-Orient et à combattre et affaiblir l’Etat hébreu. Son alliance stratégique avec le groupe palestinien, au même titre que celles nouées avec d’autres acteurs régionaux non étatiques : le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen et des milices chiites en Iraq, sert de contrepoids à ses capacités militaires conventionnelles relativement limitées, constituant un élément-clé de sa politique étrangère. Les relations avec ces groupes régionaux, que Téhéran a qualifiés d’« axe de la résistance », sont gérées par le Corps des Gardiens de la Révolution islamique, le service de sécurité paramilitaire qui ne répond qu’au guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei.
Emergeant lors de la première Intifada, le soulèvement palestinien de 1987, le Hamas a noué des liens avec l’Iran au début des années 1990. Malgré des différences idéologiques et doctrinaires — le groupe islamiste palestinien est sunnite, tandis que l’Iran est un régime chiite — ils ont trouvé un terrain d’entente dans leur opposition à Israël et une vision commune de la libération de la Palestine.
Le soutien apporté par l’Iran a modifié l’équilibre dans le conflit entre le Hamas et Israël, démontrant son rôle influent dans la dynamique du pouvoir régional. L’alliance entre Téhéran et le Hamas a cependant fluctué. En 2012, les divergences sur la guerre civile en Syrie ont provoqué une rupture dans leurs relations. Le soutien tacite du Hamas aux rebelles sunnites syriens était en contradiction avec l’appui de l’Iran au régime de Bachar Al-Assad, ce qui a conduit à un retrait du soutien iranien. Cette rupture n’était toutefois que temporaire. Au cours des années suivantes, les relations entre l’Iran et le Hamas ont été rétablies et renforcées, comme en témoigne la reprise par l’Iran d’une aide militaire substantielle. La planification et l’exécution sophistiquées de l’attaque du 7 octobre contre Israël ont montré comment le Hamas a pu améliorer sa capacité militaire avec l’aide de l’Iran.
Les rapports entre Téhéran et ses alliés régionaux, dont le Hamas, sont conçus pour servir d’équilibre contre l’influence à la fois des Etats-Unis au Moyen-Orient et celle de leurs alliés régionaux, y compris Israël. Bien que fondées sur des objectifs politiques partagés, ces alliances permettent des degrés d’autonomie variables. L’Iran fournit des ressources et une coordination, mais chaque groupe garde son propre programme et sa base de soutien locale, fonctionnant davantage comme des partenaires que comme des mandataires.
C’est ainsi que le Hamas maintient une marge d’indépendance politique et stratégique par rapport à Téhéran, se concentrant principalement sur les intérêts de sa population, portant sur l’établissement d’un Etat palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale. Cette dynamique reflète la stratégie régionale de l’Iran qui se fonde sur deux piliers : profiter de ses partenariats avec des acteurs non étatiques pour étendre son influence au Moyen-Orient. En contrepartie, il accorde aux groupes alliés l’autonomie nécessaire pour poursuivre leurs programmes politiques spécifiques.
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