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La nouvelle stratégie régionale d’Israël

Mercredi, 07 août 2024

L’assassinat du chef politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, le 31 juillet, a plongé le Moyen-Orient dans une nouvelle crise aux conséquences incalculables et a entamé les espoirs déjà minces d’une fin prochaine de la guerre entre Israël et le groupe palestinien qui dirige la bande de Gaza.

Haniyeh n’était pas en charge des combats dans l’enclave palestinienne — qui sont du ressort du commandant militaire Yahya Sinwar — mais en tant que dirigeant du Hamas en exil, il était un interlocuteur-clé dans les négociations menées par les médiateurs, l’Egypte, le Qatar et les Etats-Unis, en vue de parvenir à un cessez-le-feu permettant de libérer les captifs israéliens en échange de milliers de prisonniers palestiniens.

Son élimination par Israël compliquera sans doute les pourparlers de médiation. Partisan de compromis, il avait joué un rôle déterminant dans la progression des négociations et dans l’obtention de certaines avancées. Le premier ministre du Qatar, Mohammed bin Abdulrahman Al Thani, médiateur essentiel dans les pourparlers entre Israël et le Hamas, s’est justement demandé sur X : « Comment la médiation peut-elle réussir lorsqu’une partie assassine le négociateur de l’autre côté ? ». Le Qatar, qui a aidé, avec l’Egypte, à libérer certains des otages israéliens, a abrité le dirigeant du Hamas avant sa mort, et le bureau politique du groupe est basé dans sa capitale Doha depuis 2012.

Sur un autre plan, le meurtre de Haniyeh — couplé à l’élimination par Israël quelques heures auparavant de Fouad Shukr, un haut commandant du Hezbollah libanais, qu’il a blâmé pour une attaque meurtrière contre les hauteurs du Golan occupées — jette une ombre inquiétante sur les efforts de désescalade entre Israël et ses ennemis dans la région, principalement l’Iran et ses alliés, le groupe chiite au Liban et les Houthis au Yémen.

L’élimination du chef politique du Hamas pose des questions sur les objectifs du premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, que de nombreux observateurs — y compris les familles des otages — ont accusé de bloquer délibérément les négociations et de faire traîner la guerre pour sauvegarder sa propre survie politique. La fin des combats à Gaza mettra probablement terme à sa carrière politique, car elle provoquera l’effondrement de son gouvernement de coalition d’extrême droite et déclenchera des élections anticipées. L’assassinat de Haniyeh accorderait à Netanyahu, dont la popularité est au plus bas, plusieurs semaines, voire des mois de blocage de négociations, au cours desquels il n’y aura aucune attente sérieuse d’un accord de cessez-le-feu.

L’assassinat de Haniyeh — de surcroît à Téhéran, la capitale de l’ennemi juré d’Israël — et de Shukr à Beyrouth, ainsi que la frappe aérienne, le mois dernier, contre le port yéménite d’Al-Hodeïda sur la mer Rouge participent ensemble à la même stratégie suivie par Netanyahu, visant à rétablir la projection de puissance d’Israël, sa force de dissuasion régionale et sa réputation de puissance militaire majeure au Moyen-Orient, après les revers subis sur les plans militaire, sécuritaire et politique depuis le 7 octobre. La liste est longue.

Pour commencer, l’attaque menée par le Hamas ce jour-là a été considérée par les Israéliens et les experts en sécurité comme un échec majeur des services de renseignement israéliens. Mais après 10 mois de bombardement et de destruction massive de la bande de Gaza sans atteindre ses objectifs de guerre d’éliminer le Hamas et de récupérer les 111 otages restants, après avoir été humilié par les tirs quotidiens du Hezbollah qui ont conduit Tel-Aviv à évacuer des dizaines de milliers d’habitants du nord du pays et à créer une zone tampon de facto à l’intérieur du territoire israélien, et après avoir été reconnu coupable de violation des traités relatifs aux droits de l’homme dans une décision consultative de la Cour Internationale de Justice (CIJ) et avoir vu ses dirigeants faire face à d’éventuels mandats d’arrêt de la Cour Pénale Internationale (CPI), Netanyahu a choisi d’agir en dehors de Gaza en vue d’obtenir des victoires tactiques contre ce qu’il appelle « l’Axe du mal » dirigé par l’Iran, qui comporte notamment le Hezbollah et les Houthis. L’objectif de Netanyahu est d’utiliser ces frappes réussies pour construire un récit de victoire qui pacifie l’extrême droite sur laquelle il compte pour rester au pouvoir, mais aussi pour rallier au moins une partie de l’opinion publique et restaurer la confiance de nombreux Israéliens dans leur appareil de sécurité et de renseignement. Tout en profitant des vacances de trois mois de la Knesset qui ont débuté le 24 juillet, au cours desquelles les législateurs ne peuvent pas renverser le gouvernement, son maintien au pouvoir est donc pratiquement assuré.

Pour Netanyahu, cette stratégie d’attaques à l’extérieur d’Israël contre ses ennemis jurés régionaux réduirait et, dans une grande mesure, les malheurs nationaux et internationaux auxquels il est confronté, lui permettant de continuer à mener une guerre sans fin et sans stratégie de sortie aussi longtemps qu’il en aura besoin pour rester au pouvoir. Il pourra ainsi se vanter, auprès de son public, d’avoir réalisé des gains majeurs non seulement contre le Hamas, mais aussi contre l’Iran, masquant de ce fait ses faiblesses à l’intérieur et à l’extérieur d’Israël. En dépit de ces réalisations tactiques, qui pourraient d’ailleurs avoir des conséquences négatives sur Israël même et la région, il est moins clair comment Netanyahu tirera parti de ce qu’il considère comme un avantage stratégique majeur pour régler le coeur du problème, le conflit à Gaza, qui reste entier.

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