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Pour ou contre la loi sur les manifestations ?

Lundi, 02 décembre 2013

La loi sur les manifestations et les rassemblements, promulguée le 24 novembre par le président intérimaire, Adly Mansour, n’en finit pas de faire des remous, aussi bien parmi les jeunes révolutionnaires, les partis libéraux et les associations de défense des droits de l’homme qu’au sein du gouvernement.

A peine adoptée, la loi a été immédiatement dénoncée et défiée par les groupes révolutionnaires, fer de lance du soulèvement populaire du 25 janvier 2011, qui a renversé le président Hosni Moubarak. Ces mouvements pro-démocratie étaient également en première ligne de la mobilisation populaire massive du 30 juin, qui a eu raison du régime des Frères musulmans. Ils étaient depuis en alliance objective avec le gouvernement de transition dominé par les partis libéraux et séculiers du Front national du salut, principal bloc d’opposition aux Frères musulmans, jusqu’à leur chute le 3 juillet. La controverse suscitée par l’adoption de la loi a été la première cassure dans cette alliance et dans le soutien apporté par les groupes et les partis libéraux au gouvernement intérimaire.

Initialement introduite pour réguler le droit de manifester, la loi a été particulièrement attaquée pour les restrictions qu’elle impose à l’exercice de ce droit et les fortes sanctions qu’elle prévoit à ses contrevenants. Les jeunes révolutionnaires relèvent notamment la contradiction dans l’imposition de ces restrictions par un gouvernement qui a été investi justement grâce à des manifestations populaires, celles du 30 juin et des jours suivants. Les critiques s’adressent aussi à la date choisie pour l’adoption de la loi. Plusieurs forces libérales, qui forment l’ossature de l’équipe gouvernementale actuelle, préféraient que cette loi soit l’oeuvre d’un gouvernement élu, celui qui sortira des prochaines législatives prévues au printemps 2014, après l’adoption d’une nouvelle Constitution, et non d’un gouvernement de transition.

La férocité de la réaction des jeunes révolutionnaires, qui ont juré de faire tomber la loi, s’explique par leurs craintes que leur tour dans la répression viendra après celui des Frères musulmans, à qui s’adressait la loi en premier lieu. Ils fustigent volontiers, soutenus par des partis libéraux qui partagent les mêmes craintes, une loi qu’ils considèrent comme traduisant la volonté du ministère de l’Intérieur et des services de sécurité d’en finir avec les protestataires et de revenir aux anciennes méthodes répressives du régime Moubarak. Pour eux, les services de sécurité veulent ainsi prendre leur revanche sur les groupes révolutionnaires, profitant du contexte politique actuel en faveur de la répression, soutenue par une majorité de la population, des Frères musulmans.

Le gouvernement, lui, semble, malgré l’adoption de la loi, toujours divisé sur son opportunité. Le vice-premier ministre, Ziad Bahaeddine, un des poids lourds du gouvernement, a publiquement exprimé le 30 novembre ses réserves sur son contenu, la manière de son élaboration et le moment choisi pour sa promulgation, et il a appelé à son amendement. Bahaeddine représente un courant à l’intérieur du gouvernement contre l’imposition de restrictions sur l’exercice des libertés fondamentales et surtout contre leurs conséquences prévisibles qui se traduiraient par l’affaiblissement des forces libérales, qui tiennent les rênes du gouvernement, en raison de l’aliénation des mouvements révolutionnaires, à l’approche des élections législatives et présidentielles.

L’autre courant, qui semble majoritaire, au sein du gouvernement voit au contraire qu’en cette période de crise politique aiguë, l’Etat a besoin d’une loi ferme sur les manifestations pour contrer la stratégie des Frères musulmans, basée sur l’organisation de manifestations de protestation en permanence, de nature à désorganiser la vie des citoyens, entraver l’activité économique, rebuter les investisseurs locaux et internationaux, et empêcher la reprise du tourisme, dans le but ultime de mettre le gouvernement en échec. Ce courant croit que cette loi est nécessaire pour rétablir l’autorité de l’Etat et pour aider à faire sortir la société de la crise politique et économique dont elle est empêtrée depuis 2011. Pour lui, la loi est un mal nécessaire pour faire face à des dangers plus graves (les Frères musulmans, la crise économique) qui, s’ils ne sont pas fermement affrontés, risquent d’être fatals pour l’avenir du pays. Ce courant a été particulièrement sensible aux accusations adressées par des forces politiques et des médias au gouvernement d’être indécis et hésitant face à la crise multiforme du pays.

La loi sur les manifestations semble, somme toute, avoir fait plus du tort au gouvernement que le contraire à un moment charnière du processus de transition. Les partis libéraux qui dominent l’équipe gouvernementale, mais qui souffrent d’un faible soutien populaire, auront besoin d’élargir leur base électorale à l’approche d’échéances cruciales, à commencer par le référendum sur la nouvelle Constitution qui doit, si elle est approuvée, ouvrir la voie à la tenue d’élections législatives et présidentielles. Dans ce contexte, les protestations des révolutionnaires apporteraient de l’eau au moulin des Frères musulmans et des islamistes en général sur le caractère autoritaire et antidémocratique du gouvernement actuel et des libéraux. La confrérie n’a d’ailleurs pas manqué l’occasion pour dénoncer le gouvernement, la police et l’armée.

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