Dernier mot : Mahfouz poète
Mercredi, 06 septembre 2023
Le défunt poète anglais Ted Hughes, qui portait le surnom de prince des poètes de la Grande-Bretagne, m’a une fois dit qu’il admirait le contenu poétique présent dans les romans de notre grand écrivain Naguib Mahfouz, décédé le 30 août 2006.
Hughes avait dit en plaisantant : « Je suis presque sûr que c’est un poète caché ! ». Je pensais qu’il parlait des quelques vers de poésie que les héros de Mahfouz prononçaient dans ses romans, comme dans celui d’Al-Chahat (le mendiant). Mais Hughes voulait dire qu’il y avait une dimension poétique dans les romans de Mahfouz bien qu’il ait été d’accord avec moi sur le fait que ses romans sont réalistes. J’ai transmis cette remarque à Mahfouz qui a répondu : « J’adore la poésie et j’ai essayé d’écrire des poèmes quand j’étais adolescent. Quand j’étais en première année secondaire, j’ai rempli un cahier entier de poèmes que j’ai composés. Et même quand je lisais n’importe quel livre, même celui de grammaire Al-Kamel d’Al-Mobared, qui citait des vers de poésie, je les recopiais dans un cahier rempli de poèmes de tous les anciens grands poètes arabes. J’ai aussi aimé la poésie de Baudelaire. Quant à la poésie de Galal Al-Roumi, je la connaissais par coeur et il en est de même pour les Robaïyat de Omar Al-Khayam. Je faisais également la comparaison entre les traductions d’Ahmad Rami et de Sébaï. Je trouvais alors que celles de Rami étaient plus précises, mais celles de Sébaï plus belles. Quant à mes romans, j’essaye d’y transmettre la réalité égyptienne comme je la vois, et la réalité égyptienne n’est pas seulement une réalité sociale. Car le côté spirituel est une composante essentielle de la personnalité égyptienne. C’est l’Ancien Egyptien qui a inventé la religion avant que l’humanité ne connaisse les religions célestes, poussé par le sentiment spirituel sans lequel sa vie serait vide et sans sens. La spiritualité continue jusqu’à aujourd’hui à constituer une partie essentielle de la personnalité égyptienne. Comment alors transmettre la réalité en me contentant de photographier la hara (ruelle) avec ses maisons et ses couloirs étroits sans décrire l’âme et les sentiments de ceux qui l’habitent ? C’est ce qui donne à la littérature de façon générale un caractère poétique, mais sans écrire des vers de poésie, la littérature qui n’atteint pas d’une façon ou d’une autre le niveau de la poésie n’est pas de la littérature ».
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