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Litige gazier dans le Golfe

Jeudi, 10 août 2023

La tension monte entre le Koweït et l’Arabie saoudite d’un côté, et l’Iran de l’autre, autour du champ gazier offshore d’Al-Durra, situé au nord-ouest du Golfe.

Le 3 août, Riyad et Koweït ont réitéré leur revendication commune sur les ressources naturelles de leur zone neutre maritime, où se trouve Al-Durra. L’Arabie saoudite, se rangeant du côté du Koweït, a également appelé l’Iran à reprendre les négociations de démarcation de la frontière orientale de la zone neutre. Les deux pays arabes et l’Iran ont un différend qui remonte aux années 1960 sur la propriété du champ d’Al-Durra, que l’Iran appelle Arash et insiste pour y prendre part.

Les réserves de ce champ sont estimées à 220 milliards de m3 de gaz naturel, dont 5,6 milliards pourraient être extraits immédiatement, en plus de 310 millions de barils de pétrole. Ces chiffres sont d’une importance capitale pour le Koweït, dont les réserves de gaz naturel ne dépassent pas 35 milliards de m3. Le champ d’Al-Durra pourrait augmenter les réserves du Koweït de 30 % et réduire drastiquement ses importations gazières. Ceci explique la détermination du Koweït exprimée le 27 juillet par son ministre du Pétrole, Saad Al-Barrak, à commencer le forage et la production dans le champ contesté d’Al-Durra sans attendre la démarcation de sa frontière maritime avec l’Iran. Les deux pays discutent depuis de nombreuses années de leur zone frontalière maritime contestée, riche en gaz naturel, mais n’ont pas réussi à cartographier la démarcation de la frontière et à mettre fin aux différends, y compris lors de leurs dernières négociations en mars.

La récente tension a commencé fin juin, lorsque le directeur général de la Compagnie pétrolière nationale iranienne, Mohsen Khojasteh-Mehr, a déclaré que Téhéran se préparait à commencer le forage dans Al-Durra. Le Koweït a immédiatement réagi en exprimant, le 3 juillet, son rejet de ce qu’il a qualifié de « revendications et mesures iraniennes ». Le lendemain, Riyad a publié une déclaration soutenant le Koweït et affirmant que seuls ce dernier et l’Arabie saoudite ont le droit souverain d’exploiter les ressources de la région neutre qui comprend Al-Durra. L’implication de Riyad dans cette affaire tient non seulement à sa possession conjointe avec le Koweït du champ gazier, mais aussi à sa volonté d’affaiblir la position de Téhéran, avec qui il est en rivalité pour l’influence régionale. C’est pour cette raison qu’il endosse la demande du Koweït de négocier ensemble, comme une seule partie, avec Téhéran le tracé de la frontière orientale d’Al-Durra.

Pour renforcer sa position face à l’Iran, le petit émirat du Koweït s’emploie à profiter de la rivalité saoudo-iranienne et du poids politique de Riyad. Alors que l’Iran insiste sur le fait de négocier uniquement avec le Koweït, invoquant la démarcation de sa frontière maritime avec l’Arabie saoudite en 1968, l’émirat cherche à impliquer le Royaume dans son litige gazier pour corriger l’asymétrie dans ses rapports de force avec l’Iran. A cet effet, le Koweït a signé avec l’Arabie saoudite en décembre 2019 un protocole d’accord prévoyant une coopération commune pour le développement et l’exploitation d’Al-Durra. Les deux pays ont commencé à mettre en oeuvre le protocole d’entente après avoir conclu, le 21 mars 2022, un accord pour commencer les travaux d’exploitation en sélectionnant des sociétés de conseil pour mener les études d’ingénierie nécessaires au développement du champ. Le Koweït a annoncé à l’époque qu’il visait à produire 28,3 millions de m3 de gaz naturel et 84 000 barils de gaz liquéfié par jour. Quelques jours plus tard, le 26 mars, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères a jugé « illégal » l’accord saoudo-koweïtien et a souligné que son pays devrait être associé à toute opération d’exploitation du champ.

Le champ d’Al-Durra n’est pas seulement un litige énergétique entre les deux parties, mais sert également de baromètre pour les relations fraîchement rétablies entre l’Arabie saoudite et l’Iran. En effet, le conflit en cours permettrait de déterminer dans quelle mesure chaque partie est capable de résoudre pacifiquement les problèmes en suspens. La manière dont le litige sera traité indiquera la profondeur et la durabilité du rapprochement entre l’Iran et ses voisins du Golfe. D’une part, elle démontrera dans quelle mesure l’Iran a abandonné son ancienne approche conflictuelle avec ses voisins arabes et a adopté une nouvelle politique de bon voisinage et de résolution pacifique des différends. D’autre part, elle montrera la capacité d’influence de l’Arabie saoudite à trouver un terrain d’entente entre le Koweït et l’Iran.

Il n’est pas encore clair si le différend gazier s’intensifie au-delà de la rhétorique. Mais les tensions sont déjà vives dans le Golfe, où les Etats-Unis renforcent leur puissance militaire en réaction à la saisie illégale de pétroliers et au harcèlement des navires commerciaux par l’Iran. En tout cas, la course à l’exploitation des ressources contestées en hydrocarbures dans le Golfe, si elle n’est pas résolue pacifiquement, pourrait sérieusement compromettre la récente détente régionale.

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