L’importance de la Constitution de 1923 réside dans le fait qu’elle a permis à la population égyptienne de participer à la direction du pays. Les Egyptiens ont de tout temps été éloignés du pouvoir sous les dirigeants successifs venus de l’étranger, des Ptolémées à Mohamad Ali. Ces dirigeants étaient séparés de la foule et ont toujours tenu à éloigner les Egyptiens de la gestion des affaires du pays. Par conséquent, les Egyptiens ont été privés de décider du destin de leur pays. Cette situation a perduré jusqu’à Mohamad Ali, qui avait compris que l’Egypte ne méritait pas d’être subalterne et devait être un Etat central.
A partir de là a commencé une nouvelle phase de l’histoire de l’Egypte. Le pays a commencé à se libérer du pouvoir des dirigeants étrangers, en particulier durant les ères mamelouke et ottomane, qui ont duré 5 siècles et demi, de 1250 à 1805. Tahtawi a considéré la tentative de Mohamad Ali de prendre ses distances vis-à-vis de la Sublime Porte comme une tentative de sauver l’Egypte de l’obscurantisme, de l’ignorance et de l’injustice des ères mamelouke et ottomane, afin de poser les assises de l’Etat moderne en Egypte, comme l’explique l’écrivain Louis Awad. C’est dans ce contexte qu’a eu lieu, sous Mohamad Ali, la première renaissance égyptienne indépendante de l’ère moderne (1805-1848) qui impliquait une double séparation, d’abord du pouvoir central ottoman, et ensuite de la féodalité mamelouke. Puis, le khédive Ismaïl (1863-1879) a tenté de poursuivre le processus de modernisation de l’Egypte qui s’est achevé par l’occupation britannique. Ce qu’il y a de plus important dans la renaissance de Mohamad Ali et la modernisation d’Ismaïl est qu’elles ont été accompagnées d’une présence citoyenne égyptienne active aux niveaux militaire, économique, politique et culturel. Graduellement, il a été permis aux Egyptiens de former le corps principal de l’armée nationale, de devenir propriétaires de terrains agricoles et de participer à la formation du premier parlement qui était le porte-parole de la population et non pas du gouverneur. En plus, les Egyptiens ont commencé à travailler dans les différentes institutions de l’Etat moderne, qu’elles soient éducatives, urbaines ou culturelles.
Le dernier tiers du XIXe siècle, en plein conflit avec les créanciers et la double surveillance imposée à l’Egypte, voit naître les prémices du mouvement constitutionnel avec lesquelles apparaît l’importance de mettre en place un ou plusieurs textes réglementaires qui régulent les pouvoirs de l’Etat, en plus des droits et des devoirs des citoyens. C’est là que la bourgeoisie égyptienne naissante a commencé à former des textes préliminaires qui constitueraient, selon l’historien Abdel-Azim Ramadan, des « projets constitutionnels qui n’ont pas encore atteint la maturité ».
Ces prémices constitutionnelles reflétaient la volonté citoyenne croissante d’organiser la relation entre la population et le pouvoir. Puis, il y a eu une entente entre l’occupation britannique, le capitalisme européen, la Sublime Porte et le pouvoir khédival devenu un pouvoir formel, afin d’entraver le mouvement national et citoyen émergent. La lueur constitutionnelle s’est donc éteinte, comme le dit Abdel-Azim Ramadan. La Première Guerre mondiale a contribué à restreindre les prémices constitutionnelles et le régime parlementaire naissant. Le pouvoir était limité à un cercle intérieur étroit dirigé de l’étranger et l’Egypte a vécu, selon l’expression du grand historien Mohamad Sabri Al-Sorboni, des époques « d’étranglement organisé », dont elle ne s’est libérée qu’avec le déclenchement de la Révolution de 1919 qui constituait un rassemblement bourgeois égyptien doté d’une large base sociale formée de paysans, d’étudiants, d’ouvriers et d’intellectuels. Sous la pression populaire, comme l’explique Abdel-Azim Ramadan, les Anglais ont accepté de renoncer à une partie du pouvoir conformément à la Déclaration du 28 février 1922. En avril 1922, l’élite égyptienne a entamé des discussions afin de rédiger la Constitution d’une Egypte relativement indépendante et qui a été l’expression de la lutte du mouvement national égyptien et de ses ambitions de constitutionnaliser l’Etat national égyptien moderne.
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