Richard haass, président du Council on Foreign Relations, l’un des groupes de réflexion stratégique les plus influents aux Etats-Unis, est sans exagération l’un des esprits stratégiques les plus importants qui s’est soucié, avec diligence, au cours des deux dernières décennies, de jeter la lumière sur les transformations radicales qui ont affecté la structure de l’ordre mondial et d’essayer de mettre en avant des visions pour renouveler cette structure. Depuis son livre Honey and Vinegar : Incentives, Sanctions, and Foreign Policy (le miel et le vinaigre: incitations, sanctions et politique étrangère, 2000) à son livre le plus récent, The World: A Brief Introduction (le monde: une brève introduction, 2020), Haass a travaillé à fournir une lecture anatomique des déséquilibres et des confusions qui ont engendré un chaos mondial sur toute la planète. Un chaos qui a conduit Haass à avancer que la validité de l’ordre mondial de l’après-Seconde Guerre mondiale avait expiré car ses éléments ont été épuisés, qu’il s’agisse de principes, de chartes, d’institutions ou autres.
Haass a oeuvré à brosser une image innovante et précoce d’un nouvel ordre mondial basé sur de nouveaux principes qui contrôlent le chaos actuel. A la lumière de cette dissection détaillée, il a développé des scénarios stratégiques qui renouvelleraient l’ordre mondial d’une part et activeraient le rôle directeur des Etats-Unis d’autre part, ou ce que Haass appelle la deuxième version du fonctionnement de l’ordre mondial ou « Ordre mondial 2.0 ». Partant, Haass a poursuivi sa dissection des développements chaotiques qui affligent l’ordre mondial dans la revue Foreign Affairs de septembre-octobre 2022, un numéro commémoratif à l’occasion du centenaire de la fondation du périodique. Vu que le jubilé de Foreign Affairs intervient à un moment historique où le système international subit une sorte de reconfiguration dont personne ne connaît précisément les caractéristiques, le périodique a consacré des études et des articles sur la nature des défis et des conflits auxquels est confronté le système mondial, ainsi que les interactions qui émergent en son sein d’une part, et les caractéristiques du nouvel ordre mondial en formation d’autre part, sous un titre très expressif: « Le temps de l’incertitude ».
Dans ce contexte, Haass a publié une étude importante intitulée « Une décennie dangereuse: une politique étrangère pour un monde en crise ». Il y a exprimé sa conviction que le danger réside dans l’écart grandissant entre l’escalade permanente du chaos mondial et la capacité d’y faire face, d’autant plus que le chaos actuel a simultanément rassemblé les anciens dangers géopolitiques et économiques et les nouveaux défis complexes, qui ont reflété l’étendue de la faiblesse non seulement des pays pauvres, en développement ou émergents, mais aussi des pays riches et puissants. Ce qui aura de graves conséquences pendant la décennie à venir sur le système mondial et les Etats-Unis. Quant aux anciens dangers géopolitiques, Haass explique comment ils ont engendré des déséquilibres flagrants dans la balance mondiale des forces.
Quant aux nouveaux défis, ils sont représentés, selon Haass, par les catastrophes de l’effondrement de l’environnement et de la dégradation du climat, ainsi que le terrorisme, la prolifération croissante des armes nucléaires, etc. Haass avertit qu’il sera impossible de faire face à ce danger qui s’étend sur une décennie à la lumière de la situation conflictuelle mondiale où augmentent les éventualités de guerre dans plusieurs régions et dont la guerre russo-ukrainienne n’est que le premier exemple. Il estime que les chances du succès face à ces dangers sont réduites à cause de la faiblesse des Etats-Unis en raison de ce qu’il a appelé « Troubles à la maison ». Haass profite de son expérience professionnelle en tant que directeur de la planification des politiques au Département d’Etat et conseiller du secrétaire d’Etat Colin Powell de 2001 à 2003 pour mettre en avant les leçons tirées des nombreuses missions dont il avait la charge durant les mandats de Bush père et junior en Afghanistan, au Koweït, en Iraq et en Irlande du Nord et, enfin, de sa présidence du Council on Foreign Relations. Il établit ainsi une comparaison entre l’état de l’ordre mondial au cours du siècle dernier en termes de coopération qui a permis de maintenir sa cohésion et son état actuel en termes de désintégration et de démantèlement. Haass avance l’exemple de l’unanimité mondiale autour du refus de recours à la force pour occuper un pays étranger, comme ce fut le cas lors de l’invasion iraqienne du Koweït, en opposition à ce qui se passe aujourd’hui dans la guerre en Ukraine.
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