Après plusieurs mois de retard en raison de la guerre Russie-Ukraine, la Maison Blanche a révélé le 12 octobre sa stratégie de sécurité nationale, qui définit les priorités de la politique étrangère américaine. Sans surprise, la stratégie présente la Chine comme la principale menace à la suprématie mondiale des Etats-Unis. Tout en exprimant la volonté de contenir également la Russie, un autre concurrent des Etats-Unis, ces derniers estiment toutefois que Moscou a subi un affaiblissement de son armée et de sa position sur la scène internationale depuis son invasion de l’Ukraine. Cela a renforcé l’idée que la Chine est la menace la plus sérieuse, qualifiée par le document du « seul concurrent ayant à la fois l’intention et, de plus en plus, la capacité de remodeler l’ordre international » et de détrôner les Etats-Unis. La stratégie confirme ainsi l’orientation initiée par le président Barack Obama (2009-2016) et poursuivie par son successeur, Donald Trump (2017-2020), de « pivot vers l’Asie », destinée à contrer la montée en puissance de la Chine.
Ce faisant, les Etats-Unis poursuivent leur désengagement du Moyen-Orient pour concentrer leurs efforts sur la Chine et la Russie. En consacrant moins de ressources, notamment militaires, au Moyen-Orient, Washington vise à mieux dissuader Pékin et Moscou, respectivement en Asie et en Europe. Le déclassement du Moyen-Orient dans l’échelle des priorités extérieures des Etats-Unis s’explique par les raisons suivantes: le recul de la menace terroriste, l’indépendance énergétique américaine grâce à la révolution du pétrole de schiste et la tendance mondiale à s’éloigner des combustibles fossiles, ce qui réduit l’importance stratégique du Moyen-Orient, principale région de production du brut dans le monde.
Par conséquent, la nouvelle stratégie de sécurité appelle à une utilisation réduite de l’armée américaine au Moyen-Orient. « Nous n’utiliserons pas notre armée pour changer des régimes ou refaire des sociétés », indique le document. « Nous avons trop souvent compté sur des politiques centrées sur l’armée, soutenues par une foi irréaliste dans la force et le changement de régimes pour obtenir des résultats durables », a-t-il regretté. Joignant l’acte à la parole, le département de la Défense a rapatrié, le 18 octobre, l’unité d’ingénierie de l’armée de l’air, le 557e escadron, qui était chargée de la construction de nombreuses bases américaines au Moyen-Orient, mettant un point final à deux décennies d’activités. L’unité, qui avait son siège dans la base militaire d’Al-Udeid au Qatar, a construit des aérodromes en Arabie saoudite et des installations de soutien en Iraq, au Koweït, aux Emirats Arabes Unis (EAU) et en Afghanistan. Le mois dernier, une autre unité importante des vingt dernières années, le 816e escadron de transport aérien expéditionnaire de l’armée de l’air, basée toujours à Al-Udeid, a également été désactivée.
Les Etats-Unis avaient réduit leur présence militaire au Moyen-Orient depuis la fin officielle des opérations de combat en Iraq et en Afghanistan, bien qu’ils continuent d’aider leurs partenaires régionaux avec des moyens réduits. Ils comptent donner la priorité, selon la nouvelle stratégie, à des « alliances défensives » fondées sur l’approfondissement des liens des Etats arabes avec Israël. Celui-ci a été intégré l’année dernière dans la zone de responsabilité du Commandement central américain. Ce changement est intervenu après qu’Israël a signé le 15 septembre 2020 les accords d’Abraham, sponsorisés par l’Administration Trump, avec les EAU et Bahreïn, rejoints plus tard par le Maroc et le Soudan. Estimant que les monarchies du Golfe et Israël partagent les mêmes préoccupations au sujet de l’Iran, un rival régional qui soutient des groupes militants au Moyen-Orient, Washington croit en la possibilité de créer une alliance militaire intégrant les structures de défense aérienne et maritime de ces pays, et dont l’une des conséquences serait de réduire le besoin de troupes américaines.
La réduction de la présence militaire américaine au Moyen-Orient a été un processus difficile et continuera de l’être. Une possible crise avec l’Iran sur son programme nucléaire pourrait ramener l’attention de Washington vers la région. Plus important encore, la région continue d’être vitale pour la sécurité et la prospérité américaines. La hausse des prix de l’essence aux Etats-Unis à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine l’a prouvé. Le risque pour les démocrates de perdre les élections à mi-mandat du Congrès, en novembre, à cause de cette augmentation des prix à la pompe en est une autre indication.
En outre, le Moyen-Orient est et restera dans un avenir prévisible une arène-clé de la concurrence mondiale entre la Chine et les Etats-Unis. Le retrait relatif de ces derniers des affaires de la région leur a fait perdre des points face à Pékin, mais aussi Moscou. C’est ainsi que certains pays de la région ont renforcé ces dernières années leurs relations, y compris militaires, avec la Chine et la Russie. Ce faisant, ils tentent de trouver un point d’équilibre entre la coopération en matière de sécurité avec Washington – sous la forme d’engagements en matière de sécurité, d’achats d’armes, d’exercices conjoints et de partage de renseignements– et une relation plus étroite avec ses concurrents. Ce difficile exercice n’a pas manqué de jeter le trouble dans les rapports de pays tels les EAU et l’Arabie saoudite avec les Etats-Unis. La poursuite du désengagement de ces derniers du Moyen-Orient, couplée à la montée en puissance de la Chine, devrait renforcer cette tendance.
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