Le Liban vit dans un état qu’on peut décrire d’« épuisement sociétal ». Le pays se trouve en état de fatigue en raison de crises successives. Ces crises ont culminé avec la faible performance de l’Etat à tous les niveaux. Le confessionnalisme politique, qui s’est imposé sur le régime politique sous forme de quotas, a entraîné la société dans une rigidité sans pareille. Nombre de Libanais ne considèrent plus leur appartenance religieuse comme un moyen assurant une quelconque satisfaction politique, économique ou morale. Plus encore, nombreux sont ceux qui n’ont pas confiance en leurs factions et ne les considèrent plus comme des outils capables de réaliser des acquis. En outre, le confessionnalisme est responsable de l’ingérence étrangère qui divise le pays.
Ce qui est arrivé dans le vote au parlement pour l’élection d’un nouveau président, le 29 septembre, est une preuve évidente de l’impuissance sans précédent du pouvoir législatif. Ceci confirme que la société se trouve dans une impasse. Toute l’opposition représentée par les partis des Forces libanaises, socialiste, Al-Kataëb (brigades) et les Forces du changement, ainsi qu’un nombre de députés indépendants n’a pu s’entendre sur le choix d’un président. Les voix de l’opposition se sont effritées: 36 ont voté pour le président du Mouvement de l’indépendance, Michel Moawad, 11 ont donné leur voix à l’homme d’affaires Sélim Edda, 10 députés ont écrit sur le bulletin de vote le nom du Liban. Il en va de même pour la coalition gouvernementale. Ce bloc détenant 63 voix s’est également divisé entre deux candidats, Suleiman Frangié, chef du mouvement Marada, ou Gebran Bassil, chef du bloc Le Liban fort. Il semble que tous ces partis attendaient un message étranger, quitte à changer leurs positions dans le sens que désirent ces forces étrangères. D’autant que le Liban, depuis son indépendance en 1943, est resté prisonnier d’un factionnalisme en proie à des ingérences aux niveaux régional et international.
Au milieu de toute cette détérioration, un groupe d’intellectuels a pris l’initiative de fonder le Forum de la complémentarité régionale qui aspire à réaliser une complémentarité à trois niveaux national, arabe et régional. Pour lui, l’intégration du Liban dans son cadre arabe et son voisinage régional est le moyen le plus réussi pour mettre un terme à cette impuissance et à cet épuisement. Le forum a élaboré un document sous le nom de Charte de l’identité nationale libanaise qui est une tentative de sauvetage. La charte accorde la priorité à une identité nationale consensuelle approuvée par toutes les composantes de la société; ce consensus étant le seul moyen d’unifier les Libanais face à la division confessionnelle. Le forum a soumis à l’approbation de la société cette charte composée de cinq piliers. Ceux-ci consistent à faire prévaloir l’identité nationale sur les autres appartenances, qu’elles soient factionnelles ou confessionnelles.
La première incarnation de l’identité réside dans l’établissement d’un Etat de droit fondé sur l’égalité et l’indépendance de la magistrature. Elle repose également sur les critères moraux et éthiques, le développement humain équilibré, la protection des libertés, notamment la liberté d’expression. L’identité ou bien l’Etat national ne peuvent pas se former sauf si un sens de patriotisme est cultivé entre tous les segments de la société libanaise et tous les citoyens. Lorsque je dis patriotisme, je veux dire le dépassement de la peur, de l’inquiétude et de l’hostilité pour embrasser des horizons où règnent la solidarité, la quiétude et la sécurité. Ceci ne doit pas se limiter uniquement aux sentiments, mais doit aussi se concrétiser à travers des programmes nationaux qui lanceraient les fondements de l’opposition, de la transparence et de l’autocritique jusqu’à l’épuration de l’esprit libanais de toutes les séquelles ayant laissé leur empreinte sur le corps social tout au long des années de conflit.
Enfin la charte met l’accent sur le fait que ce petit Etat a beaucoup d’impact sur le Moyen-Orient. Il s’agit de faire du Liban un pont pour établir un dialogue entre l’Occident américano-européen et l’Est asiatique et musulman. Pour ce faire, il faut avoir la flexibilité de travailler avec les différentes forces de la société civile mondiale afin d’apporter l’équilibre entre la sagesse et le déraisonnement de l’ordre mondial, en introduisant valeurs et éthique et en insufflant confiance dans la mondialisation, la 4e révolution technologique et le changement climatique. Reste à savoir comment cette charte sera appliquée sur le terrain au lieu de rester confinée dans des slogans creux. C’est là que réside le défi pour nous tous et non pas seulement le Liban.
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