Les cercles officiels aux Etats-Unis témoignent d’une vaste polémique autour du Moyen-Orient. D’aucuns pensent qu’il est indispensable que les Etats-Unis se retirent du Moyen-Orient et comptent sur les puissances régionales pour poursuivre la gestion de la région, alors que d’autres pensent que l’Administration américaine est dans l’obligation de continuer à gérer le Moyen-Orient.
Parmi ceux qui adoptent le premier avis, figure le célèbre diplomate Martin Indyk, conseiller de l’ancien président Bill Clinton pour les affaires du Moyen-Orient. Il a récemment écrit un article publié sur le site du célèbre périodique Foreign Affaires qui sera publié dans la version papier des numéros de novembre et de décembre 2021 sous le titre Le Système avant la paix... La diplomatie de Kissinger au Moyen-Orient et les leçons d’aujourd’hui.
Selon Indyk, les Etats-Unis ne peuvent pas tourner le dos au Moyen-Orient. La région connaît un état d’instabilité qui oblige Washington à mettre en place une stratégie afin de rétablir l’ordre dans cette région, surtout dans la période de l’après-guerre en Afghanistan qualifiée d’ignoble (Ignominious) par Indyk. Par conséquent, il est impossible de laisser cette région où les conflits entre les puissances régionales peuvent mener à une vaste guerre, surtout que l’Iran tente de développer son programme nucléaire. Sans oublier que les pays qui connaissent des conflits sectaires peuvent devenir un terrain fertile pour les terroristes, et cela représente une menace sérieuse pour les intérêts des Etats-Unis et ceux de leurs alliés. Selon Indyk, il est vrai que les Etats-Unis ne dépendent plus du pétrole du Golfe, mais une guerre régionale prolongée peut, en perturbant le flux naturel des approvisionnements en pétrole, conduire à l’effondrement de l’économie mondiale.
Selon le diplomate américain, il faut premièrement éviter une guerre régionale et empêcher le retour du terrorisme. Ensuite, il faut éviter une nouvelle crise économique mondiale. Dans ce contexte, Indyk affirme que la région du Moyen-Orient est encore importante à cause de son emplacement géostratégique central. Les Etats-Unis doivent donc avoir une stratégie pour le Moyen-Orient
. Pour formuler cette stratégie, il est impossible de négliger un antécédent historique qu’Indyk considère comme une « référence », en matière de politique américaine au Moyen-Orient. Il s’agit de l’expérience du vétéran Henry Kissinger (98 ans, conseiller à la sécurité nationale de 1969 à 1975, secrétaire d’Etat de 1973 à 1977, combinant les deux postes pendant deux ans). Martin Indyk explique que le contexte américain mondial actuel est très similaire à celui de la fin des années 1960 et du début des années 1970. Alors que nous assistons aujourd’hui à un retrait américain d’Afghanistan, nous avons assisté au début des années 1970 au retrait du Vietnam et de la région de l’Asie du sud-est. Au début des années 1970, il y avait des problèmes internes aux Etats-Unis (le scandale du Watergate et la démission du président Nixon) et des confusions dans l’ordre mondial (qui menaçaient de créer un vide potentiel qui aurait pu empêcher les Etats-Unis de diriger le monde).
C’est également le cas aujourd’hui. Martin Indyk rappelle comment Kissinger a géré les problèmes et les confusions du passé en donnant la priorité à la diplomatie plutôt qu’à la force dans l’espace international et dans la région du Moyen-Orient. Indyk conclut que de nombreuses leçons historiques doivent être tirées de la diplomatie de Kissinger, alors que nous contemplons la scène moyenne-orientale aujourd’hui.
Il explique d’abord le principe de base de la diplomatie de Kissinger au Moyen-Orient au début des années 1970 en disant qu’il a créé un système stable pour la région. Un système qui précède la paix qui était difficile à réaliser, voire même indésirable. Kissinger s’est rendu compte que la paix serait difficile. Il a mis en place un système équilibré et durable, qui tire sa légitimité des puissances de la région. Un système qui réalise une certaine justice. Kissinger était conscient que le système en question n’éliminerait pas les conflits, mais peut en limiter l’étendue. Il fallait donc établir un système dans lequel les différentes forces peuvent coexister et conclure des accords qui préservent les intérêts de toutes les parties. Ensuite, la paix dans la région viendra petit à petit.
Indyk confirme que l’approche diplomatique historique de Kissinger envers le Moyen-Orient mérite d’être rappelée à l’heure actuelle car elle est toujours valable. Le retrait actuel des Etats-Unis de la région est parfaitement similaire au retrait américain du sud-est de l’Asie à l’époque de Kissinger. Il incombe ainsi à l’Administration américaine actuelle d’instaurer un système au Moyen-Orient basé sur un équilibre stable en comptant sur des partenaires régionaux capables de comprendre et d’appliquer le principe de Kissinger, qui repose sur une philosophie historique profonde et une longue expérience pratique que Martin Indyk a résumée dans son article et qu’il a développée dans son livre de 800 pages à paraître prochainement sous le titre : Le maître du jeu Henry Kissinger et l’art de la diplomatie du Moyen-Orient .
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