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Normalisation arabo-syrienne

Hicham Mourad , Mardi, 26 octobre 2021

La Syrie sort à petits pas de son isolement dans son environnement arabe, tirée par l’action de divers pays en tête desquels les Emirats Arabes Unis (EAU). Le 20 octobre, le prince héritier et dirigeant de facto des Emirats, Mohamad bin Zayed Al Nahyan, a discuté au téléphone avec le président Bachar Al-Assad des moyens de renforcer les relations entre les deux pays.

Hicham Mourad

L’appel fait suite à un emballement dans les rapports bilatéraux. Le 4 octobre, le ministre syrien de l’Economie et du Commerce extérieur et son homologue émirati se sont entendus en marge de l’Exposition Dubaï 2020 sur la relance du Conseil des hommes d’affaires syro-émiratis et sur des projets visant à renforcer la coopération économique.

Le 3 juillet, la Compagnie aérienne syrienne a repris ses vols vers les EAU. Ces derniers étaient le premier pays arabe à rouvrir son ambassade à Damas le 27 décembre 2018, après un boycott décidé par la Ligue arabe en novembre 2011 en réaction à la répression violente du soulèvement populaire contre le régime syrien. Bahreïn lui a emboîté le pas le lendemain. En novembre 2020, le ministre d’Etat émirati aux Affaires étrangères, Anwar Gargash, a appelé à une nouvelle approche pragmatique et réaliste vis-à-vis de la crise syrienne, reconnaissant les nouveaux faits sur le terrain.

Divers pays arabes ont commencé à reconsidérer leur boycott du régime syrien dès 2018, lorsqu’il est apparu que celui-ci a réussi, grâce au soutien militaire de la Russie, de l’Iran et de son allié libanais, le Hezbollah, à renverser la situation militaire en sa faveur. Il était alors devenu clair qu’Assad restera au pouvoir.

La Jordanie, pays voisin dont l’économie a beaucoup souffert de la guerre civile en Syrie, a été parmi les premiers à agir, quoique discrètement étant donné sa vulnérabilité aux événements dans ce pays, pour restaurer les relations bilatérales. Elle a commencé par ouvrir le point de passage principal d’Al-Jaber en 2018, mais a dû le refermer en 2020 en raison de la pandémie du Covid-19, avant de le rouvrir le 29 septembre dernier et de décider de reprendre les vols de sa compagnie aérienne vers Damas à partir du 3 octobre. Le roi Abdallah s’est également entretenu au téléphone avec Assad le même jour pour la première fois depuis une décennie. L’appel est intervenu après les visites en Jordanie de plusieurs délégations officielles syriennes sécuritaires et économiques de haut niveau, notamment celle, le 19 septembre, du ministre syrien de la Défense. Il s’agissait de la première visite à ce niveau depuis une décennie.

Le 8 septembre, les ministres de l’Energie de Jordanie, de Syrie, d’Egypte et du Liban se sont réunis à Amman pour finaliser un accord sur l’exportation, via la Syrie, du gaz égyptien et de l’électricité jordanienne vers le pays du Cèdre, qui souffre d’une panne d’électricité presque totale. Ce projet régional, encouragé par les Etats- Unis, vise à contenir l’influence de l’Iran au Liban. Téhéran, de commun accord avec le Hezbollah, avait envoyé des cargaisons de carburant pour aider Beyrouth à surmonter sa crise énergétique.

De son côté, l’Egypte, qui a maintenu des contacts de sécurité et de renseignement avec Damas, a appelé par la voix de son chef de la diplomatie, Sameh Choukri, le 3 mars dernier, au retour de la Syrie dans la Ligue arabe. Choukri a également rencontré son homologue syrien, Faisal Mekdad, en marge de l’Assemblée générale de l’Onu le 24 septembre, une première depuis le déclenchement de la guerre en Syrie.

L’Arabie saoudite a, pour sa part, pris plusieurs mesures de rapprochement avec Damas. Début 2020, elle a autorisé l’entrée des camions syriens dans le Royaume. Son ministre des Affaires étrangères, Faisal bin Farhan, a appelé en mars dernier au « retour de la Syrie dans la famille arabe ». En mai, une délégation saoudienne dirigée par le chef du renseignement a rencontré le président Assad à Damas. Peu de temps après, une délégation syrienne dirigée par le ministre du Tourisme s’est rendue à Riyad.

Ces actions montrent le changement de cap effectué par des pays arabes en vue de normaliser avec Damas. Mus par la realpolitik, ils cherchent à servir divers intérêts. Si la normalisation avec Damas est vitale pour la santé économique de la Jordanie et de l’Iraq, qui a rouvert le point de passage de Qaim en 2019, les autres pays lorgnent les opportunités économiques qui s’offriraient avec la reconstruction de la Syrie. Celle-ci s’intéresse à la participation des Etats du Golfe à l’aide humanitaire et à la reconstruction de ses infrastructures et de son économie.

Les EAU, l’Arabie saoudite, l’Egypte et la Jordanie sont membres du camp qui s’efforce d’affaiblir l’axe iranochiite. Ils espèrent que le rapprochement avec Damas renforcera leur influence au détriment de l’Iran et du Hezbollah et permettra de contrer l’empreinte croissante de la Turquie au Proche-Orient et en Méditerranée.

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