La russie serait en passe de faire une percée au Soudan. Un accord de coopération militaire, qui devrait être prochainement signé, prévoit de créer un « centre logistique » militaire russe pour les navires de guerre, y compris nucléaires, au Soudan. Dans le cadre du projet d’accord publié sur le site Web du gouvernement à Moscou, la marine russe stationnera jusqu’à quatre navires de guerre, y compris ceux dotés de capacités nucléaires, et jusqu’à 300 militaires dans « Port-Soudan » sur la mer Rouge. Le projet d’accord permet également à la Russie d’envoyer des armes, des munitions et des fournitures pour les navires de guerre et exempte la Russie des droits d’importation et d’inspection. En échange, Moscou fournira à Khartoum une assistance gratuite aux efforts de lutte contre les actes de sabotage ainsi qu’aux opérations de recherche et de sauvetage en mer Rouge.
Cet accord de coopération dans le domaine militaire n’est pas le premier entre la Russie et le Soudan depuis le renversement du président Omar Al-Béchir en avril 2019. A peine un mois après la chute de celui-ci, Moscou et Khartoum ont signé le 24 mai un accord de coopération militaire de sept ans prévoyant l’échange d’informations sur les affaires militaro-politiques et les questions de sécurité internationale. Il stipule également le partage des expériences dans les opérations de maintien de la paix sous les auspices des Nations-Unies, la coopération dans les opérations de recherche et de sauvetage en mer, la formation conjointe des troupes et l’échange de visites de navires de guerre et d’avions militaires, ainsi que la création d’un bureau de représentation du ministère russe de la Défense au Soudan, dont la mission est d’aider au développement des forces armées soudanaises et de former les militaires soudanais au maniement et à la réparation des armes et du matériel militaire fournis par la Russie. Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, environ la moitié des achats d’armes de l’armée soudanaise en 2017 provenait de la Russie, faisant du Soudan le deuxième importateur d’armes russes en Afrique, après l’Algérie.
La volonté de la Russie d’accéder à la mer Rouge ne date pas d’hier. En 2014, elle a tenté de conclure un accord avec Djibouti pour la création d’une base militaire au port de Djibouti sur le détroit stratégique de Bab El-Mandeb, au sud de la mer Rouge, mais elle s’est vu opposer une fin de non-recevoir après l’intervention des Etats-Unis auprès du gouvernement djiboutien. En août 2018, Moscou a annoncé qu’elle construirait une base « logistique » en Erythrée sur la mer Rouge, sans préciser de date ou de lieu. Si le projet de construction d’un « centre logistique » au Soudan se concrétise, il sera le premier en Afrique depuis l’époque de la Guerre froide et permettra à la Russie de projeter sa puissance à travers le Moyen-Orient, la mer Rouge qui est une artère principale du commerce entre l’Asie et l’Europe, la Corne de l’Afrique et l’Afrique subsaharienne en général. Il sera le fruit de la détermination du président Vladimir Poutine à affirmer le rôle mondial de son pays et à assurer sa place dans la course à l’influence face aux Etats-Unis et à la Chine. Car les enjeux du Kremlin dans un partenariat militaire avec Khartoum, doublé d’un volet économique fait d’investissements dans les industries énergétiques et minières, ne concernent pas seulement les intérêts de Moscou au Soudan, mais doivent surtout être compris dans le contexte de la vision de la Russie quant à son rôle dans le monde.
Du point de vue du Kremlin, des relations plus solides avec Khartoum servent les intérêts russes à bien des égards. En tant que pays riche en ressources naturelles partageant des frontières avec sept pays, deux arabes (Egypte et Libye) et cinq africains (Tchad, Centrafrique, Soudan du Sud, Ethiopie, Erythrée), le Soudan est devenu la pierre angulaire de l’ambitieuse politique étrangère de Moscou en Afrique et dans le monde arabe au sens large. L’établissement d’une présence militaire plus permanente en mer Rouge est crucial pour la Russie, car elle est en concurrence pour l’influence avec les Etats occidentaux et la Chine, ce qui confère à la relation Moscou-Khartoum une immense valeur géostratégique. La Russie est en effet déterminée à retrouver l’influence que l’ex-Union soviétique possédait pendant la Guerre froide, en Afrique et dans d’autres régions du Sud du globe. Il est indéniable qu’un partenariat plus solide avec le Soudan, un pays qui relie le monde arabe à l’Afrique subsaharienne ainsi que la mer Rouge à l’Afrique centrale, serait extrêmement important pour la détermination de Moscou de continuer à gagner de l’influence dans les pays arabes, africains et le monde musulman en général.
Néanmoins, des questions se posent sur les chances de réussite de l’entreprise russe, surtout compte tenu de la possibilité d’un rapprochement entre Khartoum et Washington après la récente levée par les Etats-Unis du Soudan de la liste des Etats soutenant le terrorisme. Un autre obstacle pourrait provenir des sentiments anti-russes exprimés par des composantes importantes de la société civile soudanaise qui associent Moscou à la répression qui avait été pratiquée par le gouvernement d’Al-Béchir contre les manifestants anti-régime en 2018-2019.
Lien court: