Le secrétaire d’Etat Mike Pompeo semble être rentré bredouille de sa tournée arabe, aucun des pays visités n’ayant annoncé une prochaine normalisation des relations avec Israël. Pourtant, c’était l’objectif déclaré de la tournée du responsable américain qui l’a amené, du 24 au 27 août, au Soudan, à Bahreïn et Oman, ainsi qu’à Israël et aux Emirats arabes unis. A son arrivée dans la région, Pompeo a appelé les Etats arabes à mettre fin à leur boycott d’Israël.
L’Administration Trump voulait capitaliser sur l’annonce surprise, le 13 août, de l’établissement des relations diplomatiques entre Abu-Dhabi et Tel-Aviv pour encourager d’autres pays arabes à faire de même. La position de la Maison Blanche s’explique par deux raisons. La première est de soutenir l’Etat hébreu, notamment le premier ministre Netanyahu — en difficulté sur le plan interne en raison d’accusations de corruption — qui entretient des rapports personnels avec Trump et son gendre Jared Kushner, haut conseiller à la Maison Blanche qui dirige l’équipe américaine chargée du conflit israélo-palestinien. Washington aspire aussi à une victoire diplomatique au Moyen-Orient qui renforcerait les chances de réélection de Trump qui traîne dans les sondages derrière son rival démocrate Joe Biden. Toute annonce de normalisation entre une capitale arabe et Tel-Aviv serait un coup de pouce salutaire aussi bien pour Trump que pour Netanyahu.
Mais pour le moment, aucun des pays approchés n’a donné de suite favorable. Au Soudan, Pompeo, premier secrétaire d’Etat à se rendre dans le pays depuis 2005, s’est vu notifier par le premier ministre, Abdallah Hamdok, que le gouvernement de transition, qui a remplacé l’an dernier le président évincé Omar Al-Béchir et devrait gouverner jusqu’aux élections de 2022, n’avait « aucun mandat » pour faire un pas aussi important. De son côté, Bahreïn a fait savoir le 26 août qu’un accord de normalisation avec Israël ne se matérialiserait pas sans l’établissement d’un Etat palestinien indépendant avec Jérusalem-Est pour capitale, rejetant implicitement la pression américaine. Le roi de Bahreïn a indiqué à Pompeo que son pays restait attaché à l’Initiative de paix arabe, qui appelle au retrait complet d’Israël des territoires occupés en 1967 en échange de la paix et de la pleine normalisation des relations avec les pays arabes. Cette position s’aligne sur celle de l’Arabie saoudite, chef de file des monarchies pétrolières du Golfe, dont l’ancien roi Abdallah avait présenté ladite initiative de paix au Sommet arabe de Beyrouth en 2002.
A Oman, Pompeo a rencontré le nouveau sultan Haitham bin Tareq, le successeur de Qabous bin Saïd décédé en janvier dernier après avoir dirigé le sultanat pendant presque 50 ans. A l’issue de leur entretien, le gouvernement a passé sous silence la question de normalisation avec Israël. Ce silence est en accord avec la diplomatie discrète et tranquille qui a marqué l’action extérieure du sultanat tout au long du règne de Qabous.
Le choix de ces trois pays arabes visités par le secrétaire d’Etat ne doit rien au hasard, Washington croyant qu’ils sont les premiers candidats à une normalisation avec l’Etat hébreu. Oman entretient depuis longtemps un dialogue avec Israël et s’est félicité de l’annonce faite par les Emirats arabes unis de la normalisation de ses relations avec Israël. Le 26 octobre 2018, Netanyahu s’est rendu à Mascate, dans une rare visite d’un responsable israélien, où il a rencontré le sultan Qabous. En 1996, le premier ministre israélien d’alors, Shimon Peres, a visité la capitale omanaise pour y inaugurer un bureau de représentation commerciale. Son prédécesseur Yitzhak Rabin a fait en 1994 la première visite d’un chef de gouvernement israélien en Oman.
Bahreïn, dont les contacts avec Israël remontent également aux années 1990, a été le premier pays du Golfe à saluer la décision des Emirats et est considéré par l’Administration Trump comme le premier candidat à emboîter le pas à Abu-Dhabi. A l’instar de la majorité des pays du Golfe, Bahreïn partage avec Israël un ennemi commun en Iran. Mais à la différence des autres monarchies du Golfe, il se sent particulièrement exposé aux tentatives de déstabilisation de Téhéran que Manama accuse d’avoir fomenté les manifestations de la communauté chiite du pays (62 % de la population) contre la dynastie sunnite d’Al-Khalifa au pouvoir. En juin, le ministre des Affaires étrangères de Bahreïn, Khaled Al-Khalifa, a déclaré que son pays reconnaissait le droit d’Israël à exister, savait qu’il était « là pour rester » et qu’il voulait la paix avec lui.
Quant au Soudan, Washington croit que ce pays est particulièrement vulnérable à ses pressions compte tenu de la grave crise économique qu’il traverse et des sanctions américaines qu’il subit depuis l’époque d’Al-Béchir. Dès le renversement de ce dernier, le Soudan a lancé de vastes réformes sociales et politiques et espère qu’en conséquence Washington le retire de sa liste des Etats soutenant le terrorisme. Le gouvernement de transition croit que des liens plus étroits avec l’allié israélien des Etats-Unis l’aideraient dans sa démarche. C’est dans ce but que le président du Conseil de souveraineté, Abdel-Fattah Al-Burhan, a rencontré Netanyahu en février pour examiner la normalisation des relations entre les deux pays. Mais le gouvernement de transition a nié plus tard qu’Al-Burhan avait fait une telle promesse de normalisation. Le 19 août, le porte-parole du ministère soudanais des Affaires étrangères a été renvoyé après avoir déclaré que son pays était favorable à un accord avec Israël. Le ministre des Affaires étrangères a ensuite déclaré que la question n’avait « jamais été discutée par le gouvernement soudanais ». Ce flottement semble indiquer des divergences au sein de l’élite gouvernante au sujet des rapports avec Israël. Mais le département d’Etat croit qu’Al-Burhan est en faveur d’une normalisation avec Tel-Aviv et qu’il finira par imposer son point de vue.
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