L’Iraq repense ses rapports trop étroits avec l’Iran et cherche à rééquilibrer ses relations extérieures. Plusieurs indices le montrent, à commencer par la récente visite, le 19 juillet, du ministre iranien des Affaires étrangères à Bagdad, d’où il est rentré bredouille. Mohammad Javad Zarif s’est vu opposer une fin de non-recevoir à sa demande de mettre fin à la présence militaire américaine en Iraq. Par son refus, le nouveau premier ministre, Moustafa Al-Kazimi, investi en mai, a voulu faire savoir à son interlocuteur que l’influence de Téhéran sur la prise de décision iraqienne n’est plus ce qu’elle était et que Bagdad veut au contraire une « présence américaine » sous une forme qui sera convenue avec l’Administration de Donald Trump. L’Iraq considère une telle présence comme un élément fondamental de l’équilibre auquel il aspire dans ses rapports avec les deux pays ennemis, les Etats-Unis et l’Iran.
De plus, Al-Kazimi a souligné lors de sa rencontre avec Zarif la volonté de Bagdad de s’ouvrir à toutes les parties afin de créer de multiples partenariats économiques et de diversifier les possibilités d’investissement dans son pays. C’était une réponse diplomatique à la demande de Téhéran d’assurer la plus grande part des relations économiques de Bagdad avec le monde. Le plan du premier ministre pour l’ouverture de l’Iraq à d’autres pays, en particulier dans le monde arabe, risque de priver Téhéran de nombreux gains. Ce dernier s’est appuyé sur ses solides rapports commerciaux avec Bagdad pour se libérer, dans une certaine mesure, des restrictions imposées par les sanctions américaines. 25 % des besoins du marché iraqien, principalement des produits alimentaires, sont assurés par des importations iraniennes.
Dans la même veine, l’Iraq, qui est partiellement dépendant des importations de gaz naturel et d’électricité de l’Iran, cherche à réduire cette dépendance énergétique depuis l’époque de l’ancien premier ministre Adel Abdel-Mahdi. Celui-ci a signé en septembre 2019 un accord de connexion du réseau électrique iraqien à celui du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), regroupant les monarchies pétrolières arabes, afin d’assurer une partie de la consommation électrique de son pays. L’Iraq a rempli ses obligations de construire les infrastructures nécessaires en juin 2020, tandis que le CCG n’a pas encore terminé ses propres constructions.
Certes, Al-Kazimi s’est rendu le 21 juillet à Téhéran, dans sa première visite à l’étranger, où il avait assuré que l’Iraq ne permettrait aucune menace à l’Iran à partir de son territoire et promis de presque doubler, à hauteur de 20 milliards de dollars, le volume des échanges commerciaux entre les deux pays. Mais cette visite, qui est une reconnaissance de l’importance des rapports avec Téhéran, ne change en rien la volonté d’Al-Kazimi de réduire le poids de l’Iran dans la politique intérieure iraqienne. Pour preuve, l’offensive lancée le 25 juin par les forces antiterroristes à Bagdad contre la milice chiite de Kataëb Hezbollah, alliée de l’Iran, qui a mené au moins 35 attaques à la roquette contre des cibles américaines en Iraq depuis octobre dernier. 14 membres du groupe ont été arrêtés lors du raid, accusés de fomenter une nouvelle attaque contre des intérêts américains.
L’opération était audacieuse dans la mesure où elle aurait pu provoquer une réponse armée du groupe, perturbant le fragile consensus politique qui a permis la nomination d’Al-Kazimi. Le message de ce dernier était simple : les milices chiites affiliées à l’Iran ne peuvent plus opérer en toute impunité. Mais l’opération a montré ses limites car les miliciens capturés ont été placés sous la supervision de la direction de la sécurité des Forces de mobilisation populaire, l’organisation qui chapeaute les milices chiites, dominée par Kataëb Hezbollah. La direction est dirigée par un commandant du Kataëb Hezbollah. Sous la pression, le gouvernement a relâché tous les membres de la milice sauf un quelques jours plus tard au motif qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour leur poursuite judiciaire. Leur libération rapide était un signe évident de la difficulté pour le gouvernement de contrôler les groupes paramilitaires, malgré la promesse faite en ce sens par le premier ministre.
La volonté de celui-ci de s’attaquer aux milices chiites, malgré les contraintes inhérentes à ses forces de sécurité, lui a valu quelques applaudissements en Iraq et aux Etats-Unis. Le premier ministre est déterminé à améliorer les relations avec Washington, qui seront essentielles pour assurer la défaite durable de l’Etat islamique, relancer l’économie, générer un soutien financier de la communauté internationale et faire en sorte que l’Iraq ne subisse pas les effets négatifs de la campagne américaine de pression maximale contre l’Iran. Al-Khadimi est servi dans sa politique par la conjoncture actuelle qui a évolué dans un sens contraire aux intérêts de l’Iran en Iraq, où il y avait une hostilité grandissante contre le poids de Téhéran et de ses alliés iraqiens, en particulier dans les villes saintes chiites du centre du pays. Cette résistance à l’influence prépondérante de l’Iran s’est manifestée dans la formation du nouveau gouvernement iraqien, lorsque les alliés iraqiens de Téhéran ont échoué dans leur tentative de nommer le premier ministre de leur choix et ont été contraints de faire un compromis significatif en votant pour confirmer Al-Kazimi au pouvoir.
Mais les milices alignées sur l’Iran restent très puissantes. La plupart ont des ailes politiques au parlement, où elles défendent souvent les intérêts de Téhéran. Depuis 2017, les quelque 20 milices iraqiennes, dont celles proches de l’Iran, ont été régularisées et elles reçoivent désormais des salaires, des armes et une formation du gouvernement. Bien qu’elles relèvent du premier ministre, ces milices conservent dans la pratique une grande indépendance. Leur statut juridique est trouble parce qu’elles font à la fois partie des forces de sécurité de l’Etat, mais aussi bafouent la loi iraqienne. Les liens étroits de l’Iran avec certaines de ces milices ainsi qu’avec plusieurs anciens dirigeants politiques iraqiens ont freiné l’action du pouvoir visant à lutter contre ces groupes qui défient l’autorité de l’Etat.
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