Les conflits armés dans plusieurs pays arabes ont beaucoup duré. 10 ans se sont écoulés depuis le déclenchement du conflit en Syrie, en Libye et au Yémen. En même temps, le Liban connaît actuellement une crise politique qui s’approfondit jour après jour. Le conflit en Libye passe aujourd’hui par un tournant dangereux, tandis qu’en Syrie et au Yémen, les conflits sont moins féroces sans pour autant s’arrêter. Les conflits prennent fin quand les protagonistes arrivent à un accord entre eux, ou bien quand une des parties réussit à imposer son hégémonie et à soumettre les autres parties. Le cas échéant, les conflits se poursuivent sans fin. C’est d’ailleurs le scénario le plus probable pour les conflits de la région pendant la phase à venir.
Les conflits actuels dans la région sont dus aux divisions territoriales, culturelles, confessionnelles et tribales, fortement enracinées dans la région. Les divisions entre les Arabes et les Kurdes constituent le motif principal du conflit entre la Turquie, l’Iraq, la Syrie et l’Iran. Au Yémen et en Libye, les crises sont dues aux questions territoriales et tribales. Et le confessionnalisme enraciné au Liban a réveillé les anciens conflits et a donné naissance à de nouvelles crises. La résurgence des conflits historiques entre les confessions religieuses est à la base des tensions en Syrie, en Iraq, au Liban et au Yémen.
Les conflits territoriaux, sectaires et tribaux sont le résultat naturel et logique du recul de l’Etat-nation au Proche-Orient de manière générale, et plus particulièrement dans le monde arabe. Pendant un certain temps, l’Etat-nation moderne avait réussi à réunir sous son ombrelle toutes les factions. Mais la régression de ce dernier a donné lieu à un vide qui a été immédiatement exploité par les différentes factions.
Il semblerait que les conflits dans la région vont se prolonger, favorisés par les politiques expansionnistes de certaines puissances régionales. La faiblesse de l’Etat, le vide politique, les dissidences internes, tous ces facteurs ont ressuscité les anciennes convoitises de la Turquie et de l’Iran dans le monde arabe. Les Etats arabes, faibles et divisés, sont désormais comme un fruit prêt à être cueilli. Les Iraniens et les Turcs se sont vite mobilisés pour approfondir et prolonger les divisions arabes.
La Turquie et l’Iran ont des projets qui s’étendent au-delà de leurs frontières. Le projet iranien aspire à ressusciter la gloire de l’ancien Empire perse, en brandissant l’étendard de l’islam chiite, et le projet turc aspire, lui, à ressusciter l’Empire ottoman en brandissant l’étendard de l’islam sunnite dans sa version confrériste. Face à ces convoitises, il y a dans les pays arabes des personnes qui luttent pour défendre l’Etat-nation face aux projets impériaux et doctrinaux qui viennent du fin fond de l’Histoire. Dans ce contexte où les sociétés sont divisées et où certaines puissances régionales tentent d’exploiter les divisions à leur profit, deux scénarios sont possibles. Soit les protagonistes locaux s’entendent et mettent fin aux conflits, ou bien certains d’entre eux réussissent à soumettre les autres. Mais ces deux scénarios sont peu probables car dans les pays de la région en crise, aucun courant politique n’est en mesure de surmonter les divisions. Aucun courant n’est capable de concrétiser les valeurs de la patrie et de la coexistence et d’accepter le pluralisme et la répartition des pouvoirs et des richesses.
Il y a eu cependant des tentatives de la part de certains intellectuels qui portent sur leurs épaules l’héritage militant du XXe siècle. Mais ces tentatives sont limitées aux salles fermées et aux plateformes médiatiques dont la diffusion est restreinte.
En même temps, il semblerait que les forces régionales en concurrence ne soient pas sur le point de parvenir à une vision ou à un arrangement qui mette fin aux conflits. Aujourd’hui, le Proche-Orient n’est pas l’Europe de 1648 lorsque les forces européennes étaient parvenues aux accords de Westphalie qui ont mis fin à 30 ans de guerres idéologiques qui avaient dominé le continent.
C’est sur la base de ce traité qu’ont été fondés l’Etat européen moderne et un régime régional stable, ouvrant la porte à la prospérité. L’Europe est devenue le centre du monde développé sur les plans scientifique, intellectuel et économique.
Laissons de côté l’expérience européenne qui, pour le Proche-Orient, semble ressembler à un rêve impossible. Est-il possible que les protagonistes de la région parviennent à des ententes comme celles qui ont mis fin aux conflits en Amérique latine après la fin des occupations espagnole et portugaise au XIXe siècle ? Malheureusement, les pays de la région ne sont pas près de cette possibilité, même s’ils ont réussi à instaurer une certaine stabilité.
Les forces de la région sont incapables de parvenir à un accord qui mette fin aux conflits. Mais en même temps, il y a entre ces forces un équilibre délicat qui empêche l’une d’elles de soumettre et de dominer les autres. Il n’y a pas au Proche-Orient de puissances du volume de la Chine ou de l’Inde.
Quand un accord est impossible et que l’hégémonie est difficile à réaliser, il ne reste plus que le conflit prolongé. Il semblerait que c’est cette situation que le Proche-Orient vivra pendant des années.
Il ne semble pas qu’il y ait à l’horizon des solutions définitives aux conflits de la région. Les habitants des pays touchés par les conflits et leurs voisins devront vivre avec ces conflits et les gérer avec le minimum de dégâts pendant encore longtemps.
Lien court: