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Le coronavirus et l’Afrique

Dimanche, 10 mai 2020

La pandémie du Covid-19 a atteint l’Afrique tardivement, à la mi-février, et la progression du virus y reste lente. Le continent, qui abrite 1,3 milliard d’êtres humains, ou 17% de la population mondiale, ne représente à ce jour que 1,1% des cas de contamination et 0,7% des décès dus au coronavirus. L’Afrique semble ainsi plus résistante à cette maladie que les autres continents. Mais cette situation pourrait changer rapidement. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a averti jeudi que le continent pourrait devenir le prochain épicentre de l’épidémie, étant donné la faiblesse des infrastructures sanitaires et le manque de moyens et de personnel soignant. Elle estime que le virus pourrait infecter entre 29 millions et 44 millions et tuer entre 83000 et 190000 personnes la première année s’il n’est pas contenu. En date du 9 mai, l’Afrique compte 57844 cas de contamination et 2154 décès.

Le coronavirus et l’Afrique

Les scientifiques avancent plusieurs raisons pour expliquer la lente pénétration du Covid-19 en Afrique, dont le fait que la plupart des pays du continent ont mis en oeuvre très tôt des mesures de protection draconiennes. Même si l’action entreprise est inégale, les autorités africaines ont globalement fait le bilan du danger plus rapidement que d’autres et ont décrété très tôt la fermeture de frontières ainsi que des mesures de distanciation sociale et de confinement. Dans certains pays, les écoles ont été transformées en établissements de santé où les gens peuvent être mis en quarantaine et recevoir des soins. Certaines usines de textile ont été reconverties pour fabriquer des équipements de protection individuelle tels que les blouses médicales.

Beaucoup de chercheurs ont souli­gné à cet égard une particularité de l’Afrique subsaharienne qui, contrai­rement à d’autres régions, a fait face par le passé à plusieurs épidémies, comme celle d’Ebola. Par consé­quent, le personnel soignant mais aussi les populations ont une bonne connaissance des situations de crise sanitaire, à travers lesquelles des enseignements ont été tirés et des bonnes pratiques mises en oeuvre. Ils ont également accumulé de l’expé­rience sur la communication et la sensibilisation contre les pandémies.

Certains scientifiques ont d’autre part observé une coïncidence qui pourrait offrir une autre explication : il y a moins d’infections au corona­virus dans les pays les plus touchés par le paludisme ou la tuberculose en Afrique. Plusieurs médecins pensent que les traitements antipaludiques comme la chloroquine ont une cer­taine capacité à stopper la progres­sion du Covid-19. Etant donné que beaucoup de personnes ont été trai­tées avec ces médicaments en Afrique subsaharienne, une résis­tance pourrait avoir été développée. L’OMS est toutefois circonspecte à l’égard de cette thèse, notant que certains pays comme le Nigeria, le Burkina Faso et le Sénégal, où le paludisme a fait des ravages, n’ont pas été épargnés par le virus.

Une autre explication très courante de la résistance au Covid-19 en Afrique se trouve dans la jeunesse de sa population, dont 60% ont moins de 25 ans et l’âge médian ne dépasse pas les 19,4 ans. Les médecins ont confirmé que la majorité des cas graves d’infection impliquent des personnes âgées de plus de 60 ans. En Afrique, cette tranche d’âge ne représente que 5% de l’ensemble de la population, alors qu’elle atteint 20% dans l’Union européenne et 16% aux Etats-Unis. En outre, les personnes âgées en Afrique vivent le plus souvent avec leur famille, ce qui peut aider à les protéger du virus. En revanche, en Europe et aux Etats-Unis, elles vivent souvent à proxi­mité les unes des autres dans des maisons de retraite, ce qui favorise la propagation de la maladie. Les cher­cheurs tempèrent cependant l’expli­cation offerte par la jeunesse de la population africaine, rappelant que les jeunes Africains sont plus affec­tés par d’autres maladies réduisant l’immunité, comme le sida et la mal­nutrition, ce qui peut les rendre plus vulnérables au coronavirus.

A l’exception de quelques pays, notamment l’Afrique du Sud et le Nigeria, qui sont respectivement les plus affectés par le virus, et certaines grandes zones urbaines, la densité moyenne de la population en Afrique subsaharienne est plus faible que dans d’autres parties du monde où le coronavirus a été le plus dévastateur, comme en Europe occidentale et en Amérique du Nord. L’Afrique subsa­harienne compte en moyenne 42,5 habitants au kilomètre carré, contre 117 dans l’Union européenne. Cette faible densité semble avoir joué en faveur de la distanciation sociale et a ralenti la propagation du virus. L’OMS a confirmé ce facteur positif, tout en soulignant que le taux de densité n’est qu’une moyenne et que des villes comme Lagos et Abuja au Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique avec plus de 200 millions d’habitants, ont une densité de popu­lation record.

Les risques

Ces données globalement opti­mistes ne doivent pas cacher les risques à venir pour l’Afrique. Des scientifiques estiment que le pic de la maladie dans le continent est à attendre en septembre prochain. Pour eux, le coronavirus, comme la grippe, est une maladie qui se déve­loppe pendant les mois d’hiver et n’est pas très résistant à la chaleur, à l’air sec ou à la lumière directe du soleil. La théorie semble être soute­nue par le fait que les pays les plus touchés par la pandémie en Afrique ont des climats plutôt tempérés et que la majorité des cas se concen­trent dans l’extrême nord ou dans les régions les plus au sud du continent, où la chaleur et la sécheresse sont moins extrêmes.

Les experts préviennent que le nombre relativement faible de per­sonnes contaminées et décédées jusqu’ici par le coronavirus en Afrique ne devrait pas durer. Comme ailleurs dans le monde, les mesures de confinement et de limitation des activités commerciales, écono­miques, éducatives et autres, ne sont pas tenables à long terme. Certains pays africains ont déjà commencé à alléger ces mesures. Cela ne fera qu’exposer plusieurs pays d’Afrique aux défis connus de la fragilité de leurs systèmes de santé, qui sont souvent faiblement équipés pour traiter les patients du coronavirus.

Depuis que les premiers cas de contamination au Covid-19 ont été signalés en Afrique, la plupart des personnes infectées se sont concen­trées dans les zones urbaines où les établissements de santé et l’accès aux soins sont à proximité. Cela n’est pas le cas des zones rurales où les instal­lations hospitalières sont rares ou inexistantes. Avec la croissance atten­due des cas d’infection, les infrastruc­tures de santé sur le continent se trouveront sous une forte pression et probablement incapables, faute d’équipements, de répondre à toutes les demandes de soins. A titre d’exemple, l’OMS indique qu’il n’y a qu’environ 5 lits de soins intensifs disponibles pour un million de per­sonnes dans la plupart des pays afri­cains, contre 4000 lits pour un mil­lion de personnes en Europe. De son côté, le directeur du Centre africain de contrôle et de prévention des mala­dies, John Nkengasong, a déclaré que les taux de tests de dépistage du Covid-19 sur le continent étaient trop bas, faute de kits de dépistage. Les personnels de santé dans différentes parties du continent se sont également plaints du manque d’équipement de protection individuelle adéquat, face à une maladie hautement infectieuse.

Pour éviter la progression rapide de la pandémie, les gouvernements africains sont appelés, comme le suggèrent les professionnels de la santé, à mettre l’accent sur la préven­tion, ce qui exige l’élaboration et la mise en place de plans d’action à court, moyen et long termes, adaptés aux conditions particulières de chaque pays et qui concilieraient les exigences de protéger la population avec celles de la reprise des activités économiques et sociales.

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