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L’Iraq dans la spirale du conflit irano-américain

Lundi, 23 mars 2020

L’escalade entre les Etats-Unis et l’Iran n’en finit pas d’avoir des répercus­sions en Iraq, pris en étau entre ces deux alliés. Le 19 mars, les troupes de la coalition interna­tionale contre Daech, dirigée par les Etats-Unis, se sont retirées de la petite base d’Al-Qaim à la frontière iraqo-syrienne, dans l’ouest du pays. Des retraits d’autres petites bases dans tout l’Iraq sont prévus au cours des prochaines semaines. Selon un haut responsable militaire iraqien, la coalition quitterait pro­chainement deux bases dans le nord, Qayyarah au sud de Mossoul et K1 dans la province de Kirkouk. Ce redéploiement militaire vers des bases plus grandes et mieux équi­pées ainsi qu’un départ d’Iraq d’une partie des troupes de la coalition visent à protéger ces dernières de la recrudescence des attaques à la roquette dont elles ont été victimes ces derniers mois. Quelque 7500 soldats de la coalition, dont 5200 Américains, sont en Iraq pour aider et assurer la formation de leurs homologues iraqiens en matière de sécurité pour combattre le groupe terroriste Daech.

Trois attaques distinctes en l’es­pace d’une semaine ont frappé les bases iraqiennes hébergeant les forces de la coalition. Le 11 mars, la milice extrémiste Kataïb Hezbollah, soutenue par l’Iran, a tiré 30 roquettes sur le camp Taji, tuant 2 militaires américains et un médecin militaire britannique et blessant 14 autres. Le lendemain, l’armée américaine a riposté en lançant des frappes aériennes sur 5 installations de stockage d’armes du Kataïb Hezbollah autour de Bagdad. Le 14 mars, la milice a lancé une nouvelle attaque à la roquette contre le camp Taji, bles­sant grièvement 3 soldats améri­cains et 2 militaires iraqiens. Depuis fin octobre, il y a eu 24 tirs de roquettes sur l’ambassade amé­ricaine à Bagdad ou sur des bases où des troupes de la coalition sont déployées. Ce qui a créé une ten­sion entre Washington et Bagdad.

Les hauts responsables militaires et civils américains ont exprimé leur frustration que le gouverne­ment iraqien ne fasse pas assez pour empêcher les tirs de roquettes visant les troupes et les diplomates américains. L’armée américaine essaie de convaincre l’armée ira­qienne de sévir contre Kataïb Hezbollah, en vain. En fait, le gou­vernement iraqien ne souhaite pas se retrouver davantage pris dans la spirale des tensions entre l’Iran et les Etats-Unis, ses deux principaux alliés. En outre, l’équilibre interne fragile entre les différentes commu­nautés et les factions qui les repré­sentent ne permet pas à Bagdad de prendre parti de nature à s’aliéner un groupe important qui fait partie des Unités de Mobilisation Populaire (UMP). Ces milices chiites, composées de plusieurs groupes qui ont des liens divers avec l’Iran, ont joué un rôle accru dans la sécurité et la politique du pays depuis qu’elles ont commencé à aider militairement le gouverne­ment à faire face aux attaques de Daech à partir de 2014. Les UMP, qui sont aujourd’hui intégrées aux forces de sécurité iraqiennes, ont grandement contribué à la défaite du groupe terroriste en 2017.

Les tensions américano-ira­qiennes sont montées en flèche en raison de la frappe aérienne améri­caine qui a tué le général iranien Qassem Soleimani le 3 janvier à proximité de l’aéroport de Bagdad, après que la milice Kataïb Hezbollah avait été accusée par Washington d’avoir tué un contrac­tuel américain en Iraq, lors d’une attaque à la roquette contre la base K1 le 27 décembre. La colère pro­voquée par l’assassinat de Soleimani sur le sol iraqien a pous­sé le parlement à voter une résolu­tion non contraignante appelant les troupes américaines à quitter le pays. Les relations politiques ten­dues entre Bagdad et Washington ont alors entraîné une interruption des opérations conjointes entre la coalition et les forces de sécurité iraqiennes.

Les Etats-Unis se sont abstenus jusqu’ici de riposter militairement à l’attaque du 14 mars contre le camp Taji. Ils ont en revanche décidé, trois jours après l’attentat, de ren­forcer les sanctions contre l’Iran en rajoutant 9 entités et 3 personnes « qui se sont livrées à des activités susceptibles de favoriser le com­portement violent du régime ira­nien ». Le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, a justifié la décision amé­ricaine en affirmant que les actions des entités et personnes sanction­nées « procurent des revenus au régime qu’il pourrait utiliser pour financer (des activités), comme les récentes attaques à la roquette contre les forces iraqiennes et de la coalition situées au camp Taji ». Les sanctions visent principalement l’industrie pétrochimique iranienne et cherchent à renforcer l’isolement économique et diplomatique de l’Iran.

Que Washington fasse le choix des sanctions et s’abstienne de riposter militairement à l’Iran, en dépit de ses menaces répétées contre ce dernier, s’explique par la propagation du coronavirus, dont la République islamique est l’une de principales victimes au monde. Les sanctions imposées par l’Adminis­tration américaine contre Téhéran sont souvent décriées comme étant en partie responsables de l’incapa­cité du gouvernement iranien à faire face à la pandémie. C’est pour cela que le président Donald Trump a souligné à ses principaux conseillers à la sécurité nationale qu’en raison de la pandémie du Covid-19, il ne pensait pas qu’une riposte militaire aux nouvelles attaques contre les troupes américaines en Iraq soit la bonne décision. Trump a exprimé ses craintes que des frappes contre l’Iran ne nuisent à l’image des Etats-Unis, compte tenu de la conjoncture actuelle dans laquelle l’Iran et le reste du monde luttent pour contenir la propagation du coronavirus. Le président avait fait cette réflexion lors d’une récente réunion au cours de laquelle ses conseillers se sont affrontés sur la décision à prendre. Un groupe, dont Pompeo et Robert O’Brien, le conseiller à la sécurité nationale, a appelé à une riposte dure aux attaques à la roquette, arguant que ce type de réaction pendant que les dirigeants iraniens étaient englués dans la lutte contre le coronavirus pourrait enfin les pousser à des négociations directes. Ce choix a été rejeté par le secrétaire à la Défense, Mark Esper, et le général Mark Milley, chef d’état-major, fai­sant valoir que le Pentagone et les services de renseignements ne dis­posent pas de preuves claires que les attaques lancées contre la coali­tion avaient été commandées par l’Iran. Ils ont averti qu’une réponse à grande échelle pourrait entraîner les Etats-Unis dans une guerre plus large avec l’Iran et la rupture des relations déjà tendues avec l’Iraq.

La position des militaires a pré­valu, du moins pour le moment. Il s’agit d’un changement notable pour un président qui a fait de l’ap­proche belliqueuse contre l’Iran la pierre angulaire de son programme de politique étrangère. Depuis son entrée en fonction en janvier 2017, Trump a renforcé les sanctions contre l’Iran et l’a menacé à plu­sieurs reprises d’une action mili­taire. Joignant l’acte à la parole, il a autorisé en janvier l’opération controversée d’assassiner le géné­ral Soleimani à Bagdad, au risque d’impliquer davantage son allié ira­qien dans le conflit qui l’oppose à Téhéran .

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