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Le marché du siècle et la Palestine

Dimanche, 02 février 2020

Après trois ans de préparation et plusieurs retards, le président Donald Trump, flanqué du premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a finalement annoncé, le 28 janvier à Washington, son « marché du siècle » censé régler le conflit israélo-palestinien. Sans surprise, le plan de paix proposé s’aligne intégralement sur la vision israélienne, ignorant complètement les intérêts du peuple palestinien. Il était donc normal qu’il soit rejeté d’emblée par le président palestinien, Mahmoud Abbas, qui l’a qualifié de « gifle du siècle ».

Et pour cause: le plan de Trump reconnaît « Jérusalem unifiée » comme capitale d’Israël, ignorant que les Palestiniens revendiquent sa partie arabe (Est), renfermant les lieux saints islamiques et chrétiens, comme capitale de leur futur Etat et faisant fi de la position de la communauté internationale, y compris de toutes les précédentes Administrations américaines et des résolutions des Nations-Unies qui n’ont jamais reconnu l’annexion israélienne de la partie arabe de la Ville Sainte, occupée en juin 1967. La position de Trump est une suite logique du transfert en mai 2018 de l’ambassade américaine à Jérusalem, sanctionnant la reconnaissance par son administration de la Ville Sainte unifiée comme capitale d’Israël. Le plan américain a toutefois recouru à un jeu de mots promettant aux Palestiniens une capitale à « Jérusalem-Est ». Mais il s’agit en réalité du village adjacent d’Abu Dis, considéré comme une banlieue de la ville.

Dans la même veine d’alignement sur les positions de Tel-Aviv, le plan reconnaît la légalité des colonies de peuplement juif en Cisjordanie et s’oppose à leur démantèlement, contrairement à la position de la communauté internationale et des résolutions de l’Onu, y compris celle des précédentes Administrations américaines, qui les considéraient comme un obstacle à la paix. Le plan prévoit également, conformément à la vision sécuritaire d’Israël, d’accorder à celui-ci 30% des terres de la Cisjordanie, y compris la fertile vallée du Jourdain, limitrophe de la Jordanie. En retour, le futur « Etat palestinien » se verrait accorder quelques territoires de compensation dans le désert du Néguev. Mais il ne sera doté que d’une souveraineté limitée : démilitarisé et dépourvu d’une armée, ses frontières, son espace aérien et ses eaux territoriales resteraient sous contrôle israélien. Le plan Trump marque ainsi un tournant radical dans l’approche américaine du conflit du Proche-Orient. Il tourne le dos à des décennies de soutien américain à des ajustements modestes aux frontières israéliennes issues de la guerre de 1967 et rejette l’objectif à long terme d’accorder aux Palestiniens un Etat à part entière, puisque celui proposé par Washington n’en garde que le nom.

Le moment choisi pour l’annonce du plan de Trump n’est pas le fruit du hasard. Il répond aux besoins de la campagne pour sa réélection en novembre prochain. A un moment où les médias américains sont braqués sur les perspectives de sa destitution par le Sénat, Trump a voulu faire diversion en annonçant en grande pompe son « marché du siècle » pour le conflit du Proche-Orient. Il a voulu ainsi donner l’image, auprès de son électorat, d’un pacificateur de l’une des régions les plus chaudes du monde. Le locataire de la Maison Blanche veut, par ailleurs, réconforter les chances de réélection de Netanyahu, en difficulté face à des accusations de corruption, à presque six semaines du scrutin israélien. Trump cherche ainsi à se prévaloir de la vision pro-israélienne dans son « marché du siècle » auprès des juifs américains conservateurs en Floride et dans d’autres Etats-clés et des chrétiens évangéliques qui soutiennent l’expansion israélienne en « Terre Sainte ».

Un Netanyahu affaibli, qui se dirige vers des élections qui s’annoncent serrées en mars, pourra de son côté se servir de l’argument puissant selon lequel les électeurs israéliens devraient ignorer son acte d’accusation pour corruption et se concentrer sur le fait que, grâce à la force de sa relation avec Trump, il a demandé et obtenu de Washington la reconnaissance de la légitimité des colonies juives dans les territoires palestiniens. Il s’est d’ailleurs empressé d’annoncer, avant de quitter la capitale américaine, qu’Israël annexerait la région stratégiquement vitale de la vallée du Jourdain. A l’approche des élections israéliennes, cette annonce lui permet de se présenter comme le dirigeant indispensable qui a fait plier la Maison Blanche à sa volonté.

Le plan de Trump apparaît comme un document de politique étrangère destiné à soutenir son propre avenir politique ainsi que celui de Netanyahu plutôt qu’une sérieuse initiative de paix qui aurait une quelconque chance de réussir. Il ne fait que valider toutes les revendications israéliennes en laissant aux Palestiniens les miettes dont Tel-Aviv pourrait s’en passer. C’est un plan moins axé sur des négociations futures entre protagonistes que sur la consolidation des faits accomplis israéliens sur le terrain. Ainsi, le sort de Jérusalem indivisible et unifiée, capitale d’Israël, est scellé dans le document. Idem pour les colonies juives en Cisjordanie appelées à devenir permanentes.

En contrepartie, Trump, en bon homme d’affaires qui connaît bien le langage de l’argent et du gain matériel, fait miroiter aux Palestiniens une prospérité économique qui devrait suivre leur approbation de son plan de paix. Il leur a ainsi promis de meilleures conditions de vie grâce à un fonds d’investissement de 50 milliards de dollars, qui serait principalement financé par les riches monarchies du Golfe. Il y aurait un million de nouveaux emplois et la pauvreté serait réduite de moitié, a-t-il assuré. Ce discours familier de Trump, né de la certitude que les incitations économiques pourraient surmonter les obstacles politiques, est rejeté par les Palestiniens qui sont unanimes à affirmer que leurs droits nationaux « ne sont pas à vendre » .

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