Après quelques jours d’extrême tension, les Etats-Unis et l’Iran ont entamé, mercredi dernier, une désescalade à la suite des tirs de missiles iraniens sur 2 bases iraqiennes abritant des militaires américains. Ces frappes, en représailles au meurtre par l’armée américaine le 3 janvier de Qassem Soleimani, chef de la force Al-Qods, ont été soigneusement calibrées pour ne pas causer de victimes américaines, afin d’éviter une riposte militaire que le président Trump a promise « disproportionnée ».
La réaction mesurée du régime iranien a permis à la fois d’apaiser l’indignation de l’opinion publique interne et d’offrir aux Etats-Unis la possibilité de ne pas riposter. C’est ainsi que le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, a déclaré, après les tirs, que son pays ne cherchait pas l’escalade ou la guerre, alors que le président Trump a indiqué que « tout va bien ! ».
Ni Washington ni Téhéran ne veulent d’une guerre ouverte, aux conséquences incalculables. Les experts militaires américains excluent une invasion de l’Iran, comme ce fut le cas en Iraq, et soulignent qu’une éventuelle campagne militaire se résumerait à une série de frappes aériennes, navales et, très probablement, de cyber-attaques, avec peu ou pas de soldats américains sur le terrain. Des responsables américains, familiarisés avec les plans de guerre, affirment que l’objectif ne serait pas de renverser le gouvernement et de prendre le contrôle de l’Iran— contrairement aux talibans en Afghanistan ou au président Saddam Hussein en Iraq— mais de paralyser ses forces armées, y compris la force Al-Qods, d'éliminer ses programmes nucléaires et d'étouffer ce que Washington décrit comme l’influence régionale malveillante de Téhéran.
A cette offensive, l’Iran peut riposter en ciblant les bases américaines dans le Golfe ou en Iraq. Il peut aussi frapper les raffineries de pétrole saoudiennes ou fermer le détroit d’Ormuz en coulant un pétrolier ou deux ou en minant la voie navigable. Cela ferait monter en flèche le prix du pétrole et du gaz, et entraverait l’économie mondiale. Il est également certain que l’Iran aura recours à la guerre asymétrique, frappant potentiellement des cibles américaines, comme des ambassades ou des bases militaires, par le biais de ses alliés en Iraq, en Syrie, au Liban, au Yémen ou ailleurs au Moyen-Orient et en Europe.
Conscient des conséquences d’un éventuel conflit direct, Trump a entrouvert la porte à la diplomatie avec l’Iran, mais a combiné ses paroles avec l’annonce de nouvelles sanctions économiques contre Téhéran qui rendent difficile l’ouverture d’un dialogue, même indirect, permettant aux deux pays de sortir de leur cycle d’affrontement et de vengeance. Le locataire de la Maison Blanche a montré dans son discours qu’après 3 ans au pouvoir, il n’a toujours pas résolu le conflit entre ses deux penchants contradictoires de bellicisme et d’isolationnisme. Certes, il s’est rétracté de la politique de bord de l’abîme qui risquait de déclencher un conflit dévastateur au Moyen-Orient, en indiquant qu’il n’a pas l’intention de répondre aux attaques de missiles iraniens sur les deux bases iraqiennes où opèrent les troupes américaines. Mais il a également promis de doubler les sanctions contre l’Iran, se tournant à nouveau vers l’outil économique dont il est convaincu qu’il finirait par forcer la République islamique à choisir entre la ruine et la survie, ce qui impliquerait le changement de sa politique régionale. Il s’est toutefois abstenu de présenter une voie à suivre pour les deux pays, en conflit depuis 40 ans.
La politique du président américain au Moyen-Orient au cours des derniers mois a envoyé des signaux contradictoires à Téhéran. En Syrie, où l’Iran est très engagé militairement aux côtés des forces loyalistes au président Bachar Al-Assad, Trump a retiré la petite force américaine qui était principalement engagée dans la lutte contre Daech, affirmant qu’il était temps de mettre un terme à l’implication de Washington dans les « guerres sans fin » au Moyen-Orient. Il a décidé de ne pas répondre militairement lorsque l’Iran a abattu pour la première fois en juin dernier un drone américain dans la région du Golfe, puis a lancé en septembre une attaque de précision contre des installations pétrolières saoudiennes, laissant l’impression à Téhéran que l’allié saoudien de Washington ne valait pas la peine d’être défendu. Et puis, surprenant tout le monde, y compris ses propres conseillers militaires, Trump a ordonné le meurtre ciblé du général Qassem Soleimani, le commandant militaire le plus important de l’Iran, affirmant qu’il prévoyait des attaques contre des cibles américaines, bien que l’Administration américaine n’ait fourni que peu de détails. Cette imprévisibilité, une caractéristique de Trump, rend difficile tout pronostic sur sa politique future.
Une chose est sûre toutefois. L’attitude de Trump après l’attaque de missiles iraniens correspond à son modèle général de politique étrangère: parler dur mais rester à l’écart des conflits armés. Cette approche, mélangée avec le propre désir de l’Iran d’éviter un conflit ouvert, a permis à Trump de réaliser deux objectifs de sa campagne électorale : projeter la puissance des Etats-Unis à l’étranger sans avoir à faire face à des conséquences réelles, tout en apaisant les électeurs qui l’ont soutenu en raison de sa promesse de retirer les Etats-Unis des « guerres sans fin » au Moyen-Orient.
Le risque est maintenant que l’accalmie précaire installée après les tirs de missiles iraniens sur les forces américaines en Iraq peut se révéler temporaire. Il est peu probable, après la réponse mesurée de l’Iran, que ce dernier cesse ses efforts pour expulser les forces américaines de la région. A la suite de l’attaque, le Corps des Gardiens de la Révolution islamique— la première force de combat de l’armée iranienne— l’a qualifiée de début de son opération « Martyr Soleimani » et a déclaré que d’autres réponses seraient à venir. Il n’y a donc aucune garantie que la riposte du 7 janvier serait la fin des représailles de l’Iran, et les futures opérations pourraient impliquer une action de milices pro-iraniennes ou une cyber-attaque. L’Iran est susceptible de riposter indirectement, via ses alliés sub-étatiques, pour nuire aux intérêts américains, peut-être en tuant des diplomates américains ou des responsables militaires à l’étranger. Le but principal serait de pousser les Etats-Unis à se retirer d’Iraq, un pays où l’influence de Téhéran est prépondérante
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