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La créativité artistique, force douce de l’Egypte

Dimanche, 04 août 2019

La créativité artistique en Egypte traverse une crise depuis plusieurs années sans que personne se demande pourquoi. Elle a besoin d’être éveillée, d’être secouée. Les Egyptiens ont tou­jours été créatifs, ceci se manifes­tait dans tous les aspects de leur vie. Ce qui constituait notre « puissance douce » en une médio­crité qui n’a rien de créatif. Notre production artistique a beaucoup baissé et notre aura dans le monde arabe aussi.

La chanson égyptienne était un appel à la distinction, par ses paroles, sa musique et la voix des chanteurs. La société était immu­nisée contre la vulgarité et la médiocrité. A son apogée, la chan­son égyptienne a brillé grâce à des poètes, des compositeurs et des chanteurs ingénieux. Et cette ren­contre entre les mots, la voix et la musique a trouvé sa plénitude avec des noms comme Oum Kalsoum, Ahmad Rami, Al-Sonbati, Abdel-Wahab… La chanson égyptienne a trouvé sa voie vers le coeur et l’âme des gens avec d’autres équipes comme Abdel-Halim Hafez, Morsi Gamil Aziz, Al-Abnoudi, Al-Mougui, Baligh Hamdi ou encore Farid Al-Atrach qui est venu avec son propre projet musical. Et avec Leïla Mourad et Hussein Al-Sayed, toutes ces générations ont fusionné pour pré­senter un art d’une extrême richesse et d’une grande finesse. Ces artistes que le hasard avait regroupés en une même génération ont démontré que la créativité se nourrit à la fois de ses particulari­tés et de sa diversité.

Puis le niveau des paroles s’est dégradé, des voix médiocres se sont faufilées sur la scène, accom­pagnées d’une musique chaotique. Tout le monde a commencé à se demander où sont passés les héri­tiers de ces grands noms? L’arbre a péri avec toutes ses branches : les paroles, la musique et les belles voix. Et le royaume de la chanson s’est éteint.

D’autres domaines ont trouvé le même sort, à commencer par le cinéma avec toute son histoire et ses icônes. L’Egypte a été parmi les premiers pays à s’intéresser au septième art, tous les ans, elle pro­duisait une centaine de films qui étaient diffusés en Europe, en Afrique et en Inde. Mais avant tout, c’était le marché des pays arabes qui nourrissait cette indus­trie. Les techniques étaient rudi­mentaires et les films tournés dans des studios modestes, pour leur part, les comédiens étaient peu demandeurs, mais les sujets traités étaient humains et le dialogue élo­quent. Pour les stars de l’époque, le cinéma était une vocation, un message à transmettre. Faten Hamama, Omar Sharif, Leïla Mourad, Naguib Al-Rihani, Madiha Yousri, Magda, Hend Rostom, Soad Hosni, Hassan Al-Imam, Youssef Chahine, Barakat et des dizaines de comé­diens et de cinéastes de renom ont consacré leur vie à cet art. Le cinéma égyptien était une école où l’on apprenait les valeurs de la vie. Et après une brève relance effec­tuée par les stars de la génération suivante, notamment Ahmad Zaki, Mahmoud Abdel-Aziz, Mahmoud Yassine, Leïla Elwi, Yousra, Nour Al-Chérif… La vague des « films préfabriqués » est venue emporter sur son chemin tous les fonde­ments artistiques et esthétiques ainsi que l’histoire et le prestige du cinéma égyptien.

La créativité artistique, force douce de l’Egypte

Cette décadence de la chanson et du cinéma montre bien que la puissance douce de l’Egypte n’est plus comme avant et que la créati­vité égyptienne a reculé. Le théâtre est le dernier maillon de la chaîne à chuter. Pilier de l’histoire cultu­relle de l’Egypte, le théâtre a été divulgué grâce à de grands drama­turges comme Chawqi, Salah Abdel-Sabour, Youssef Idriss, Saad Wahba, Alfred Farag, qui ont adapté des pièces étrangères et écrit d’autres originales… Bien que l’Egypte ait connu le théâtre il n’y a pas très longtemps, cet art a rapidement évolué grâce à Youssef Wahbi, Zaki Tolaymat, Al-Zorqani, Galal Al-Charqawi, Samir Al-Asfouri, Saad Ardach, Karam Metawie, ainsi que toutes les stars du Théâtre national comme Samiha Ayoub, Soheir Al-Morchedi, Sanaa Gamil, Abdallah Gheith, Hamdi Gheith, Youssef Chaaban, Fouad Al-Mohandès, Abdel-Moneim Madbouli, Chéwikar… Mais tout d’un coup et sans préavis, le théâtre a régressé laissant quelques expériences individuelles, notam­ment le théâtre de Adel Imam, qui continuait à jouer une même pièce des années durant, dans une expé­rience que personne n’a rééditée.

J’ai choisi la chanson, le cinéma et le théâtre comme exemples parce qu’ils étaient au coeur du mouvement artistique et ont offert à l’Egypte son influence et sa place distinguée.

Reste à savoir ce que l’on doit faire face à ce vide. Si l’argent est le problème, il nous faut trouver des sources de financement en lien avec la création et les arts, parce que ceux qui ont l’argent n’appré­cient pas forcément la valeur de l’art. La dégradation du goût du public entraîne la dégradation de la créativité, et vice-versa. Autrefois, il y avait des règles et des critères pour contrôler la valeur des oeuvres artistiques, et il était difficile de tomber sur un chanteur, un compositeur, un film ou une pièce de théâtre médiocre. Il y avait des jurys pour chaque discipline artistique, plus impor­tant encore, il y avait une conscience sociale qui empêchait les aventuriers et les nouveaux riches de contrôler le goût du public et de lui imposer toutes sortes d’ordures.

Certains prétendent que la pro­duction artistique ne fait pas partie des responsabilités de l’Etat et qu’il faut l’abandonner au secteur privé. C’est faux. Parce que depuis que les institutions de l’Etat se sont retirées de ce domaine, la création artistique a connu sa pire criseز

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