La créativité artistique en Egypte traverse une crise depuis plusieurs années sans que personne se demande pourquoi. Elle a besoin d’être éveillée, d’être secouée. Les Egyptiens ont toujours été créatifs, ceci se manifestait dans tous les aspects de leur vie. Ce qui constituait notre « puissance douce » en une médiocrité qui n’a rien de créatif. Notre production artistique a beaucoup baissé et notre aura dans le monde arabe aussi.
La chanson égyptienne était un appel à la distinction, par ses paroles, sa musique et la voix des chanteurs. La société était immunisée contre la vulgarité et la médiocrité. A son apogée, la chanson égyptienne a brillé grâce à des poètes, des compositeurs et des chanteurs ingénieux. Et cette rencontre entre les mots, la voix et la musique a trouvé sa plénitude avec des noms comme Oum Kalsoum, Ahmad Rami, Al-Sonbati, Abdel-Wahab… La chanson égyptienne a trouvé sa voie vers le coeur et l’âme des gens avec d’autres équipes comme Abdel-Halim Hafez, Morsi Gamil Aziz, Al-Abnoudi, Al-Mougui, Baligh Hamdi ou encore Farid Al-Atrach qui est venu avec son propre projet musical. Et avec Leïla Mourad et Hussein Al-Sayed, toutes ces générations ont fusionné pour présenter un art d’une extrême richesse et d’une grande finesse. Ces artistes que le hasard avait regroupés en une même génération ont démontré que la créativité se nourrit à la fois de ses particularités et de sa diversité.
Puis le niveau des paroles s’est dégradé, des voix médiocres se sont faufilées sur la scène, accompagnées d’une musique chaotique. Tout le monde a commencé à se demander où sont passés les héritiers de ces grands noms? L’arbre a péri avec toutes ses branches : les paroles, la musique et les belles voix. Et le royaume de la chanson s’est éteint.
D’autres domaines ont trouvé le même sort, à commencer par le cinéma avec toute son histoire et ses icônes. L’Egypte a été parmi les premiers pays à s’intéresser au septième art, tous les ans, elle produisait une centaine de films qui étaient diffusés en Europe, en Afrique et en Inde. Mais avant tout, c’était le marché des pays arabes qui nourrissait cette industrie. Les techniques étaient rudimentaires et les films tournés dans des studios modestes, pour leur part, les comédiens étaient peu demandeurs, mais les sujets traités étaient humains et le dialogue éloquent. Pour les stars de l’époque, le cinéma était une vocation, un message à transmettre. Faten Hamama, Omar Sharif, Leïla Mourad, Naguib Al-Rihani, Madiha Yousri, Magda, Hend Rostom, Soad Hosni, Hassan Al-Imam, Youssef Chahine, Barakat et des dizaines de comédiens et de cinéastes de renom ont consacré leur vie à cet art. Le cinéma égyptien était une école où l’on apprenait les valeurs de la vie. Et après une brève relance effectuée par les stars de la génération suivante, notamment Ahmad Zaki, Mahmoud Abdel-Aziz, Mahmoud Yassine, Leïla Elwi, Yousra, Nour Al-Chérif… La vague des « films préfabriqués » est venue emporter sur son chemin tous les fondements artistiques et esthétiques ainsi que l’histoire et le prestige du cinéma égyptien.
Cette décadence de la chanson et du cinéma montre bien que la puissance douce de l’Egypte n’est plus comme avant et que la créativité égyptienne a reculé. Le théâtre est le dernier maillon de la chaîne à chuter. Pilier de l’histoire culturelle de l’Egypte, le théâtre a été divulgué grâce à de grands dramaturges comme Chawqi, Salah Abdel-Sabour, Youssef Idriss, Saad Wahba, Alfred Farag, qui ont adapté des pièces étrangères et écrit d’autres originales… Bien que l’Egypte ait connu le théâtre il n’y a pas très longtemps, cet art a rapidement évolué grâce à Youssef Wahbi, Zaki Tolaymat, Al-Zorqani, Galal Al-Charqawi, Samir Al-Asfouri, Saad Ardach, Karam Metawie, ainsi que toutes les stars du Théâtre national comme Samiha Ayoub, Soheir Al-Morchedi, Sanaa Gamil, Abdallah Gheith, Hamdi Gheith, Youssef Chaaban, Fouad Al-Mohandès, Abdel-Moneim Madbouli, Chéwikar… Mais tout d’un coup et sans préavis, le théâtre a régressé laissant quelques expériences individuelles, notamment le théâtre de Adel Imam, qui continuait à jouer une même pièce des années durant, dans une expérience que personne n’a rééditée.
J’ai choisi la chanson, le cinéma et le théâtre comme exemples parce qu’ils étaient au coeur du mouvement artistique et ont offert à l’Egypte son influence et sa place distinguée.
Reste à savoir ce que l’on doit faire face à ce vide. Si l’argent est le problème, il nous faut trouver des sources de financement en lien avec la création et les arts, parce que ceux qui ont l’argent n’apprécient pas forcément la valeur de l’art. La dégradation du goût du public entraîne la dégradation de la créativité, et vice-versa. Autrefois, il y avait des règles et des critères pour contrôler la valeur des oeuvres artistiques, et il était difficile de tomber sur un chanteur, un compositeur, un film ou une pièce de théâtre médiocre. Il y avait des jurys pour chaque discipline artistique, plus important encore, il y avait une conscience sociale qui empêchait les aventuriers et les nouveaux riches de contrôler le goût du public et de lui imposer toutes sortes d’ordures.
Certains prétendent que la production artistique ne fait pas partie des responsabilités de l’Etat et qu’il faut l’abandonner au secteur privé. C’est faux. Parce que depuis que les institutions de l’Etat se sont retirées de ce domaine, la création artistique a connu sa pire criseز
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