Les attaques jeudi 13 juin, contre deux pétroliers en mer d’Oman, près du détroit d’Ormuz — détroit par lequel transite 30 % du brut transporté par voie maritime dans le monde —, ont fait monter la tension d’un cran dans la région du Golfe. Les responsables américains ont été prompts à accuser l’Iran d’être « responsable » des deux attentats. Mais cette unité de façade cache mal des dissensions au sein de l’Administration américaine sur les objectifs à atteindre de l’escalade avec la République islamique, entamée début mai lorsque Washington, invoquant des attaques iraniennes « imminentes » contre ses intérêts au Moyen-Orient, a envoyé des renforts militaires dans le Golfe. Les Etats-Unis souhaiteraient-ils un affrontement pour mettre un terme aux ambitions nucléaires de l’Iran ? Mettre fin à son programme de missiles balistiques ? Arrêter son soutien aux « groupes terroristes » au Moyen-Orient ? Ou créer les conditions nécessaires pour que le peuple iranien renverse son régime des mollahs ?
Pour les tenants d’un courant bien représenté au sein de l’Administration américaine, il s’agit bien de tous ces objectifs. Les principaux représentants de cette tendance sont les deux « faucons » anti-iraniens de l’Administration, le conseiller présidentiel à la sécurité nationale, John Bolton, et le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, qui défendent une large palette de changements que les Etats-Unis souhaitent obtenir de l’Iran dans sa politique moyen-orientale. Ils dressent à cet égard une longue liste de demandes portant sur ses programmes nucléaires et de missiles balistiques, son soutien au « terrorisme » et à des milices et des partis politiques radicaux dans le monde arabe, comprenant le Hezbollah au Liban, les rebelles houthis au Yémen et une constellation de groupes chiites en Iraq. Pour eux, il ne s’agit donc pas seulement de limiter les capacités militaires, nucléaires et balistiques de l’Iran, mais aussi de changer complètement sa politique interventionniste dans la région et, espèrent-ils, provoquer la chute du régime dominé par les religieux. Pour ce faire, Bolton et Pompeo sont partisans d’une stratégie de dissuasion qui fait appel à la menace et au possible usage de la force militaire. Ainsi, ils s’emploient à définir les conditions dans lesquelles l’armée américaine pourrait intervenir contre les forces armées iraniennes ou leurs alliés parmi les milices chiites arabes.
Cette vision radicale et jusqu’au-boutiste n’est pas partagée par le président Donald Trump, qui prône plutôt des changements plus limités dans la politique régionale de la République islamique. Il n’a jamais exprimé le moindre désir de contenir l’Iran sur tous les fronts, à l’instar de Bolton et Pompeo. Les preuves abondent. Le 24 mai, il a annoncé, dans le contexte de la montée de tension avec Téhéran, qu’il enverrait 1 500 soldats américains supplémentaires au Moyen-Orient. Un nombre bien inférieur à ce que les faucons anti-iraniens de son Administration avaient demandé. Ce qui montre que le locataire de la Maison Blanche ne veut pas aller trop loin dans son escalade avec l’Iran, au point de provoquer un conflit armé.
En décembre dernier, Trump a annoncé la défaite de Daech au Moyen-Orient et ordonné le retrait des troupes américaines de Syrie, contre l’avis de Bolton, qui avait souligné que les Etats-Unis ne quitteraient pas ce pays tant que les militaires iraniens y restent. Trump a dû finalement faire volte-face et maintenir un modeste contingent, compte tenu de l’opposition de ses alliés occidentaux, le Royaume-Uni et la France, qui avaient menacé d’évacuer leurs militaires de Syrie en cas de retrait américain. Ils ont notamment souligné la contradiction entre la décision du retrait américain et la volonté affichée de Washington de contrer l’influence iranienne dans la région. Les décisions de Trump sont toutefois en parfaite harmonie avec sa pensée, exprimée lors de sa campagne électorale en 2016, en faveur d’une politique étrangère isolationniste, évitant le « bourbier » du Moyen-Orient. C’est en quelque sorte le revers de son slogan électoral « l’Amérique d’abord ».
Dans l’esprit de Trump, qui ne souhaite aucunement déclencher un conflit armé qui serait contraire à sa vision isolationniste, l’escalade avec l’Iran n’est qu’un stratagème visant à le forcer à engager des négociations sur un nombre limité de dossiers, en tête desquels ses programmes nucléaires et de missiles balistiques ainsi que ses activités déstabilisatrices dans la région. Les responsables iraniens ont sans doute observé cette même tactique à l’oeuvre dans l’attitude de Trump à l’encontre de la Corée du Nord. Le chef de l’exécutif américain a d’abord menacé Pyongyang de « feu et de fureur » en 2017, alors qu’elle testait des missiles et des dispositifs nucléaires. Mais dès qu’il a rencontré le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un, le 12 juin 2018, Trump a déclaré que la menace nucléaire était terminée. Mais depuis, Jong-un n’a jamais cessé de produire des matières nucléaires, et probablement des armes nucléaires, selon les services de renseignements américains. Il est possible que Trump cherche à reproduire le même schéma : mettre en scène la menace d’un affrontement militaire pour forcer l’Iran à négocier. Mi-mai, il a déclaré qu’il voulait parler au président Hassan Rohani. Mais la réaction initiale de l’Iran était négative.
La division au sein de l’Administration Trump a donné lieu à l’envoi de signes contradictoires sur les intentions de Washington, différemment interprétées par Téhéran et les capitales du monde arabe et du Moyen-Orient. L’une de ses conséquences est que les principaux collaborateurs de Trump éprouvent des difficultés à hiérarchiser leurs objectifs ou à expliquer comment ils transformeraient l’escalade avec l’Iran en une négociation.
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