Le résultat de l’élection du 9 avril en Israël ne laisse aucun doute : les perspectives d’un règlement négocié du conflit entre Palestiniens et Israéliens n’ont jamais été aussi compromises. Avec une courte majorité relative pour son parti de droite, le Likoud, le premier ministre reconduit, Benyamin Netanyahu, est obligé d’aller chercher le soutien des petits partis extrémistes de droite pour pouvoir former sa coalition gouvernementale et obtenir la confiance de la Knesset. Cette fragilité le mettra sous la coupe de ces petites formations procolonisation, qui forment « l’Union des partis de droite ».
Formée le 21 février 2019 en prévision des législatives, cette alliance électorale comprend trois partis, dont « Otzma Yehudit » qui regroupe les disciples du défunt rabbin raciste et anti-palestinien, Meir Kahane. L’alliance a remporté 5 sièges dans la présente Knesset, qui compte 120 membres, et il sera très difficile à Netanyahu de former une majorité sans son soutien. Les trois partis prônent l’annexion de toutes les terres palestiniennes sur lesquelles sont établies des colonies juives, même les plus isolées. Ils veulent aussi créer un comité chargé de légaliser ces dernières, construites sans permis des autorités israéliennes. Se sentant très menacé par son principal rival, Benny Gantz, chef du parti Résilience pour Israël, Netanyahu a fait une concession aux extrémistes de droite en annonçant le 6 avril, à peine trois jours avant les législatives, que s’il est élu, il annexerait une large partie de la Cisjordanie, y compris toutes les colonies de peuplement juif établis illégalement sur les terres palestiniennes, ainsi que la vallée du Jourdain, importante, selon lui, pour la sécurité d’Israël. Utilisant pour la première fois les termes « d’étendre la souveraineté israélienne », il n’a exclu aucune colonie, y compris les plus isolées, construites par des extrémistes juifs. Répondant à la politique gouvernementale israélienne de grignotage des terres
palestiniennes, la colonisation sans cesse de la Cisjordanie a fait passer le nombre des colons de 100 000 dans les années 1990 à plus de 400 000 aujourd’hui, selon B’Tselem, une organisation israélienne de défense des droits de l’homme opposée à l’occupation. Alors que les colons sont régis par le droit civil israélien, les Palestiniens, qui vivent dans les régions où se trouvent les colonies, sont soumis depuis plus de 50 ans à un régime militaire rigide qui sert uniquement les intérêts d’Israël et des colons : multiples points de contrôle et de barrages routiers, restrictions de mouvement et une interdiction presque totale de construction et de développement. Les accusations de fraude et d’abus de confiance dans trois affaires et de corruption dans une quatrième constituent un second élément qui renforce la fragilité de la position de Netanyahu face aux extrémistes de droite. Les trois partis (Le Foyer juif, Tkuma et Otzma Yehudit) de l’Union des partis de droite ont proposé d’aider le premier ministre à se protéger contre de possibles poursuites judiciaires, à travers la présentation à la Knesset d’un projet de loi lui garantissant une immunité juridique tant qu’il est en poste. Netanyahu serait enclin à répondre favorablement à l’offre de ces partis par

l’annexion des terres palestiniennes sur lesquelles sont construites les colonies juives, d’autant plus que la majorité des députés de son parti est opposée à leur démantèlement et est favorable à leur annexion. Netanyahu chercherait au moins à annexer les grands blocs de colonies, notamment ceux de Ma’aleh Adumim, Etzion et Ariel. Il s’emploiera à le faire avec le soutien des Etats-Unis. Celui-ci semble presque acquis. Mais il faudra choisir le bon moment. En effet, l’Administration du président Donald Trump est profondément empathique à l’idée qu’Israël doit maintenir le contrôle général de la sécurité en Cisjordanie, une situation qui empêche nécessairement l’établissement d’un Etat palestinien indépendant. La récente décision de Trump de reconnaître la légalité de l’annexion israélienne du plateau du Golan syrien était une indication puissante que la Maison Blanche approuverait également l’annexion de la Cisjordanie. Jared Kushner, principal conseiller à la Maison Blanche et gendre du président Trump, a révélé, le 2 mai, que le plan de paix américain tant attendu, qui devrait être annoncé le mois prochain, ne fera pas mention de la solution des deux Etats. Autrement dit, il déniera le droit des Palestiniens à établir leur propre Etat. De son côté, le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, a fait récemment allusion à un changement de la politique américaine de longue date en la matière. Il a, à maintes reprises, refusé de répondre à la question de savoir si Washington soutient toujours la solution des deux Etats. Enfin, l’ambassadeur américain en Israël, David Friedman, a dernièrement souligné qu’il était impératif qu’Israël maintienne le contrôle de la sécurité en Cisjordanie. Dans la même veine, des informations en provenance de Washington indiquent que le plan de paix américain soutiendrait l’annexion par Israël de la zone C de la Cisjordanie, qui représente 60 % de ce Territoire palestinien et qui englobe toutes les colonies juives.
Les Palestiniens seraient, selon le plan, indemnisés par une aide économique. S’ils rejettent le plan, ce qui est presque acquis, il sera plus facile pour Netanyahu d’annoncer l’annexion, sous prétexte que l’Autorité palestinienne a rejeté « l’offre de paix » et qu’en conséquence, Israël n’a pas de partenaire palestinien viable pour faire la paix. Il sera également plus aisé pour Trump, après le rejet palestinien, de soutenir l’annexion, sous prétexte de protéger la sécurité d’Israël. Ce même subterfuge a été invoqué par Washington en avril dernier pour justifier son soutien à l’annexion du Golan. Les forces politiques israéliennes favorables à l’annexion, qui forment la majorité en Israël, et leurs soutiens aux Etats-Unis parmi les deux grands partis, républicain et démocrate, estiment qu’il existe une chance historique à ne pas manquer, tant que l’Administration Trump est au pouvoir aux Etats-Unis. Archi-favorable à l’Etat juif, le président américain a bouleversé ces derniers mois la politique bien établie de son pays sur la question palestinienne, en reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël et en transférant l’ambassade américaine de TelAviv à la Ville sainte en mai 2018. Le sort de Jérusalem ainsi que le statut définitif des Territoires palestiniens, occupés par Israël lors de la guerre de juin 1967, ne devait être décidé que dans le cadre d’un accord de paix entre Palestiniens et Israéliens. Pour Israël et ses partisans aux Etats-Unis, qui s’efforcent de saisir l’occasion qui se présente, il aurait été difficile de parler d’annexion lorsque les anciens présidents George Bush et Barack Obama étaient au pouvoir, les deux hommes estimant que les colonies de peuplement juif constituaient un obstacle à la paix et que leur construction devait être gelée. Mais depuis l’investiture du président Trump en janvier 2017, la rupture avec la politique traditionnelle des Etats-Unis est telle qu’Israël s’évertue à exploiter cette fenêtre d’opportunité qu’il juge unique .
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