Après une période d’éclipse à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique, la Russie est de retour en Afrique. Dans son activisme retrouvé, Moscou est guidé par des intérêts géoéconomiques et géostratégiques, nés de la rivalité retrouvée avec l’Occident et exacerbés par les sanctions visant à l’isoler à la suite de la crise ukrainienne en 2014. Ainsi, la Russie se positionne en Afrique en contrepoids aux puissances occidentales, dans le but de réduire leur hégémonie et d’instaurer un monde multipolaire.
L’engouement pour l’Afrique, au tournant du XXIe siècle, des grandes puissances traditionnelles en Occident, mais aussi des pays émergents comme la Chine, l’Inde ou le Brésil a sans doute joué un rôle d’entraînement pour Moscou, qui ne voulait pas être à la traîne au moment où le pays cherchait justement à retrouver un rôle et un statut de rang mondial. L’engagement massif de la Russie dans les missions de maintien de la paix des Nations-Unies en Afrique offre un exemple patent de son regain d’intérêt pour le continent, où elle engage des Casques bleus dans plusieurs zones de crise en République démocratique du Congo, Côte d’Ivoire, Ethiopie, Erythrée, Soudan, Soudan du Sud et Libéria, plus nombreux que ceux des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France réunis.
Le retour de la Russie en Afrique se manifeste sur plusieurs plans, notamment économique et militaire. A l’instar des autres grandes puissances qui se ruent sur l’Afrique, la Russie a cherché à nouer des partenariats économiques pour avoir accès aux énormes ressources naturelles africaines, notamment le gaz naturel et le pétrole, profiter des bonnes performances du continent, dont celles des « lions africains », et pour écouler ses produits. Au niveau de l’investissement et des échanges commerciaux, et malgré des progrès importants, elle peine cependant à rivaliser avec les grandes puissances traditionnelles et émergentes en raison des difficultés de son économie.
Le fait que la Russie maintienne une présence économique globalement modeste en Afrique masque cependant une autre dimension: Moscou cherche en particulier à s’implanter dans le secteur énergétique africain afin de maintenir sa domination sur les approvisionnements énergétiques de l’Europe occidentale, dont elle assure environ 30%. Depuis le déclenchement de la crise ukrainienne, l’Europe cherche à échapper à cette hégémonie et à diversifier ses sources d’approvisionnement. L’Afrique, dont la production de pétrole et de gaz naturel est en augmentation, représente à ce titre une alternative énergétique pour les consommateurs européens. D’où la volonté de la Russie de s’y implanter. A cette fin, elle a conclu en 2006 un partenariat avec l’Algérie, premier producteur africain de gaz naturel, pour l’exploration et la production de cette ressource. La Russie est également un partenaire majeur dans l’extraction et la production du pétrole en Angola, deuxième producteur africain du brut, après le Nigeria. D’autres accords d’exploration et d’exploitation ont été conclus avec le Nigeria en 2009, l’Ethiopie en 2014 et le Soudan en 2015.
L’implantation de la Russie dans le secteur énergétique est renforcée et complétée par une politique offensive dans le secteur stratégique de la production de l’énergie nucléaire. S’appuyant sur une position privilégiée dans ce secteur aux membres restreints, née des coûts très compétitifs qu’elle offre, la Russie est parvenue en deux ans à signer deux contrats de construction de centrales nucléaires avec deux poids lourds du continent: l’Egypte en mai 2016, pour 25 milliards de dollars, et le Nigeria en octobre 2017 pour 20 milliards de dollars.
Le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue zimbabwéen, Emmerson Mnangagwa. (Photo : Reuters)
Si les intérêts recherchés par Moscou sont désormais d’ordre économique, et dénués de considérations idéologiques, ils sont largement motivés par des considérations géostratégiques. Ceci est devenu particulièrement évident après l’imposition de sanctions américaines et européennes en 2014 à la suite de la crise en Ukraine et la volonté manifestée par l’Occident d’isoler politiquement la Russie. Dans cette optique, Moscou défend devant ses interlocuteurs africains, qui subissent le diktat des institutions monétaires internationales, la nécessité de mettre un terme à l’hégémonie des Etats-Unis et de l’Europe sur le système financier international et à leur rôle prépondérant au sein de ses principaux instruments, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale.
Dans son réengagement sur le continent africain, la Russie offre à des puissances régionales choisies, dont celles qui se trouvent sous la coupe de pressions occidentales, un soutien multiforme, politique, économique et militaire, dénué de conditionnalité. Du point de vue des régimes concernés, les offres de soutien et de coopération de la Russie, qui cherche à gagner du terrain au détriment de l’Occident, sont les bienvenues car elles leur permettent d’échapper aux pressions américaines et européennes et renforcent leur pouvoir de négociation face à l’Occident.
C’est pourtant dans le domaine militaire qu’il faut aller chercher la marque la plus saillante du come-back russe en Afrique. La Russie est, de loin, la première exportatrice d’armes sur le continent, avec 39% des importations africaines dans la période 2013-2017, suivie par la Chine (17%) et les Etats-Unis (11%), selon les chiffres de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm. Au niveau régional, l’Afrique est le deuxième marché au monde pour les exportations russes d’armement en 2013-2017, avec 13%, après l’Asie et l’Océanie (66%), mais avant le Moyen-Orient (11%) et l’Europe (6,2%). Deuxième exportatrice d’armes dans le monde, avec 22% de parts de marché, après les Etats-Unis (34%), la Russie entend bien exploiter son avantage relatif dans ce domaine pour mieux pénétrer le continent africain et asseoir une influence renouvelée.
Dans le secteur militaire, Moscou s’appuie sur des pays pivots ou des puissances régionales, tels que l’Angola, le Nigeria, l’Ethiopie ou l’Afrique du Sud, mais aussi le Soudan et, dans le nord de l’Afrique, l’Algérie et l’Egypte. Il bénéficie ici d’une longue tradition de coopération militaire entre l’ex-Union soviétique et certains de ses anciens alliés africains. C’est le cas avec l’Algérie, l’Egypte et l’Angola.
Une autre raison de s’intéresser à l’Afrique est que la Chine, naguère première importatrice d’armes russes dans le monde, produit de plus en plus ses propres armes et a réduit considérablement ses importations en provenance de Russie. Cette tendance devrait se poursuivre, poussant Moscou à chercher activement des alternatives à cette baisse continue et prévisible des achats de la Chine qui est devenue, elle-même, un concurrent.
La Russie exploite également les tensions survenues entre les Etats-Unis et certains de ses alliés africains pour faire avancer ses propres intérêts. Moscou a ainsi profité du refus de Washington de vendre au Nigeria des hélicoptères d’attaque Cobra destinés à combattre le groupe terroriste Boko Haram, pour vendre ses propres hélicoptères. La Russie a également remplacé les Etats-Unis dans la formation des forces spéciales nigérianes, chargées de combattre cette organisation islamiste.
Lien court: