Bien qu’elle soit considérée comme la crise humanitaire la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale, la guerre civile au Yémen est bel et bien le parent pauvre des conflits armés de la planète. La communauté internationale ne lui prête pas l’intérêt qu’elle mérite, sans doute parce que le Yémen, l’un des pays les plus pauvres de la planète, ne présente pas aux yeux des grandes puissances suffisamment d’importance stratégique, bien qu’il contrôle, avec le Djibouti, le détroit de Bab Al-Mandeb, à l’entrée sud de la mer Rouge.
Depuis le déclenchement du conflit armé en 2014, aboutissant à l’occupation par les rebelles houthis de la capitale Sanaa en septembre, et la conséquente intervention militaire d’une coalition internationale dirigée par l’Arabie saoudite en mars 2015, deux seuls rounds de négociations de paix interyéménites ont eu lieu en Suisse en 2015 et à Koweït en 2016, sans rien donner. Le nouvel envoyé spécial des Nations-Unies au Yémen, le Britannique Martin Griffiths, vient de lancer une invitation aux Houthis et au gouvernement du président internationalement reconnu, Abd-Rabou Mansour Hadi, pour une nouvelle session de pourparlers à Genève, à partir du 6 septembre.
L’annonce de la tenue prochaine de négociations a été rendue possible grâce à la trêve non officielle dans les combats autour de la ville d’Al-Hodeida. Ce port sur la mer Rouge était la cible, depuis le 14 juin, d’une intense campagne de bombardements de la part de la coalition, emmenée par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, pour le reprendre des mains des Houthis. Port stratégique par lequel transitaient quelque 70 % des importations yéménites de nourritures, de pétrole et de médicaments, la bataille pour sa reprise aggravait la situation humanitaire du pays, déjà catastrophique. Environ 22,2 millions de personnes sur une population de 27 millions ont besoin d’une aide humanitaire ou d’une protection, dont 11,3 millions ayant un besoin urgent. Dans un pays où les services de base se sont largement détériorés après que la plupart des infrastructures ont été endommagées, 16,4 millions de personnes n’ont pas accès à des soins de santé adéquats et 16 millions sont privés d’eau potable et d’installations sanitaires. Alors que 650 000 Yéménites se sont réfugiés à l’étranger, 3,2 millions se sont déplacés à l’intérieur du pays pour fuir les combats. Les pressions internationales sur Abu-Dhabi et Riyad ont finalement abouti à un arrêt fragile des hostilités. Les Houthis, sous un déluge de feu, ont proposé de remettre l’administration du port à l’Onu. Les Emiratis ont rejeté l’offre, insistant sur la nécessité d’un retrait des forces rebelles de toute la ville. Voulant capitaliser sur ce brin d’espoir, né de la trêve, le représentant de l’Onu espère pouvoir élargir un possible compromis sur Al-Hodeida à un début de règlement de l’ensemble du conflit yéménite.
Sa tâche est des plus ardues, car le conflit est loin d’être exclusivement interyéménite. Des rivalités régionales et internationales, parfois inextricables, s’y superposent. La crise interne au Yémen n’est pas d’abord un simple affrontement binaire entre le gouvernement internationalement reconnu et les rebelles houthis ; qui se disent marginalisés par le pouvoir central et tiennent à maintenir leurs gains politiques récents dans tout futur partage du pouvoir. Il existe également le problème des provinces sudistes qui formaient jusqu’en 1990 la République démocratique populaire du Yémen (Yémen du Sud). La guerre civile actuelle et la faiblesse du contrôle du gouvernement central, dont le président est en exil à Riyad depuis fin 2017, ont réveillé les velléités séparatistes des provinces sudistes, où le « Conseil de transition du Sud », créé en mai 2017, a pris le contrôle d’Aden, la capitale de l’ancien Yémen du Sud et deuxième ville du pays, ainsi que d’autres territoires, des forces loyales à Hadi, en janvier dernier.
Le conflit yéménite est notoirement une guerre régionale par acteurs locaux interposés entre deux puissances rivales, l’Arabie saoudite et l’Iran. Alors que Riyad soutient le gouvernement de Hadi, Téhéran aide les rebelles houthis. Les deux puissances régionales sont à couteaux tirés dans le monde arabe. Tandis que la République islamique poursuit inlassablement une politique régionale offensive dans plusieurs pays du Machreq arabe rongés par les guerres civiles, les conflits ou l’instabilité politique, comme en Syrie, au Yémen, en Iraq et au Liban, l’Arabie saoudite cherche à juguler l’expansionnisme iranien à ses portes.
La guerre au Yémen a également une dimension internationale qui se trouve dans le regain de tension entre les Etats-Unis et l’Iran autour du programme nucléaire de celui-ci et sa politique régionale. Avant même sa prise de fonctions en janvier 2017, le président Donald Trump n’a pas fait mystère de son intention de faire de l’Iran sa bête noire, en qualifiant notamment l’accord sur son programme nucléaire, signé en 2015, du « pire accord jamais conclu ». L’annonce du retrait des Etats-Unis de cet accord en mai dernier, suivie de la réimposition d’un premier train de sanctions contre l’Iran le 7 août et de la menace d’imposer une seconde série de sanctions le 4 novembre prochain, n’ont fait que raviver une crise à multiples facettes entre Washington et Téhéran. Une éventuelle avancée dans les négociations sur le conflit yéménite serait indissociable à l’évolution de la crise irano-américaine. Alors que certains estiment que les sanctions américaines provoqueraient un infléchissement du soutien de Téhéran aux Houthis, et par conséquent un assouplissement de la position de ces derniers, d’autres prévoient, au contraire, un raidissement de la politique iranienne au Yémen, rendant plus difficile une issue rapide au conflit .
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