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L’Iran dans le collimateur américain

Lundi, 13 août 2018

Le président américain, Donald Trump, déclenche des guerres commerciales tous azimuts : contre la Chine, l’Union européenne, ses voisins, le Canada et le Mexique, la Turquie et l’Iran, sans oublier la Russie, sous la coupe de sanctions économiques américaines et européennes depuis son annexion de la Crimée, en Ukraine, en mars 2014. Le locataire de la Maison Blanche préfère à l’évidence cet outil de la politique étrangère pour faire monter la pression contre ses ennemis, mais aussi ses rivaux. Son objectif est d’obtenir le changement de politique qu’il désire, qu’il soit d’ordre économique, politique ou militaire.

Après s’être retiré de l’accord sur le nucléaire iranien le 8 mai dernier, Washington a annoncé une première série de sanctions, qui ont pris effet le 6 août, contre Téhéran. Elles concernent principalement les secteurs de la production automobile, du commerce de l’or et des métaux précieux et de l’aviation civile. Une seconde série, plus nocive, doit cibler à partir du 4 novembre prochain le secteur majeur de l’économie iranienne, à savoir la production du pétrole et du gaz naturel, première source de revenus de l’Etat, ainsi que les transactions avec la Banque Centrale iranienne.

Pour l’Administration Trump, étaler l’imposition des sanctions sur deux étapes et reporter la plus importante au mois de novembre vise à obtenir les effets escomptés : convaincre dans l’intervalle les partenaires économiques de la République islamique de se joindre à la seconde étape, plus nuisible, des sanctions américaines et pousser l’Iran à faire les concessions souhaitées avant l’imposition des sanctions plus douloureuses en novembre.

Washington, qui accuse la République islamique d’être le premier financier du terrorisme islamiste dans le monde, cherche à obtenir de Téhéran des changements radicaux dans sa politique régionale. Il s’agit notamment de cesser son soutien militaire au régime syrien de Bachar Al-Assad, au parti chiite libanais du Hezbollah et aux forces houthies au Yémen, mais aussi de réduire ses capacités balistiques. Pour Trump, l’accord sur le nucléaire iranien de 2015, qu’il avait qualifié du « pire accord jamais conclu », est à renégocier pour y inclure ces dispositions.

Reste maintenant à convaincre les signataires dudit accord (Russie, Chine, France, Royaume-Uni, Allemagne) et les partenaires économiques et commerciaux de l’Iran de se joindre aux sanctions. Le pari est loin d’être gagné. A commencer par l’Union Européenne (UE) qui, dans une première réaction, a rejeté la décision américaine et a encouragé les entreprises européennes à poursuivre leurs affaires en Iran, en promettant de les dédommager en cas de sanctions américaines. Mais il est vrai que malgré la position de l’UE, d’importantes sociétés européennes, de crainte de sanctions, ont commencé à geler leurs activités en Iran. Plusieurs de ces entreprises, dont des grandes banques, maintiennent des affaires très lucratives aux Etats-Unis et préfèrent sacrifier le marché iranien plutôt que de perdre celui des Etats-Unis.

Les autres partenaires commerciaux de l’Iran, dont la position vis-à-vis des sanctions américaines est cruciale pour leur réussite ou leur échec, sont les principaux importateurs des produits énergétiques iraniens. Ils sont par ordre d’importance : la Chine, l’Inde, la Turquie et la Corée du Sud. Seule cette dernière a pour l’instant promis de coopérer avec Washington. Tous les autres ont rejeté la décision « unilatérale » américaine.

La position de la Chine, qui absorbe à elle seule le quart des exportations énergétiques iraniennes, est particulièrement déterminante. Les Iraniens ne s’y sont pas trompés. Dès l’annonce de la décision de Washington de réimposer les sanctions sur Téhéran, le chef de la diplomatie iranienne, Javad Zarif, s’est rendu dans plusieurs capitales en quête de soutien. Sa première escale était, sans surprise, à Pékin. A l’issue de sa visite, la Chine a annoncé, en signe de soutien à l’économie iranienne, le lancement d’un projet de construction d’une ligne de chemin de fer reliant la ville de Bayannuur, dans la région autonome de Mongolie-intérieure, à l’Iran. Le projet s’inscrit dans le cadre de l’initiative chinoise de la « nouvelle route de la soie » ou « la Ceinture et la route », destinée à renforcer les échanges commerciaux entre la Chine et l’Europe à travers la création d’infrastructures logistiques et de transport, autoroutes, ports, voies ferrées, centrales électriques, dans les pays où devrait transiter ce commerce en Eurasie, dont l’Iran.

La Chine, premier importateur de pétrole dans le monde, a augmenté ses importations du brut iranien de 9,3 % dans la première moitié de 2018, en comparaison avec la même période en 2017. Elle ne devrait pas réduire ses importations, étant donné les besoins colossaux de son expansion économique. Des études américaines prévoient même l’accroissement des importations chinoises du pétrole iranien après l’entrée en vigueur des sanctions en novembre. Ces études estiment que la Chine ne serait pas disposée à coopérer avec les Etats-Unis vu qu’elle se trouve, elle-même, sous la coupe de sanctions économiques américaines (tarifs douaniers), imposées depuis juillet par l’Administration Trump. Certains estiment par contre que Pékin serait tentée de marchander son concours aux sanctions contre l’Iran en retour de l’annulation des tarifs douaniers américains sur ses exportations. Et de citer le précédent où Pékin avait accédé à la demande américaine, sous l’Administration de Barack Obama, de réduire ses investissements en Iran. A l’époque, la Chine appréciait les avantages économiques à tirer d’un renforcement des liens économiques et commerciaux avec les Etats-Unis et les intérêts communs en matière de lutte contre le changement climatique. Mais le président Trump a réduit à néant ces avantages : il s’est retiré de la convention-cadre des Nations-Unies sur le climat, signée à Paris en décembre 2015, et mène une guerre commerciale contre la Chine, créant un climat peu propice au compromis .

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