Il ne fait aucun doute que les relations euro-américaines traversent leur période la plus difficile depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce constat est apparu au grand jour lors des derniers sommets de l’Otan et des sept pays les plus industrialisés (G7), tenus respectivement les 25, 26 et 27 mai, auxquels a assisté, pour la première fois, le président américain Donald Trump. Ces deux réunions ont été l’occasion de clarifier la politique américaine vis-à-vis de l’Europe, notamment en ce qui concerne l’engagement des Etats-Unis envers la sécurité de leurs alliés européens. Les positions exprimées par Trump sont venues confirmer les craintes des dirigeants européens de voir Washington se dérober à ses obligations contractuelles, prévues par le traité de l’Otan, sur la sécurité de l’Europe.
Trump s’est notamment refusé à réaffirmer le respect par son pays de l’article V du traité de l’Otan, sur la « défense mutuelle » en cas de menaces extérieures. Ce qui a été interprété comme la volonté des Etats-Unis de renier leurs engagements à défendre l’Europe et un moyen de pression sur leurs alliés européens pour qu’ils augmentent leurs contributions financières à l’Otan. C’est la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale qu’un président américain désavoue l’engagement politique et contractuel de son pays à défendre la sécurité de ses alliés européens. Trump avait publiquement critiqué la faiblesse des contributions des gouvernements européens au budget de l’Alliance atlantique et demandé à leurs dirigeants d’assumer une part plus importante du fardeau de la défense commune. Il a également fait savoir son intention de réduire la contribution financière de son pays dans ses alliances militaires extérieures, en particulier l’Otan.
Ces positions ont poussé la chancelière allemande, Angela Merkel, à en tirer les conclusions et à exhorter ses partenaires de l’Union Européenne (UE) à ne plus compter sur les Etats-Unis et à assumer leur propre sécurité. Les déclarations de Merkel, une première, sont une invitation aux Etats européens pour qu’ils allouent les ressources nécessaires à leur défense commune et mettent en place une stratégie militaire autonome, loin de l’hégémonie des Etats-Unis. La position défendue par Merkel ne signifie cependant pas qu’elle a fermé la porte à la coopération avec Washington. Elle sait parfaitement que la sécurité de l’Europe est fortement liée aux capacités militaires américaines et que les pays européens sont loin de pouvoir assurer seuls leur défense face à des menaces extérieures graves.
La position de Trump envers la sécurité de l’Europe, bien qu’elle découle de sa volonté de donner la priorité absolue aux intérêts de son pays conformément à son slogan de campagne électorale « L’Amérique d’abord », a alerté les puissances européennes sur la nécessité d’arrêter le recul de leurs capacités militaires, constaté au cours des dix dernières années. Ainsi, les équipements militaires, tous types confondus, ont marqué un recul considérable : les hélicoptères d’attaque (-52 %), les chasseurs (-30 %), les frégates et destroyers (-15 %), les sous-marins nucléaires (-16 %) et les submersibles traditionnels (-20 %). Les effectifs des armées européennes ont également baissé de 23 %, ce qui représente 451 000 militaires, dont 108 000 pour l’armée allemande (37 % de ses effectifs), 46 000 pour l’armée britannique (30 %), 52 000 pour l’armée française (20 %) et 42 000 pour l’armée polonaise (30 %). Certes, cette tendance à la baisse des effectifs est observée chez toutes les grandes puissances, mais le taux de déclin dans les armées européennes est deux fois celui des Etats-Unis et de la Russie et six fois celui de la Chine.
Ce qui précède reflète le non-respect par les pays européens de la recommandation de l’Otan de consacrer 2 % de leur PIB à la défense. Les membres européens de l’Alliance allouent ensemble 1,2 % du PIB par an aux dépenses militaires, ce qui est nettement inférieur au taux observé aux Etats-Unis (3,3 %) et en Russie (3,7 %). Si la Chine ne consacre que 1,3 % du PIB à la défense, elle a quadruplé son budget militaire pendant les dix dernières années. Pour que les membres européens respectent la recommandation de l’Otan, ils doivent augmenter leurs budgets militaires d’environ 98 milliards d’euros par an.
La décision du Royaume-Uni, en juin 2016, de se retirer de l’UE a renforcé la conviction des dirigeants européens partisans d’une Europe forte de la nécessité de consolider les capacités de défense communes et de mettre en place des structures et des mécanismes de sécurité parallèles à ceux de l’Otan. Merkel a réalisé que le reniement par Washington de ses engagements atlantiques ainsi que le Brexit signifient que l’UE ne peut plus compter sur les Etats-Unis et le Royaume-Uni de manière fiable en cas de sérieuses menaces de sécurité. D’où la nécessité de construire une capacité militaire européenne indépendante. L’élection en mai dernier en France d’un président partisan de l’Europe, Emmanuel Macron, était une occasion en or pour Merkel afin de mettre en place son projet de défense commune européenne. Il est établi que, après le Brexit, la construction d’une Europe de la défense ne peut se faire que si l’Allemagne et la France, les deux plus grandes économies de l’UE, conjuguent leurs efforts.
Le chemin vers une Europe de la défense reste toutefois semé d’embûches. Il n’y a pas encore d’accord entre le couple franco-allemand sur la nature de cette construction, ses règles d’intervention dans les conflits et les mécanismes de coordination avec l’Otan. Berlin et Paris devraient également surmonter la résistance prévue d’autres membres de l’UE qui doutent de l’utilité du projet et de l’efficacité d’agir en dehors de l’Otan et du commandement militaire américain. Pour passer outre cette réticence, le couple franco-allemand envisage la construction d’une Europe de la défense entre ceux qui croient en l’utilité du projet. Enfin, les politiques d’austérité qui sont actuellement menées par la majorité des gouvernements européens posent de sérieuses contraintes à l’augmentation des budgets de défense nécessaires au développement des programmes d’armement et de formation commune et à l’intégration des forces armées.
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