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Macron et le monde arabe

Lundi, 08 mai 2017

Comme prévu par tous les sondages d’opinion, le candidat indépendant du centre, Emmanuel Macron, a remporté le second tour de la présidentielle en France, le 7 mai, face à la candidate de l’extrême droite, Marine Le Pen. Son score confortable (66 %), malgré une abstention record, s’explique par le report en sa faveur des voix du centre gauche et du centre droit, dont les dirigeants, notamment le président sortant François Hollande et le candidat du parti Les Républicains, François Fillon, ont appelé à voter pour lui afin de barrer la route du pouvoir à la candidate du Front national.

Dans le monde arabe, en forte ébullition depuis plusieurs années, Macron est attendu sur une multitude de dossiers brûlants et délicats, dont la lutte contre l’Etat Islamique (EI), le conflit syrien, la question palestinienne, le rôle de l’Iran dans la région, etc. Mais avant d’aborder ses positions sur les grands dossiers de la région, il convient d’expliquer sa vision du monde et de la place qu’occupe l’action extérieure de la France. Le nouveau chef d’Etat croit en la nécessité d’une ouverture sur le monde extérieur et aux avantages de la mondialisation sous toutes ses formes économiques, politiques et culturelles. Plus précisément, il croit que la mondialisation s’impose à tous grâce à la révolution des technologies de l’information et de la communication et que, par conséquent, elle n’est pas à craindre, mais qu’il faudrait plutôt en tirer la meilleure partie à travers la concurrence avec les autres Etats. Pour lui, la mondialisation est un champ de compétition où sortiraient vainqueurs les plus puissants. D’où son appel à la refonte et au renforcement de l’Union européenne qui est, selon lui, le meilleur moyen de renforcer les capacités de la France dans le contexte de la mondialisation, où les petites entités aux faibles moyens n’ont pas leur place.

Macron et le monde arabe
Macron a bénéficié au second tour d'un report favorable des voix. (Photo:Reuters)

Cette vision du monde a un impact direct sur les politiques à suivre par le nouveau président français dans le monde arabe. Macron, qui s’est rendu en Algérie, en Tunisie, au Liban et en Jordanie lors de sa campagne électorale, serait désireux de s’ouvrir sur la région, vu les multiples intérêts politiques, économiques et stratégiques qui lient celle-ci à la France. Sa politique serait dans ce sens un prolongement de celle suivie par Hollande. L’urgence d’apporter des solutions aux diverses crises que traverse la région, dont l’impact est certain sur la France et l’Europe, décuple l’intérêt que devrait porter Paris à sa politique arabe. Il suffirait de citer ici le danger du terrorisme qui frappe particulièrement la France, mais aussi d’autres pays européens, dont la Belgique et l’Allemagne. Il est évident qu’une lutte efficace contre ce fléau, dont la manifestation la plus patente est celle représentée par l’EI, ne peut se faire sans une coopération et une coordination globales, dont les pays arabes sont une pièce maîtresse. Il n’est pas fortuit dans ces conditions que Macron, ainsi que tous les candidats malheureux à la présidentielle française, fasse de la lutte antiterroriste « la priorité des priorités » en matière de politique étrangère vis-à-vis du monde arabe. Outre l’usage de l’outil militaire contre Daech et l’islamisme radical, il estime nécessaire de trouver des solutions politiques aux conflits de la région car, selon lui, l’EI et les autres mouvements islamistes radicaux sont nés de la déstabilisation des Etats. La nécessité d’endiguer le flux de réfugiés et de migrants en provenance — ou en transition — de pays arabes est une autre raison d’engager une politique active en direction de la région. Selon les prises de position annoncées jusqu’ici par le nouveau président, la politique arabe de Macron devrait représenter une certaine continuité avec la politique de son prédécesseur, mais aussi apporter des éléments nouveaux. La position de Macron sur la question palestinienne est une continuité avec la politique suivie jusqu’à maintenant par Paris. Il soutient ainsi la solution à deux Etats. Il s’accorde avec Hollande à refuser de reconnaître à l’heure actuelle un Etat palestinien car, selon lui, une telle reconnaissance « ne sert à rien ». Il est aussi opposé au mouvement de Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) contre Israël, mené par des ONG dans le but d’exercer des pressions visant, entre autres, la fin de l’occupation et de la colonisation des terres arabes et le respect du droit au retour des réfugiés palestiniens.

Mais le parallèle avec son prédécesseur s’arrête là. Exprimant le besoin de mener une « politique d’équilibre » au Moyen-Orient, le nouveau président se démarque de la politique de Hollande favorable à l’opposition armée en Syrie et qui a fait du départ du président Bachar Al-Assad un préalable à tout règlement du conflit. Tout en refusant de « pactiser » avec lui, Macron prône le dialogue avec le régime de Damas, ainsi qu’avec les puissances régionales, tel l’Iran, et internationales, telle la Russie, qui jouent un rôle important dans le conflit syrien, en vue de parvenir à une solution politique. Pour y arriver, il propose de créer un groupe de contact du type 5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu, plus l’Allemagne), à l’instar de celui qui avait engagé les négociations avec l’Iran autour de son programme nucléaire. Prenant ses distances vis-à-vis de la politique suivie jusqu’ici par Paris à l’égard de la Russie, Macron souhaite une normalisation des relations avec Moscou, interlocuteur incontournable du conflit syrien et allié de Damas.

Dans la même veine, Macron s’oppose à ce qu’il considère une politique française « trop favorable » à l’Arabie saoudite et réclame une ouverture en direction de l’Iran et une politique plus équilibrée entre ces deux puissances régionales rivales. Pour lui, négliger la République islamique, surtout après la conclusion de l’accord international sur son dossier nucléaire en juillet 2015, serait « une erreur » qui déséquilibrerait « la présence française » dans cette partie du monde. Par sa politique d’équilibre, Macron s’inscrit dans ce qu’il appelle une politique « gaullo-mitterrandienne », en référence aux anciens présidents Charles de Gaulle (1959-1969) et François Mitterrand (1981-1995). Il s’agit pour lui d’engager une politique extérieure indépendante et responsable, celle qui avait, selon lui, conduit l’ancien président Jaques Chirac (1995-2007) à refuser de participer à l’invasion américaine de l’Iraq en 2003. Par cette quête d’« équilibre », Macron cherche à l’évidence à devenir un interlocuteur crédible pour les principaux acteurs régionaux. Reprendre langue avec ces derniers serait, à ses yeux, un moyen de réduire la marginalisation de la France et de renforcer sa présence dans les affaires de la région.

Le nouveau président entend également renforcer les rapports traditionnels de la France avec les pays du Maghreb, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. Ces trois pays entretiennent effectivement avec Paris des relations particulières, dues à l’héritage colonial, la proximité géographique et la densité des rapports économiques. Les liens avec Alger continuent cependant à porter les stigmates de 132 ans de colonisation et de 8 ans de guerre d’indépendance meurtrière. La déclaration faite par Macron, lors de sa visite d’Alger en février dernier, suivant laquelle la colonisation française était un « crime contre l’humanité », est à l’évidence une tentative de surmonter ce lourd legs du passé ; la France ayant toujours refusé de présenter des excuses pour ses crimes commis pendant la colonisation de l’Algérie .

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