Quand la loi prend congé, le gouvernement se dérobe et les gens s’avilissent. Et quand les responsables deviennent incapables de protéger la population face à la barbarie de la rue, chacun cherche à s’approprier ses droits par ses propres moyens. Dans une société, l’une des situations les plus dangereuses est celle où le citoyen se trouve perdu entre un pouvoir impuissant et un monde dépourvu d’humanité et de compassion.
La majorité écrasante des Egyptiens se trouve aujourd’hui coincée entre des lois incapables de les protéger et une bande d’aventuriers sans scrupule, entre un gouvernement incapable de fixer des prix des marchandises et des commerçants qui ne s’intéressent qu’à accroître leurs bénéfices. Or, en l’absence de la loi, la société devient une jungle qui échappe à tous les droits et devoirs.
Le gouvernement parle beaucoup de la baisse des dépenses publiques, de la rationalisation des importations, de l’encouragement des exportations, mais il n’en est rien de tout cela. Tous les jours, des célébrations sont organisées, coûtant à l’Etat des millions de L.E., alors que les ministres, en voyage permanent, passent plus de temps à l’étranger que chez eux. Le gouvernement tire désormais son crédit des déclarations relatant les déplacements des ministres.
Je ne peux pas imaginer que le gouvernement, avec tout le pouvoir dont il dispose, est incapable de rationaliser le marché, de surveiller les prix et de mettre des limites à l’avidité des commerçants. Comment la livre égyptienne s’est-elle dévaluée de la sorte ? Comment est-il possible qu’une poignée d’agents de change et de commerçants jouent des prix des marchandises et du dollar, sans se heurter à un responsable capable de stopper leurs crimes ? Est-il possible de laisser une bande d’aventuriers stocker les marchandises pour hausser les prix, alors que les citoyens cherchent désespérément une bouteille d’huile, un kilo de sucre ou de riz ?
On lit souvent dans les journaux des nouvelles sur l’arrestation d’un agent de change, d’un intermédiaire ou d’un trafiquant avant d’apprendre qu’ils ont été remis en liberté. Même les voleurs de blé, ils ont payé des sommes à l’Etat pour un règlement à l’amiable. En l’absence de la loi, ce genre de règlement est devenu à la mode. Les escrocs de l’ère révolue se sont évadés emportant avec eux l’argent du peuple qu’ils ont pillé, alors qu’aujourd’hui, ceux qui volent la nourriture du peuple quittent les prisons sains et saufs.
Tous les jours, le gouvernement signe de nouveaux prêts sans prendre en considération l’augmentation faramineuse de la dette publique. Alors que le parlement, qui semble avoir à son tour attrapé la malédiction des « déplacements professionnels », n’a pas l’air de se soucier de ce genre de questions.
Vu les conditions difficiles que vit l’Egypte, j’appelle à la suspension des voyages des responsables à l’étranger, sauf en cas de force majeure. Quant aux autres promenades, les ministres et députés n’ont qu’à les payer de leur poche.
Jusqu’à quand le parlement continuera-t-il à se dérober à ses responsabilités face à la cherté des prix, à la montée du dollar, aux dépenses exagérées du gouvernement, aux prêts étrangers conclus en dehors de tout calcul rationnel, et surtout face aux affaires de corruption qui sont réglées à l’amiable et en l’absence de la loi ?
Ce n’est qu’un échantillon des péchés commis par le gouvernement. Mais il ne faut pas non plus oublier que parmi la population, certains ont profité de la situation pour amasser les gains aux dépens des plus pauvres.
La guerre du dollar est aujourd’hui menée par une bande de trafiquants. Autrefois, les organismes de l’Etat avaient le pouvoir de dissuader les commerçants avides de gain, alors qu’aujourd’hui, le gouvernement encaisse les défaites comme dans un tournoi de foot.
Toutes les semaines, la Banque Centrale injecte 120 millions de dollars dans le marché. Les commerçants ne tardent pas à les engloutir pour ensuite imposer leurs prix. Certains hommes d’affaires ont laissé de côté leurs activités pour se consacrer entièrement au commerce de devises qui leur permet de réaliser des gains importants et rapides. Ils ont acheté le dollar à 8 L.E. il y a quelques mois, et le revendent aujourd’hui à 15 L.E., soit un gain illicite de près de 100 %, tout en évitant le casse-tête des impôts, des salaires des employés, etc. Ils sont en train de détruire l’économie du pays.
Par ailleurs, les commerçants malhonnêtes agissent en toute impunité, défiant le gouvernement et le peuple, et ce, malgré les fatwas mettant en garde contre le marché noir et les spéculations « interdits par la religion ».
Les spéculateurs continuent à pomper la population sans aucun sens de la responsabilité ou de l’appartenance. Je ne crois pas qu’un gouvernement puisse laisser la monnaie locale s’effondrer ainsi sans faire preuve de fermeté !
Mais quelle serait la solution ? C’est de rétablir la loi et de poursuivre en justice les commerçants et les spéculateurs qui pillent le peuple et qui privent les citoyens de leur droit à une vie digne. Le commerce des devises est un crime, tout comme le recel des marchandises dans l’objectif de les revendre à un prix plus élevé. Personne ne sait jusqu’où ira le silence du gouvernement face à ces catastrophes. Je ne pense pas qu’il suffirait de sermonner les voleurs et de régler les problèmes avec les corrompus à l’amiable. La crise en Egypte n’est pas uniquement celle du sucre et du riz, c’est avant tout une crise de conscience aggravée par la faiblesse de l’Etat .
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