Les relations turco-russes sont tendues depuis la destruction, par l’armée turque, le 24 novembre dernier, d’un avion bombardier russe au-dessus de la Syrie. Tandis qu’Ankara dénonce des « violations répétitives » de son espace aérien par l’aviation russe, affirmant que l’avion en question s’était « glissé à l’intérieur de son espace aérien », Moscou rejette cette version des faits et parle d’un « acte délibéré d’hostilité ». Une rencontre à Belgrade entre le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, et son homologue russe, Sergeï Lavrov, n’a pas permis de dissiper la tension entre les deux pays. Sur fond de polémique, les autorités russes ont ordonné des sanctions économiques contre la Turquie, notamment un embargo sur les importations de fruits et légumes turcs, et ont rétabli les visas pour les citoyens turcs à partir du 1er janvier prochain. La Russie a également annoncé cette semaine le gel du projet de gazoduc TurkStream, qui devait permettre d’acheminer le gaz russe jusqu’en Europe via le territoire turc, en contournant l’Ukraine. Moscou a par ailleurs interdit aux compagnies russes d’embaucher des citoyens turcs. Face à ces décisions, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a assuré que son pays allait trouver d’autres fournisseurs d’énergie que la Russie. La Russie est le principal fournisseur d’énergie de la Turquie, à qui elle livre 55 % de ses besoins en gaz et 30 % de ceux en pétrole. Ankara importe 90,5 % de son pétrole et 98,5 % de son gaz naturel. La Turquie est le 5e partenaire commercial de la Russie. Le volume des échanges entre les deux pays se chiffrait en 2014 à 29 milliards d’euros, et sur les 8 premiers mois de 2015 à 17 milliards.
La portée de cette crise entre Ankara et Moscou est bien plus profonde qu’elle n’y paraît. En dépit d’un certain rapprochement au cours des dernières années, la Russie et la Turquie sont en collision sur le conflit syrien. Les deux pays poursuivent, en effet, des objectifs diamétralement opposés. Ankara a toujours été hostile au président syrien Bachar Al-Assad, tandis que Moscou, qui cherche à garder son dernier bastion dans la région du Moyen-Orient depuis la fin de la guerre froide, a toujours défendu bec et ongles le régime de Damas. La Turquie poursuit des objectifs de guerre différents de la Russie. Ankara estime, en effet, que le plus grand danger pour elle n’est pas l’Etat islamique, mais la création d’une zone autonome kurde en Syrie, alors que Moscou qui, par le passé, a souffert des combattants islamistes dans le Caucase, veut détruire toute opposition islamiste au régime de Bachar Al-Assad. La Turquie, enfin, est partagée entre sa participation officielle à l’Otan et sa solidarité avec les pays sunnites et avec la révolte des sunnites qui a mené à l’éclosion de l’Etat islamique. Toutes ces considérations expliquent la tension politique entre Moscou et Ankara, tension qui complique la formation d’un front anti-EI et dont les deux pays feraient partie .
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