En décidant au début du mois de mettre un terme à la suspension d’une partie de leur assistance militaire à l’Egypte, les Etats-Unis ont opté pour plus de réalisme politique dans leurs rapports avec un allié de longue date. La décision concernait les gros matériels d’armement : 12 chasseurs F-16, 20 missiles Harpoon et des pièces pour 125 chars d’assaut Abrams. La suspension, annoncée en octobre 2013, était une source de tension dans les relations bilatérales, après la destitution de l’ancien président Mohamad Morsi, issu des Frères musulmans.
Depuis, les Etats-Unis suivaient une politique ambivalente envers l’Egypte, dont le symbole le plus en vue était leur assistance militaire de 1,3 milliard de dollars par an. Alors qu’ils l’ont maintenue nominalement, une partie a été suspendue, celle concernant sa composante la plus importante : les armes lourdes et les plus sophistiquées, symbole du rapport spécial et du partenariat stratégique forgés depuis l’accord de Camp David en 1978 et du Traité de paix égypto-israélien en 1979. Washington réclamait, pour lever la suspension, une politique intérieure plus inclusive, en référence aux Frères musulmans, et du progrès sur les plans de la démocratie et des droits de l’homme.
Mais depuis la suspension, beaucoup de choses ont changé dans la région, poussant les Etats-Unis vers plus de réalisme politique, en vue de défendre leurs propres intérêts au Moyen-Orient. Il s’agit en premier de l’exacerbation de la menace terroriste, symbolisée notamment, mais pas exclusivement, par l’apparition et l’extension de la menace de l’Etat Islamique (EI) en Syrie, en Iraq et ailleurs. Le fait que Le Caire joue aujourd’hui un rôle de premier plan dans la lutte antiterroriste y est pour beaucoup dans la décision américaine. L’Egypte et l’Arabie saoudite étaient les forces majeures derrière la création en mars denier d’une force arabe commune en vue d’intervenir au Yémen contre les rebelles houthis et leurs alliés iraniens. Sous cet angle, l’Egypte est vue par Washington comme une force de stabilisation de la région, contre celles, comme Téhéran et certains de ses alliés, qui cherchent à remettre en cause l’ordre établi, favorable aux Etats-Unis. Le fait que des alliés de Washington, comme Le Caire et Riyad, interviennent militairement contre les groupes terroristes ou pour maintenir l’ordre établi, épargne à Washington toute implication directe dans les conflits du monde arabe. Cet objectif était parmi les priorités du président Obama depuis son arrivée au pouvoir en janvier 2009. La décision de Washington de reprendre son assistance militaire était également motivée par la volonté de ne pas perdre son allié égyptien et des parts de marché au profit d’autres concurrents. La suspension des armes lourdes a poussé Le Caire à aller chercher ce matériel ailleurs. Il est ainsi entré en négociation avec la Russie pour un contrat d’armes de 3,5 milliards de dollars et a conclu en février avec la France un accord de 5,5 milliards de dollars pour l’achat de 24 chasseurs Rafale.
La décision américaine de reprendre la totalité de l’assistance militaire à l’Egypte comporte toutefois la suppression, à partir de l’année 2018, de la disposition qui permettait à l’Egypte de pré-conclure de gros contrats d’armement qui seraient financés à des conditions avantageuses par l’aide américaine allouée les années ultérieures. La suppression de cette disposition signifierait que l’Egypte aura plus de mal à obtenir des armes lourdes américaines. Ce développement correspond aux priorités des Etats-Unis et à leur vision sur l’usage des armes transférées à l’Egypte. Pour eux, ces priorités doivent aller à la lutte antiterroriste, le contrôle des frontières et la sécurisation des voies maritimes. Des tâches qui nécessiteraient des armes légères et intelligentes et non des armes lourdes utilisées normalement dans les combats conventionnels. C’est dire que la relation spéciale et le partenariat stratégique entre l’Egypte et les Etats-Unis ne seront plus comme avant, au moins jusqu’à la fin du mandat d’Obama, fin 2016. Il faudra attendre le nouveau président américain pour savoir si Washington adoptera une nouvelle politique envers son allié égyptien.
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