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Moqattam : Le calvaire du voisinage

Hanaa Al-Mekkawi, Lundi, 01 avril 2013

Ce quartier haut perché du Caire, connu pour son calme et sa quiétude, se retrouve au coeur d’incidents violents, car le siège de la confrérie des Frères musulmans est la cible d’attaques. Les habitants en subissent les conséquences. Reportage.

Moqattam

« Comment reprendre une vie normale après avoir vu des jeunes s’entretuer devant moi. De plus, il est difficile de faire la distinction entre les deux camps », raconte Ahmad, journaliste. Il parle de l’enfer vécu par les habitants du quartier Moqattam, situé au sud-est du Caire, suite aux affrontements sanglants entre manifestants et Frères musulmans. Les premiers étaient venus pour occuper le siège de la confrérie et les autres étaient là pour défendre ce symbole, qu’ils considèrent comme leur propriété. Pourtant, Ahmad a été surpris de voir des gens envahir son appartement et l’agresser. La bataille s’est déroulée devant ses yeux et les murs de son domicile sont encore maculés de sang. En fait, tout le monde est encore sous le choc après les incidents violents qui ont lieu, vendredi 22 mars, à Moqattam. Mais ce sont surtout les habitants de ce quartier qui ont vécu un cauchemar. Après la place Tahrir et Ittihadiya, Moqattam est devenu la nouvelle direction des protestataires.

« Les bombes lacrymogènes atterrissaient dans les balcons et les enfants étaient effrayés. Ils assistaient à une bataille en direct », dit Fatma, femme au foyer et qui a décidé de quitter son appartement pour se réfugier chez sa mère à Doqqi, un quartier plus lointain. Elle ne sait pas quand elle pourra revenir chez elle. « Durant les deux ans qui se sont écoulés, on se croyait chanceux d’habiter cette colline haut perchée et paisible. On se sentait en sécurité quand soudain, nous nous sommes trouvés au coeur des violences », poursuit Fatma. Ses voisins sont aussi convaincus que dorénavant, les rues de leur quartier ne connaîtront plus le calme, à cause de la présence du siège des Frères musulmans, des manifestants et des médias.

En fait, il est devenu courant de voir une famille quitter son appartement pour se réfugier chez des proches, le vendre ou même quitter le pays. Ils pensent tous que l’Egypte n’est plus la même, que l’avenir est incertain, mais surtout que leur quartier, leur rue et leur demeure sont exposés au danger. Ils ne se sentent plus en sécurité chez eux. « Comme si le conflit politico-social du pays avait été transféré chez nous et que nous étions en train d’en subir les conséquences », dit Diyaa Farid, médecin habitant ce quartier. Il ajoute : « C’est ce que veulent les Frères musulmans : faire partir les habitants du quartier pour qu’ils l’occupent entièrement ». Surtout, toujours selon lui, qu’ils ont les moyens et sont en train d’acheter ou de louer des appartements et des magasins dans tout le quartier. Farid, comme tous les habitants de Moqattam, a peur. Il est aussi triste de voir son cher quartier se transformer en un champ de bataille. Moqattam, qui est réputé pour être l’endroit le plus calme de la capitale, est actuellement sous les feux des projecteurs à cause des affrontements entre manifestants et Frères musulmans.

« Ma grand-mère m’a dit que notre immeuble a été le second bâtiment à avoir été construit dans ce quartier. Cela fait 24 ans que je vis ici. Mon enfance a été très heureuse et mes amis m’ont toujours envié pour le calme qui domine le quartier. Maintenant, c’est moi qui fuis la colline pour aller me réfugier chez eux en quête d’un peu de calme », rapporte Bassem, étudiant et qui habite la rue 10, mitoyenne du siège de la confrérie. Les manifestants voient en cette bâtisse un symbole des Frères musulmans et donc du pouvoir. Et la confrérie considère ce siège comme étant un endroit sacré auquel il ne faut pas toucher.

Moqattam
Les confrontations du vendredi 22 mars entre le trio : forces de sécurité, manifestants et Frères musulmans ont transformé les rues 9 et 10 en un enfer.

Message au pouvoir

C’est au niveau de la rue 10 qu’ont eu lieu les affrontements les plus sanglants. Accompagnés de journalistes et de photographes, les activistes se sont dirigés vers ce quartier pour dessiner des graffitis et protester contre les Frères musulmans. Ils voulaient en quelque sorte transmettre un message aux hommes du pouvoir, mais le service de sécurité du siège et les membres de la confrérie ont considéré cette démarche inacceptable et ont perdu tout contrôle. Une bataille rangée a eu lieu tout le long de la rue 10 dont les conséquences ont été ressenties dans tout le quartier.

« Tous ces affrontements ont lieu à cause de ce siège. Les manifestants veulent l’attaquer et les Frères musulmans veulent le protéger. Par conséquent, le sang a coulé dans les deux camps », lance avec exaspération Emad Medhat, propriétaire d’une pharmacie dans ce quartier. Il parle tout en se préparant à fermer sa pharmacie et ignore combien de temps cela va durer : quelques heures ou une semaine, selon l’ampleur des événements dont on ne peut prévoir, ni la durée, ni les effets.

Un coup d’oeil sur la rue 10 et les rues des alentours explique les choses. Des portes en fer forgé ont été installées tout récemment pour protéger les vitrines des magasins, dont la majorité restent fermés nuit et jour. Des sacs de sable sur lesquels on a entreposé des briques bloquent les entrées des immeubles. Les voitures ont été garées loin des rues principales. Bref, un état d’alerte domine l’endroit et l’on peut le ressentir dans le regard des gens. « Tu es un habitant ou un visiteur ? Tu es de quel camp ? », une question que voudraient poser les riverains à chaque passant.

« La situation est difficile. On n’arrive ni à étudier, ni à dormir tranquillement, ni à marcher en toute sécurité dans la rue », dit Bassem. Il ajoute qu’il est triste d’avoir à entendre des insultes que s’échangent les jeunes des deux camps. Le fait d’être au coeur de l’événement, de voir du sang et d’éprouver cette crainte d’avoir son domicile envahi à n’importe quel moment, sont devenus des détails auxquels il faut s’attendre dorénavant.

Une raison suffisante pour que les jeunes et les hommes du quartier forment des comités pour se protéger. « Autant mourir que de laisser quelqu’un pénétrer dans ma maison », lance Bassem qui, avec ses voisins, passent leur week-end à veiller sur leurs biens et leurs familles.

Mais vivre une telle situation est insupportable. Ainsi, les habitants se sont mis d’accord sur l’importance de réclamer le transfert du siège de la confrérie en dehors de ce quartier. Alors une campagne de collecte de signatures a commencé pour atteindre ce but.

Procès intentés

Moqattam
Les manifestants ont brûlé les bus qui ont transporté des centaines des Frères musulmans venus pour défendre leur siège à Moqattam.

Construit il y a quelques années, ce bâtiment est devenu la propriété des Frères musulmans après la révolution. Les responsables du bureau de la confrérie l’ayant acquis par l’intermédiaire d’un entrepreneur. Au début, il était constitué seulement de deux étages, mais au fil des ans, des étages ont été rajoutés. On en compte sept actuellement. A chaque nouvel étage, les voisins portent plainte, car la municipalité n’autorise que cinq étages dans ce périmètre. Bref, ce bâtiment transgresse la loi. « L’attitude des nouveaux occupants de cette bâtisse ressemble à celle de tous les Frères, y compris le président », dit Réda Nosseir, habitant de la rue 10. Ce dernier, tout comme ses voisins, sont presque sûrs que rien ne changera à cause de l’obstination des Frères musulmans, mais il affirme qu’ils ne resteront pas passifs. Des procès ont été intentés contre le gouverneur du Caire et la municipalité pour ne pas avoir réagi contre les transgressions flagrantes du siège. « Même si ces infractions ne représentent pas de vrai danger, cependant, c’est une bonne raison pour que le siège soit transféré », affirme Nosseir.

Depuis son existence, le siège est une matière fertile aux rumeurs et critiques : il existe tout un étage consacré à l’espionnage. On dit aussi qu’à l’intérieur, on cache des personnes enlevées pour les interroger. Et beaucoup d’autres rumeurs circulent autour de ce siège. Les manifestants fustigent surtout le rôle occulte que joue le guide de la confrérie et son influence sur la politique du président issu de la confrérie.

Moqattam
Les membres des deux camps, Frères musulmans et manifestants, ont occupé les rues de Moqattam tandis que les habitants se sont enfuis.

« Quel est le statut de Mohamad Badie, guide des Frères musulmans, pour qu’il se donne le droit de rencontrer des présidents, des ministres et des ambassadeurs des pays étrangers ? Pourquoi fait-il des discours au peuple ? Quelle est l’importance du siège d’une confrérie auparavant illégitime pour que le ministère de l’Intérieur le protège tandis que les citoyens n’ont pas ce droit dans la rue ? », se demande Ihab Adnan, jeune activiste.

Entre les manifestants qui viennent attaquer le siège pour défendre leur dignité et les Frères musulmans qui défendent leur siège sous prétexte de protéger leur propriété, il semble que les habitants des alentours sont excédés.

Cependant, ces mêmes habitants n’hésitent pas à porter secours aux blessés. Alors en gardant leurs domiciles, on voit des femmes jeter des oignons et du vinaigre aux manifestants, pour qu'ils se protègent des gaz lacrymogènes. Ils n’hésitent pas également à allumer les lumières des balcons, car le courant a été coupé dans les artères principales. « Ne pas être d’accord avec tout ce qui se passe ne nous empêche pas d’être humains, surtout que chaque camp pense qu’il a raison », estime Lamia, femme au foyer.

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