Jeudi, 16 janvier 2025
Dossier > Donald Trump >

Le monde de Trump

Ezzat Ibrahim , Mercredi, 13 novembre 2024

C’est dans un contexte de mutations profondes, tant à l’interne qu’au niveau de l’ordre mondial, que Donald Trump fait son retour à la Maison Blanche. Un deuxième mandat qui s’annonce de fait différent du premier, avec toutefois le maintien d’un certain nombre de politiques fondamentales. Décryptage.

Le monde de Trump

« Bien que nous ne connaissions pas la composition du nouvel ordre, nous savons que Trump en sera au sommet », a écrit un éditorialiste de Foreign Affairs après les élections américaines, qui ont connu une vague rouge sans précédent. Il s’agit d’un véritable dilemme d’avoir affaire à un ancien président controversé à la tête d’un mouvement de changement politique et social aux Etats-Unis. Un président dont le premier mandat était caractérisé par une grande agitation, ainsi qu’une tentative de changer les politiques mondiales et qui s’était terminé par le désastre de la prise d’assaut du Capitole par ses partisans.

Malgré tout cela, il est revenu au pouvoir pour un deuxième et dernier mandat qui devrait témoigner de profonds changements dans le régime politique américain à la lumière du large soutien dont il jouit et qui prédit des mutations profondes dans les relations des Etats-Unis avec le monde et dans son rôle au sein de l’ordre mondial.

Il existe une perception traditionnelle selon laquelle le Parti républicain est divisé en deux camps : l’aile reaganienne, qui adhère aux vieilles idées prônant un rôle de premier plan des Etats-Unis sur la scène internationale, et le mouvement MAGA (Make America Great Again), dirigé par Trump, qui adopte des idées isolationnistes et qui préfère éviter l’intervention des Etats-Unis dans les crises et les conflits mondiaux. D’aucuns affirment que ces perceptions des deux camps sont inexactes, et qu’au contraire, le mouvement MAGA est favorable à l’engagement dans les affaires internationales, peut-être même plus que les républicains traditionnels. Selon une étude réalisée en juin dernier par l’Institut Ronald Reagan, deux tiers des républicains soutiennent fermement les idées de MAGA.

Les partisans de MAGA ont ainsi déclaré qu’ils soutenaient une position dure sur les questions mondiales, qu’il s’agisse de l’Ukraine, de Taïwan, d’Israël, de la Chine, des droits de l’homme ou de la démocratie, et n’adoptaient pas du tout de positions isolationnistes. Avec cependant une priorité accordée aux questions nationales plutôt qu’aux affaires internationales, sans que cela signifie un retrait de la scène mondiale. D’autre part, l’étude montre que 72 % soutiennent Israël dans sa guerre contre Gaza et 75 % l’envoi d’armes à Israël, tandis que les taux étaient plus faibles parmi le camp traditionnel.

Libéralisme versus isolationnisme

En général, on considère le président élu comme un isolationniste dont les opinions ne s’alignent pas totalement sur les idéaux et les intérêts américains. Certains se montrent sceptiques quant à la réélection de Trump, craignant qu’il ne démantèle l’ordre libéral que les Etats-Unis et leurs alliés ont construit et défendu depuis la Seconde Guerre mondiale, une crainte qui a envahi le continent européen après son élection. « Représenter l’America First comme une déviation de l’expérience américaine est une incompréhension de ses profondes racines historiques et idéologiques, ainsi que de son grand attrait politique », affirme l’éditorialiste Charles Kupchan, ajoutant que la gouvernance de Trump est une réponse à un monde en mutation et à la demande des électeurs américains, et non une tentative de démanteler le monde que les Etats-Unis ont façonné.

Les déclarations de Trump et de certains de ses conseillers laissent entrevoir la nature de la politique étrangère. Il parle clairement de construire l’intérieur des Etats-Unis pour qu’ils soient forts et prestigieux face aux différents pays du monde, notamment les puissances montantes comme la Chine. Des sources du Parti républicain indiquent que les partisans des idées isolationnistes traditionnelles seront peu nombreux au sein de la prochaine administration et qu’ils n’auront pas beaucoup d’influence sur la politique étrangère. En même temps, Trump a réussi à se débarrasser des partisans de l’interventionnisme, comme l’ancienne candidate aux primaires des républicains Nikki Haley, ainsi que des membres du mouvement néoconservateur qui a entraîné les Etats-Unis dans la guerre d’Iraq, que Trump avait attaqué à l’époque.

Les craintes sont tout à fait justifiées vu que Trump avait déclaré qu’il souhaitait se débarrasser de certains éléments fondamentaux de l’ordre libéral dirigé par les Etats-Unis et imposer de nouvelles tendances telles que des politiques de marginalisation des institutions internationales et l’imposition de droits de douane et de mesures protectionnistes face à la concurrence intense avec la Chine. Une tendance qui n’a pas été observée depuis la Seconde Guerre mondiale.

Reconstruire la puissance américaine

Les démocrates n’ont pas compris l’attrait du mouvement MAGA dans la rue américaine, en particulier son appel à reconstruire la puissance américaine, dont l’impact a été évident dans les urnes le 5 novembre. Trump résume son approche en reprenant la célèbre phrase de l’ancien président Donald Reagan sur la manière de parvenir à « la paix par la force ». Il s’engage à augmenter les dépenses militaires, à éloigner le Pentagone de toute mesure d’austérité potentielle et à soutenir la construction d’un nouveau bouclier antimissile, une vieille idée datant de l’époque de Reagan.

A l’étranger, la conclusion la plus importante à tirer de la rhétorique politique que Trump ramène à la Maison Blanche est sans doute que les alliés les plus proches des Etats-Unis en Europe et en Asie de l’Est doivent se ressaisir et admettre que les grandes puissances — garantes de leur sécurité — ne peuvent plus porter ce fardeau à long terme et qu’ils doivent élaborer leurs propres plans. La déclaration du président français, Emmanuel Macron, immédiatement après l’annonce de la victoire de Trump exhortant l’Europe à ne plus « déléguer » sa sécurité aux Américains était révélatrice de l’intention de l’Europe d’adopter une nouvelle approche, en particulier après que certains pays européens ont approuvé des plans visant à augmenter leurs dépenses militaires. Il s’agit là d’un dilemme majeur, car les Etats-Unis imposent leur hégémonie sur l’ordre mondial en nouant des alliances plutôt qu’en se désengageant de leurs alliés.

 D’autre part, Trump continuera à faire pression sur la Chine, qu’il considère comme une priorité absolue et la plus grande menace, que ce soit par le biais du commerce ou en adoptant une nouvelle politique industrielle qui ramène la production aux Etats-Unis grâce à des incitations fiscales et à des droits de douane qui pousseront de nombreux fabricants à revenir sur le territoire américain.

Nouvelle réalité mondiale

Trump entre à la Maison Blanche le 20 janvier 2025 dans des circonstances mondiales différentes de celles qui prévalaient lorsqu’il l’a quittée en janvier 2021. Entre-temps, il y a eu les conséquences économiques du Covid-19, la guerre en Ukraine qui a éclaté en 2022, l’accord de partenariat stratégique entre la Chine et la Russie et l’extension de l’influence régionale de l’Iran. Puis la guerre à Gaza, l’extension du conflit au Liban et les attaques réciproques entre Israël et l’Iran. D’où une question cruciale : quelle sera la position de Trump envers des événements qu’il n’a pas vécus au cours de son premier mandat ?

Il est certain que les événements survenus au Moyen-Orient au cours des treize derniers mois n’ont laissé personne dans la région regretter le départ du président américain Joe Biden et de son Administration démocrate, qui ont adopté une politique favorable à Israël et ont laissé les confrontations militaires s’intensifier. Depuis le 7 octobre 2023, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a tendance à ignorer les démocrates. Il est donc peu probable que Netanyahu réponde à une quelconque demande de l’Administration Biden au cours des deux prochains mois avant l’investiture de Trump.

Par ailleurs, les circonstances dans lesquelles Trump, qui se décrit comme le président américain le plus pro-israélien de l’Histoire, prendra ses fonctions sont très différentes de celles de son premier mandat. Il avait donné ses ordres de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem et de reconnaître la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan. Il avait également commencé à parrainer les Accords d’Abraham qui se sont soldés par une normalisation entre Israël et sept pays arabes.

Mais aujourd’hui, Israël mène des guerres sur sept fronts, depuis Gaza à la Cisjordanie, en passant par le Liban, l’Iran, la Syrie, l’Iraq et le Yémen. Tout au long de sa campagne électorale, Trump a attaqué les démocrates pour avoir donné des instructions à Netanyahu qui contraignent le droit d’Israël à s’auto-défendre et sa capacité à asséner une défaite totale au mouvement Hamas, selon ses dires. Des experts israéliens prévoient que la façon dont Trump traitera avec Netanyahu changera à la lumière des conjonctures qui pourront faire basculer la région dans une guerre globale, qui sera certainement évitée par le président élu si nous appliquons les principes de base adoptés par Trump consistant à ne pas exposer les soldats américains à un danger externe, ou à ne pas épuiser les sources du pays dans des guerres extérieures. D’autant que tout cela représenterait un fardeau sur Netanyahu qui est très enclin à ce que le soutien militaire américain se poursuive. Il est possible que Trump laisse son ami Netanyahu réaliser ses objectifs affichés sur le court terme, mais il peut lui poser des contraintes quant à l’acheminement du soutien militaire sur le long terme. Et ce, pour affirmer sa réticence à tomber dans le piège du Moyen-Orient.

Au Moyen-Orient, des fluctuations

Dans un rapport de la BBC, Michael Oren, ex-ambassadeur d’Israël à Washington, affirme que le Trump du second mandat diffère de celui du premier. Selon lui, Trump n’aime pas les guerres et les voit coûteuses. Raison pour laquelle il a appelé à un arrêt immédiat de la guerre à Gaza. Il n’est pas non plus satisfait des colonies israéliennes implantées en Cisjordanie occupée. En outre, il s’oppose à la volonté de certains dirigeants israéliens d’annexer une partie de la Cisjordanie.

Steven Cook, chercheur auprès du Conseil des relations extérieures, suspecte l’introduction d’un certain changement au Moyen-Orient. Il a déclaré à la revue Foreign Policy que Trump n’était pas d’accord avec le calendrier de Netanyahu, mais qu’il n’exercera pas de pressions sur lui et donnera plus de temps à Israël.

Trump n’a pas de plan sur la manière de gérer la situation actuelle à Gaza. Mais son expression « fin de la guerre » signifie, de son point de vue, qu’Israël remporte une victoire complète avant tout cessez-le-feu pour éviter que les organisations armées soutenues par l’Iran ne redeviennent pas une menace pour Israël. Après l’assassinat de Sinwar en octobre dernier, Netanyahu adopte ce même point de vue : celui de la résignation complète du Hamas, la remise des armes et la libération des prisonniers.

D’autre part, loin du conflit actuel, Washington n’exerce aucune pression sur Israël concernant la solution à deux Etats. Certains responsables de la nouvelle Administration soutiendront le projet du « Grand Israël », tandis que d’autres feront pression pour une normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël dans le cadre de ce que l’équipe considère comme la plus grande réussite du premier mandat.

En ce qui concerne l’Iran, toutes les estimations évoquent une politique plus ferme à l’égard de Téhéran. On s’inquiète même que Trump aille plus loin avec des sanctions radicales, voire une frappe militaire. Mais la question des prix du pétrole reste influente dans la décision américaine, car Trump a promis à ses électeurs des prix bon marché pour l’essence et les carburants, et toute intervention militaire américaine ou escalade israélienne non calculée pourrait conduire à des hausses sans précédent. Et ce, alors que les prix de l’énergie restent un facteur déterminant pour tout président. On sait que la politique de pression maximale a été élaborée par Stephen Mull, chef de l’équipe de transition de Trump au Département d’Etat américain, tandis que Brian Hook, ancien envoyé américain pour les affaires iraniennes, reviendra pour jouer un rôle dans la formation de la nouvelle Administration. Hook a récemment déclaré que Trump reviendrait à sa politique antérieure à l’égard de l’Iran. « Cela isolera Téhéran sur le plan diplomatique et l’affaiblira économiquement », a-t-il déclaré.

Cependant, la capacité de Trump à contenir l’influence iranienne au Moyen-Orient n’a pas prouvé sa réussite au premier mandat ; surtout après son retrait de l’accord sur le nucléaire. Mais aujourd’hui, Israël a accompli une grande partie de sa mission en liquidant d’éminents dirigeants ces derniers mois et en infligeant des coups douloureux à la force de dissuasion iranienne. Ce qui signifie que Trump peut encourager Netanyahu à mener des frappes plus efficaces contre l’Iran, y compris le projet nucléaire. Après quoi il commencera à négocier de la manière qui lui convient.

Les alliés régionaux

Selon Elbridge Colby, cofondateur et directeur de Marathon Initiative, un groupe de réflexion de Washington proche de Trump, qui a été sous-secrétaire adjoint à la défense pour la stratégie et le développement des forces sous Trump, le président élu ne cherche pas l’isolement, mais plutôt des alliances qui sont dans l’intérêt américain. Ce qui laisse penser que Trump cherchera à mener à bien son projet d’une large alliance au Moyen-Orient malgré le revers majeur causé par la guerre à Gaza et malgré la ligne dure de Netanyahu dans son projet expansionniste, qui implique la saisie des terres du nord de la bande de Gaza et le retour des colonies.

Trump devrait reprendre sa quête pour fonder une alliance en concluant un accord de défense avec l’Arabie saoudite, et peut-être sans attendre le rapprochement saoudo-israélien. Cet accord sera le noyau d’une meilleure entente dans toute la région. D’aucuns à Washington pourraient émettre des réserves sur l’accord américano-saoudien, compte tenu des concessions que les Etats-Unis offrent à leur allié le plus important de la région du Golfe. L’important contrat d’armement conclu entre Washington et Riyad à l’époque de Ronald Reagan (1980) a suscité des objections de la part des partisans d’Israël. Ainsi avait émergé le groupe de pression AIPAC pour défendre les intérêts israéliens. L’adoption de l’accord avec l’Arabie saoudite nécessite l’approbation des deux tiers du Sénat, ce qui signifie que les voix d’un certain nombre de membres démocrates sont nécessaires. Les Etats-Unis sont également ouverts à l’idée que les pays de la région acquièrent des réacteurs nucléaires à des fins pacifiques et que des négociations sur l’enrichissement de l’uranium aient lieu à l’intérieur ou à l’extérieur de ces pays.

En conclusion, un ensemble de développements géopolitiques et économiques imposent à l’Administration Trump d’agir d’une manière différente par rapport au premier mandat. L’équipe Trump mettra sans doute en oeuvre une politique plus audacieuse afin de parvenir à des règlements dans certaines crises majeures et d’affronter les puissances montantes, sans pour autant que les Etats-Unis interviennent militairement ou supportent des charges financières plus lourdes.

Mots clés:
Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique