Le soir de la victoire imprévue de Donald Trump en novembre 2016, je me suis promené dans l’atmosphère chargée de la ville de New York. Les partisans du candidat républicain se pressaient devant la Trump Tower qui donne sur la 5th Avenue. Les passants les observaient avec incrédulité, n’imaginant pas que cet homme, auparavant considéré comme une proie facile pour la redoutable candidate démocrate Hillary Clinton, ancienne secrétaire d’Etat chevronnée, allait, contre toute attente, lui arracher la victoire.
Dans la salle de rédaction du New York Times, la couverture de la soirée électorale s’est déroulée dans un climat d’optimisme, avec la certitude que Clinton allait remporter un premier triomphe dès l’apparition des résultats de la Floride. L’anticipation était telle que l’on préparait déjà la une du lendemain, avec la photo d’Hillary Clinton et un titre proclamant sa victoire. Mais, en l’espace de quelques instants, tout a basculé.
Le lendemain, j’ai pris le train de New York à Washington, impatient de continuer à couvrir l’actualité et de comprendre comment un candidat considéré comme un outsider populiste a pu accéder à la présidence. Washington était plongé dans une perplexité collective, aux prises avec une réalité qui défiait les prédictions des experts les plus chevronnés. Les groupes de réflexion commençaient à analyser les résultats des élections pour prévoir la nouvelle trajectoire de la politique étrangère américaine.
Quatre ans plus tard, le spectre de Trump plane à nouveau sur les cercles intellectuels et politiques de Washington. Sa sortie spectaculaire de la Maison Blanche en 2020, marquée par la prise d’assaut du Capitole par ses partisans qui avaient dénoncé une fraude électorale généralisée en faveur de Joe Biden, n’a fait qu’intensifier son influence. Aujourd’hui, avec son retour potentiel, l’incertitude qui accompagne son arrivée au pouvoir perturbe. Le monde entier attend de voir si Trump sera de retour, ou si c’est sa rivale Kamala Harris qui remportera l’élection, et ce, dans un contexte de doutes croissants quant à la capacité des Etats-Unis à gérer efficacement les affaires mondiales.
Défis géopolitiques majeurs
Au cours des trois dernières années, les Etats-Unis ont été confrontés à deux défis géopolitiques majeurs : l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la guerre israélienne à Gaza, ainsi que les opérations élargies contre les mandataires de l’Iran au Moyen-Orient. De nombreux experts américains en politique étrangère restent sceptiques quant à la capacité de Trump et de Harris à mener une politique étrangère convaincante. Les inquiétudes concernant Harris, qui s’est lancée dans la course à la présidence il y a un peu plus de 100 jours, portent essentiellement sur son expérience limitée en matière d’affaires étrangères.
Traditionnellement, les vice-présidents jouent un rôle mineur dans la diplomatie internationale, et Harris n’a pas encore montré qu’elle maîtrisait les questions mondiales. Elle est considérée comme une continuité potentielle de l’Administration Biden, susceptible de maintenir l’accent mis sur la consolidation des alliances avec les partenaires européens, le renforcement de l’OTAN et le soutien aux institutions internationales.
A l’inverse, Trump met en avant son expérience internationale, un aspect qui constituait un point de faiblesse lors de ses confrontations avec Clinton puis Biden. Trump met l’accent sur sa capacité à s’engager avec les dirigeants du monde entier, quel que soit leur éventail politique, et se positionne comme capable de naviguer de manière décisive dans les complexités de la diplomatie internationale.
L’approche américaine au Moyen-Orient semble manquer de stratégie cohérente dans le sens d’une désescalade ou d’une limitation de l’usage excessif de la force par Israël contre les civils palestiniens et libanais. En outre, les Etats-Unis risquent d’attiser le conflit dans la région, en particulier à la lumière des récents échanges de tirs de missiles entre Israël et l’Iran qui se sont poursuivis au cours des deux derniers mois. Puisque les opérations israéliennes contre l’Iran et ses groupes affiliés dans la région bénéficient d’un soutien indéfectible, Washington doit élaborer une stratégie globale pour contenir l’escalade des tensions, à cause de l’absence évidente de puissance capable de stabiliser la situation. Cette situation s’est aggravée par la réticence de la Russie et de la Chine à jouer un rôle significatif pour atténuer la violence du conflit en cours. Ce qui reflète l’ampleur de la dynamique de la concurrence entre les grandes puissances sur la scène internationale.
Moyen-Orient, Chine et autres
Trump a continuellement critiqué l’Administration Biden au cours des quatre dernières années, attribuant à ses politiques le déclin actuel de la position et du prestige des Etats-Unis dans le monde. Alors qu’il promet de résoudre pacifiquement les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, il n’a encore mis en avant ni de propositions concrètes ni de vision crédible.
En effet, au sein du Parti républicain, il existe deux grandes écoles de pensée en matière de politique étrangère : l’approche traditionaliste qui favorise une position dure dans les relations internationales et une autre plutôt isolationniste qui met l’accent sur l’autosuffisance et évite les interventions à l’étranger qui épuisent les ressources américaines.
Aucune de ces deux écoles n’aborde efficacement la nature évolutive des relations internationales et l’interdépendance qui complique la possibilité pour les Etats-Unis de se replier dans leurs frontières ou d’adopter une attitude agressive à l’égard de leurs adversaires. Au cas où il retournerait à la Maison Blanche, le test le plus important pour Trump sera ses relations avec les alliés européens, qui doutent de son engagement envers l’alliance occidentale. Son insistance sur le fait que les alliés doivent assumer les coûts de la protection fournie par les Etats-Unis crée un malaise parmi les membres de l’OTAN et de l’Union européenne, en particulier au moment où l’Europe occidentale est confrontée à la pression continue de la guerre en Ukraine.
Selon toute vraisemblance, Trump peut tout à fait raviver les cadres contractuels de la politique étrangère américaine à l’égard du Moyen-Orient en adoptant le principe de la conclusion d’accords et en cherchant à renouveler les accords d’Abraham. Sa relation étroite avec le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, soulève des questions : s’il revient à la Maison Blanche en janvier prochain, prendra-t-il des mesures agressives contre les Palestiniens ? Provoquera-t-il un conflit avec l’Iran, ou proposera-t-il un plan novateur permettant d’apporter une percée dans la situation qui est en détérioration ?
Alors qu’il existe des différences subtiles entre les positions de Harris et de Trump à l’égard de la Chine, tous deux partagent des préoccupations importantes quant à l’influence mondiale croissante du régime chinois. L’ex-président avait déclenché une guerre commerciale dès le début de son mandat, reprochant aux démocrates leur indulgence à l’égard de la Chine. S’il gagne, il imposera sans doute des droits de douane sur les importations chinoises plus élevés que ceux sur les produits en provenance d’autres pays.
De son côté, si elle gagne, Harris devra poursuivre les politiques fermes mises en place par Biden à l’égard de la Chine. Les candidats démocrates et républicains s’accordent sur la nécessité de contenir les ambitions de Pékin dans sa sphère asiatique. Les quatre prochaines années verront donc se dessiner de nouvelles lignes de la politique étrangère américaine.