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Noha Bakr : D’un président à l’autre, les mécanismes peuvent différer, mais la stratégie reste la même

Amira Samir , Mercredi, 30 octobre 2024

Noha Bakr, professeure adjoint au département de sciences politiques à l’Université américaine du Caire et membre du Conseil national des droits de l’homme, revient sur les enjeux de la présidentielle américaine, notamment l’impact des crises moyen-orientales sur les élections et vice-versa.

Noha Bakr

Al-Ahram Hebdo : Quelle est la place des dossiers du Moyen-Orient dans la campagne électorale américaine ?

Noha Bakr : Vu que les Etats-Unis ont des intérêts spécifiques dans la région, les questions du Moyen-Orient revêtent une grande importance pour les candidats à la présidence américaine. Cependant, la politique étrangère américaine est guidée par des constantes qui ne changent pas quel que soit le président, à savoir la sécurité nationale et les intérêts américains. L’influence du puissant lobby juif est en outre un facteur déterminant de la politique américaine au Moyen-Orient. Ce lobby exerce des pressions sur l’Administration américaine et finance les campagnes électorales, que ce soit au niveau présidentiel ou législatif, il influence l’opinion publique, les médias et le Congrès. Ce qui rend difficile la réalisation de progrès tangibles sur la question palestinienne.

L’électeur américain accorde généralement une attention particulière aux enjeux de sécurité énergétique et à la lutte contre le terrorisme dans la région. La Russie et la Chine représentent également la plus grande menace dans les dossiers de sécurité nationale américaine. En parallèle, l’électeur américain s’intéresse à l’impact direct de la politique étrangère américaine sur leur quotidien, comme les prix de l’énergie et la sécurité des échanges commerciaux.

— Un démocrate ou un républicain à la Maison Blanche, qu’est-ce que cela change pour les intérêts arabes ?

— Qu’il s’agisse de Harris ou de Trump, il est essentiel de comprendre que la politique étrangère américaine est contrainte par des limites définies. Si les mécanismes peuvent différer d’un président à l’autre, la stratégie reste la même : la sécurité nationale américaine, le soutien à Israël. La seule différence entre la personnalité des deux candidats, c’est que Trump est une personnalité non conventionnelle qui peut adopter des approches inattendues pour résoudre des crises comme le conflit israélo-palestinien. Il peut ainsi favoriser un cessez-le-feu rapide suivi de négociations. Cependant, nous devons également comprendre qu’Israël se trouve dans une phase d’euphorie et de victoire. En cas de négociation, il négocie en dictant ses règles et non comme c’était le cas à Camp David, par exemple. Il existe d’autres questions autour desquelles de légères différences peuvent apparaître au niveau des mécanismes de mise en oeuvre. Par exemple, si nous constatons que Trump pourrait se montrer plus sévère dans son interaction avec le dossier des sanctions contre l’Iran, Harris pourrait entamer de longues négociations. En bref, la stratégie reste la même, mais les politiques et les plans de mise en oeuvre peuvent différer.

— Quelles sont vos prévisions concernant la future politique des Etats-Unis dans la région ?

— On peut s’attendre à une intensification de l’engagement américain au Moyen-Orient dans les mois à venir. Les pressions exercées par le lobby pro-israélien pourraient inciter Washington à revenir sur un éventuel désengagement de la région. Autrefois, les Etats-Unis semblaient privilégier un désengagement progressif du Moyen-Orient au profit de l’Asie et d’autres régions. Cependant, l’évolution de la situation régionale pourrait inverser cette tendance. L’intensification de l’aide militaire et de l’appui politique en faveur d’Israël, ainsi que le déploiement accru des forces américaines dans la région témoignent d’une volonté de renforcer l’engagement américain au Moyen-Orient. La question énergétique, notamment celle du gaz, revêt une importance stratégique dans ce contexte, en particulier à la lumière des projets israéliens de redéfinition des frontières.

— Que représente l’élection présidentielle américaine pour l’Afrique ?

— Le commerce est un moteur fondamental des relations entre Washington et le continent. L’Afrique joue un rôle essentiel dans la sécurité maritime mondiale, notamment au niveau des voies navigables qui la bordent. Par conséquent, toute perturbation de la sécurité, comme celle observée dans la Corne de l’Afrique, notamment due aux activités des Houthis, affecte directement le commerce mondial, augmentant les coûts du transport maritime. Ainsi, les questions de la sécurité de la navigation, de l’économie et de l’eau en Afrique constituent d’autres enjeux importants, compte tenu de leurs répercussions sur l’économie mondiale, y compris sur l’économie américaine. L’élection présidentielle américaine a un impact significatif sur l’Afrique, notamment dans le contexte de la concurrence économique croissante avec la Chine. Les Etats-Unis s’efforcent de maintenir leur influence économique et d’investissement en Afrique, afin de contrebalancer l’expansion croissante de la Chine.

— Comment lisez-vous la scène électorale américaine, notamment dans les « Swing States » ?

— Le système électoral américain est très spécial. Les Etats-Unis utilisent un système appelé Collège électoral, ce n’est pas un suffrage direct. Chaque Etat dispose d’un nombre de grands électeurs proportionnel à sa population. Ces grands électeurs sont ceux qui élisent officiellement le président. Ainsi, il est possible qu’un candidat remporte la majorité des voix populaires à l’échelle nationale, comme ce fut le cas pour Hillary Clinton en 2016, mais qu’il perde l’élection présidentielle s’il n’obtient pas une majorité de grands électeurs. C’est pourquoi les sondages ne sont pas toujours un indicateur fiable du résultat final d’une élection présidentielle américaine. Les campagnes se concentrent donc sur les « Swing States », ces Etats où l’écart entre les deux principaux candidats est faible. Gagner ces Etats est l’objectif principal de la plupart des candidats, car ils représentent une part importante du Collège électoral.

— Quelles sont les causes de la polarisation croissante au sein de la société américaine ?

— Outre les défis externes posés par la Chine, la Russie et d’autres acteurs, les Etats-Unis sont confrontés à une polarisation interne sans précédent. Cette situation est clairement apparue sous l’Administration Trump, et après la victoire de Biden, elle s’est manifestée par un rejet massif des résultats de l’élection présidentielle 2020 par une partie de la population. Parallèlement à ces défis internes, la guerre en Ukraine, loin d’être résolue, pourrait fragiliser davantage la position américaine sur la scène mondiale. En outre, toute escalade au Moyen-Orient, surtout si elle se transforme en guerre régionale, pourrait encore compliquer la situation. Elle pourrait également influencer le vote des électeurs américains, en particulier ceux de la communauté arabe et islamique, qui s’opposent à la politique étrangère américaine actuelle.

— Quelles sont donc les préoccupations centrales des électeurs américains ?

— Les questions intérieures telles que la santé, la justice sociale, les droits des femmes, l’éducation, les questions climatiques, l’avortement, les droits des homosexuels et la violence armée semblent être au premier plan des préoccupations des électeurs américains. La situation économique américaine, comme celle de nombreux pays dans le monde, traverse une étape difficile. Outre l’inflation et le prix de la vie élevé, le pays souffre du problème de l’immigration clandestine en provenance d’Amérique latine, souligné par l’ancien président Trump. Quant aux questions extérieures, comme le conflit palestino-israélien, elles ne reçoivent pas la même priorité à moins qu’elles ne soient directement liées à la sécurité nationale américaine. Il est clair que les préoccupations des électeurs américains sont indéniablement centrées sur les enjeux intérieurs.

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