Tous les sondages indiquent que l’ancien président, le républicain Donald Trump, et la vice-présidente, la démocrate Kamala Harris, sont quasiment au coude-à-coude. Pour autant, rien n’est encore joué. Trump semble enregistrer de grands progrès dans les Swing States, les Etats pivots, au détriment de Kamala Harris, qui a perdu une grande partie de l’élan avec lequel elle avait entamé la course après le désistement de Joe Biden. Pour Harris, le problème est que toute perte dans les sondages se traduit par une perte de larges segments d’électeurs dans les sept Etats pivots qui sont la Pennsylvanie, le Michigan, le Wisconsin, le Nevada, l’Arizona, la Caroline du Nord et la Géorgie. Trump a dépassé Harris pour la première fois depuis le mois d’août (le sondage de l’Economist lui accordait 53 % la semaine dernière, soit une hausse de 7 % d’un coup) au niveau national, ce qui a renforcé sa position dans les Etats pivots. Les spéculations partent des indicateurs du vote anticipé dans les 50 Etats, en particulier dans les sept Etats qui détermineront le vainqueur. Un vote marqué par une participation remarquable des électeurs démocrates, tandis qu’une grande partie des électeurs républicains réservent leurs efforts pour le jour du scrutin, le 5 novembre, une tendance récurrente dans les élections de ces dernières années.
Le vote anticipé suscite un grand enthousiasme, comme en 2020, en raison de la forte polarisation politique et idéologique entre les camps démocrate et républicain, mais les analystes s’attendent dans l’ensemble à ce que toute faiblesse du taux de participation par rapport à l’élection précédente joue en faveur du Parti républicain. Le vote anticipé a représenté 64 % du total des voix en 2020, contre 42 % en 2016. Les analystes s’attendent également à ce que la course soit très serrée et qu’elle soit tranchée à quelques dizaines de milliers de voix près dans les sept Etats pivots.
L’un des principaux problèmes que les démocrates pressentent aujourd’hui est que la campagne de Harris a fait perdre la boussole aux électeurs indécis. Parce que sa campagne s’est largement concentrée sur la personne de Trump et la menace qu’il représente pour la démocratie, laissant de côté des questions vitales pour l’électorat en général et sur lesquelles le candidat républicain a un net avantage, notamment l’économie, l’inflation, les conditions de vie, les impôts et la santé. Les sondages d’opinion ont révélé que l’économie et l’inflation figuraient en tête des préoccupations des électeurs. Dans ce contexte, Trump a renforcé son image auprès de ses électeurs (en particulier parmi les hommes blancs) comme étant la meilleure personne capable de traiter les questions économiques, en particulier l’inflation, d’autant que de récents sondages ont révélé que la réduction des prix représente la principale préoccupation pour près de 95 % des Américains.
Les enjeux internes au coeur de la campagne
De son côté, Harris décrit Trump comme un fasciste et un projet de dictateur, afin de convaincre les électeurs républicains modérés et les indépendants réticents, en leur rappelant la prise d’assaut du Capitole par les partisans de Trump le 6 janvier 2021. De l’autre côté, dans sa campagne, Trump courtise des segments auxquels il n’avait pas l’habitude de s’adresser directement, tels que les jeunes. Il y a quelques jours, il s’est entretenu avec un célèbre podcaster du Texas pour expliquer la possibilité d’abroger l’impôt fédéral sur le revenu et le remplacer par un droit de douane sur les importations, dans le cadre d’un retour aux politiques des conservateurs du début du XXe siècle, en particulier du président William McKinley. Le Comité pour un budget fédéral responsable, un groupe non partisan qui cherche à réduire le déficit budgétaire, estime que les propositions de Trump pourraient alourdir la dette nationale de 15 000 milliards de dollars en 10 ans, soit le double de ce que produisent les projets de Harris s’ils étaient mis en oeuvre.
Toutefois, une équipe d’experts des campagnes électorales estime que Harris a réussi ces derniers jours (selon un sondage de Bloomberg) à réduire l’écart qui la sépare de Trump sur les questions économiques, en particulier dans les Etats pivots. Cette baisse de confiance des démocrates dans la capacité de Harris à gagner Trump menace de répéter le scénario des élections de 2016. Hillary Clinton était largement en tête dans la plupart des sondages, mais quand le candidat républicain a intensifié ses critiques envers les politiques économiques des démocrates, est survenue la surprise. Aujourd’hui, Trump semble plus familier avec le dossier économique grâce à son expérience ultérieure. Au cours de son mandat, le pays avait enregistré de bons indices économiques jusqu’à l’apparition du Covid-19 et le recul des taux de croissance.
Harris s’est présentée aux Américains comme la candidate la plus capable d’aider la nation à tourner la page et d’adopter une nouvelle voie après la période de polarisation politique du mandat de Trump. Mais trois mois après avoir obtenu l’investiture démocrate, Harris peine à expliquer en quoi elle serait différente face à la chute de popularité de l’Administration actuelle. Les sondages d’opinion montrent que la majorité des électeurs sont convaincus que les politiques de Harris seront une continuation de celles de Biden plutôt qu’une nouvelle voie pour le pays.
La forme plutôt que le fond
Les écrivains américains accusent la classe politique démocrate de se concentrer sur la forme et le style plutôt que sur le fond, de ne jamais admettre ses erreurs et d’accuser tous ceux qui soutiennent Trump d’être des extrémistes, des ignorants, des membres d’une secte dévoyée ou tout simplement des idiots. Par contre, pour des millions d’Américains, une inflation élevée est synonyme de loyers inabordables, d’impossibilité d’acheter un logement, de diminution de l’épargne et de retardement de la retraite.
Des défis réels auxquels les individus et les ménages doivent faire face chaque jour. Le camp républicain, lui, affirme que durant le mandat de Trump, la situation était sous contrôle : l’inflation était faible, le logement abordable et les revenus réels des ménages augmentent.
Par ailleurs, il semble que cette élection est une bataille des sexes. Les femmes, en particulier les jeunes femmes, sont fortement enclines à soutenir Harris par crainte des idées et politiques masculines de Trump. Les hommes, quant à eux, sont plus enclins à soutenir Trump en raison de sa personnalité audacieuse et impulsive qui séduit de larges segments tels que les jeunes et les hommes noirs et hispaniques. Par ailleurs, les candidats à la présidence souffrent toujours d’une perception négative de la part des hommes quant à leur capacité à gouverner un grand pays et à surmonter les crises émotionnelles dans leurs relations avec les dirigeants du monde. Selon Maureen Dowd dans le New York Times, la popularité de Harris parmi les hommes blancs et noirs est beaucoup plus faible que celle de Biden en 2020. L’auteur prédit que Harris ne gagnera pas si les hommes noirs sont réticents à soutenir la première femme noire, citant le large soutien des femmes noires à Hillary Clinton en 2016.
Généralement parlant, Trump prend le dessus auprès d’un large segment d’électeurs à la recherche du « candidat du changement ». Dans un sondage effectué par le Wall Street Journal, la semaine dernière, 49 % des électeurs estiment que Trump est le candidat du changement, alors que 45 % voient qu’il a une vision pour l’avenir. Alors que Harris détient 40 % et 43 % des voix respectivement.
Les voix des électeurs indécis ajoutent à une situation électorale entourée encore de mystère, vu l’écart minime entre les deux candidats au niveau des électeurs encore indécis. D’autant que chacun des deux candidats est engagé dans une course pour les rallier à son camp. Ajoutons qu’il est difficile de déterminer de manière décisive lequel l’emportera à cause de ce rapprochement entre les deux, qui met la situation dans la posture de ce que l’on appelle « la marge de l’erreur ».
Les « Swing States », la grande bataille
Sept Etats sur un total de 50 déterminent le résultat de la course à la présidentielle cette année, à cause des voix décisives qui les représentent au sein du Collège électoral des 538 voix divisées sur les différents Etats conformément au dernier recensement de la population du pays. On sait que le système du Collège électoral garantit à ces Etats, abstraction faite de leur taille, une participation effective au processus électoral. Outre cela, le système du Collège électoral garantit que les Etats, quelle que soit leur taille, participent effectivement au processus électoral et que l’influence des petits Etats ne se perd pas face à celle des grands Etats comme la Californie, le Texas et New York. L’électeur américain se rend aux urnes pour élire les délégués de l’Etat, puis ces derniers votent pour choisir le nouveau président le 17 décembre lors de la réunion du Collège électoral, au cours de laquelle chaque Etat est représenté avec un nombre de voix égal au nombre de ses représentants auprès du Congrès et du Sénat. En fin de compte, le vainqueur doit obtenir 270 voix du Collège électoral pour accéder à la Maison Blanche.
Dans le cas des Etats pivots, ils se trouvent livrés à une bataille électorale au niveau du vote. Et ceci se manifeste surtout dans les petits Etats.
Nombreuses sont les raisons qui expliquent l’intensité de la concurrence, en particulier dans les « Swing States ». Et ceci sur les votes émanant d’une diversité de groupes ethniques, sociaux et de segments d’âge variés. Et ce, compte tenu de la génération Z, qui s’exprime de différentes manières et qui a des affiliations différentes. Il est même loin d’affirmer définitivement que cette génération vote pour le Parti démocrate pour des raisons d’égalité, de justice et de climat. Il existe des questions sur lesquelles différents segments de la jeunesse se trouvent conflictuels avec le Parti républicain, comme le chômage, le logement et l’immigration clandestine. En outre, les minorités raciales telles que les Noirs, les Latinos et les personnes d’origine asiatique ne sont plus homogènes dans leur vote pour le Parti démocrate, comme ce fut le cas au cours des dernières décennies. L’attitude des électeurs a été façonnée par divers sujets, notamment les opportunités d’emploi, l’éducation, les soins de santé, l’inflation et le coût de vie, quitte à saper les progrès de Trump parmi les minorités ethniques, qui veillent principalement à leurs propres intérêts.
Pennsylvanie : Un champ de bataille décisif
La Pennsylvanie est considérée comme l’Etat le plus important parmi les Etats pivots, puisqu’elle dispose de 19 voix, soit la plus grande part parmi les sept Etats décisifs dans le Collège électoral. Il est largement admis parmi les experts électoraux que celui qui remportera la Pennsylvanie remportera la présidence. Historiquement, la Pennsylvanie a voté pour le vainqueur 49 fois sur 59 droits électoraux. La Pennsylvanie est une cible constante des campagnes des deux partis depuis 1952. L’Etat est traditionnellement de tendance républicaine, mais au cours des dernières décennies, les démocrates ont remporté des victoires notables. Chaque candidat a dépensé plus de 200 millions de dollars en publicité en Pennsylvanie, soit le double des dépenses moyennes dans d’autres Etats. En plus, Elon Musk, le magnat de l’informatique, concentre sa propagande en faveur de Trump sur la Pennsylvanie plus que sur d’autres Etats. L’avortement et les conditions de travail sont au premier plan des questions électorales, compte tenu de la concurrence féroce pour les voix des femmes et des travailleurs.
Dans le contexte de l’évolution des positions des minorités ethniques, l’Etat du Michigan constitue un cas révélateur de l’ampleur de l’impact de certains groupes de la population sur le sort de l’élection. L’Etat, que les démocrates ont remporté avec une marge de 154 000 voix en 2020, se prépare aujourd’hui à décider du sort des candidats, en particulier la communauté arabe et musulmane, qui dispose de suffisamment de voix pour renverser Harris s’ils s’abstiennent de voter pour les démocrates, en protestation contre la position de la Maison Blanche sur la guerre dans la bande de Gaza et au Liban.
Quel poids pour le vote arabe ?
L’une des ironies de la présidentielle de cette année est que les voix des Arabes impuissantes face aux agissements américains au Moyen-Orient sont devenues cruciales pour l’issue de l’élection présidentielle américaine. Dans des Etats-clés comme le Michigan, le « vote arabe » est devenu un enjeu de taille. Les voix arabes dans cet Etat sont devenues une question de vie ou de mort pour la candidate démocrate. Avec l’écart réduit qui la sépare du candidat républicain Donald Trump, Harris courtise les voix de la communauté arabe. Cette dernière a déplacé le terrain de la confrontation et du mécontentement envers les politiques américaines vers l’arène électorale, dans un moment décisif.
En effet, la campagne de Harris déploie des efforts énormes pour convaincre les dirigeants des communautés arabes de voter pour éviter la catastrophe de l’accession de Trump au pouvoir. Mais la campagne de boycott continue de menacer les opportunités de Harris à l’ombre d’un rapprochement à égalité entre les deux candidats dans les Etats pivots du Nord.
Le rédacteur en chef du Washington Post a affirmé, dans un article paru samedi dernier, qu’une grande partie de cette base électorale cruciale (la communauté arabe et musulmane du Michigan) avait déjà « fui le Parti démocrate pour trouver refuge auprès du Parti des Verts ou de l’ancien président Donald Trump. L’incapacité de Harris à gagner la confiance de ces communautés pourrait ou non lui faire perdre l’élection. Mais d’après les conversations que j’ai eues avec les dirigeants des communautés arabes et musulmanes ces derniers jours, il semble que le mal soit déjà fait ».
En fin de compte, il est impossible de trancher la victoire d’un candidat spécifique sur l’autre dans la course pour la Maison Blanche pour maintes raisons. Dont l’absence de la crédibilité totale sur les sondages de l’opinion américaine, surtout après l’élection de 2020. L’image n’est pas tranchée, parce qu’il existe une large tranche d’électeurs indécis qui pourront changer le cours électoral du jour au lendemain, disons le jour même des élections. Il est également impossible d’écarter le facteur psychologique représenté dans la confiance de larges secteurs d’électeurs consistant à voter pour une femme qui s’avère être d’origine indienne ou noire. En outre, le manque de conviction d’autres segments vis-à-vis de Trump ou de Harris, en raison de la rhétorique hostile du premier ou du manque d’expérience de la seconde, pourrait constituer un aspect sombre dans la lecture des tendances électorales. Et ce, dans la mesure où les indécis votent en général à la dernière minute ou encore s’abstiennent. Le facteur le plus important reste les causes économiques qui déterminent le destin du vote du plus grand bloc des électeurs. On ne peut pas avancer que Trump est à l’avant-garde à cause des aspects économiques parce que la différence entre lui et Kamala Harris est moindre dans les sondages d’opinion. Et ce, malgré la marge de confiance importante qui lui est accordée quant à sa capacité à gérer l’économie et les crises successives. Il n’en demeure pas moins qu’il existe des indices positifs au niveau de la performance économique de Harris qui donnent espoir à sa campagne malgré les craintes des tendances des électeurs indépendants et indécis qui craignent « leur méconnaissance de la candidate démocrate ».
Au beau milieu de toutes ces complications et de ces énigmes, les regards des américains se trouvent braqués sur les écrans télévisés le mardi prochain pour savoir qui sera le vainqueur dans l’une des élections les plus enflammées et les plus coûteuses de l’Histoire. Le vainqueur créera certes une nouvelle réalité non seulement aux Etats-Unis, mais dans le monde entier.
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