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Salah Halima : La sécurité du Soudan et celle de l’Egypte sont deux faces d’une même pièce

Ola Hamdi , Mercredi, 16 octobre 2024

L’ambassadeur Salah Halima, vice-président du Conseil égyptien pour les affaires africaines, explique l’évolution de la situation militaire au Soudan et les scénarios à envisager.

Salah Halima

Al-Ahram Hebdo : 18 mois après le déclenchement de la guerre au Soudan, comment évaluez-vous la situation militaire sur le terrain après que l’armée soudanaise a lancé une opération militaire surprise le 26 septembre dernier, visant à reprendre le contrôle total de Khartoum ?

Salah Halima : Il ne fait aucun doute qu’il y a eu un changement dans l’équilibre des forces en faveur des forces armées. Une sorte de rééquilibrage s’est récemment produite sur le terrain, notamment dans Bahri et Jabal Muwayh, deux zones stratégiques pour l’armée soudanaise. Cette opération a donné une forte impulsion aux forces armées. Il est également clair que les forces armées bénéficient actuellement d’un soutien populaire, notamment après que les Forces de Soutien Rapide (FSR) ont été accusées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Des sanctions ont été imposées à ses dirigeants pour avoir commis des crimes de guerre. Tout cela a donné plus de poids et de force à l’armée qu’auparavant. En plus, l’armée et le Conseil souverain sont reconnus au niveau international et ont donc du poids sur la scène internationale.

A l’inverse, les FSR sont perçues soit comme une milice rebelle, soit comme un égal à l’autre partie, mais rares sont ceux qui partagent ce point de vue, y compris les Etats-Unis. La Conférence de Genève convoquée en août dernier a illustré cette divergence de vues en plaçant les deux camps sur un pied d’égalité, une approche qui s’est révélée irréaliste et que la guerre n’est pas une guerre de généraux comme le prétendent les Etats-Unis, mais les choses sont radicalement différentes.

— Que pensez-vous du discours vidéo que Hemedti a récemment publié et qui a suscité de nombreuses controverses ?

— Son discours était celui d’un homme vaincu et brisé. Même ses paroles n’étaient pas bien préparées et ses idées étaient désordonnées. La plupart de ce qu’il a avancé était dénué de réalisme et témoignait d’une certaine confusion. C’était un discours qui n’a apporté aucun élément positif. Hemedti a accusé dans son discours certains pays, y compris l’Egypte, d’être impliqués dans des frappes aériennes. Cette allégation me semble être une façon de masquer son échec. En réalité, il s’agit d’une défaite militaire incontestable des FSR et d’une victoire significative pour les forces armées. C’est également un message narcissique déconnecté de la réalité et une tentative de justifier sa défaite et son échec.

— Quel est votre avis sur ce que Hemedti entend par « passer au plan B » dans son discours ?

— Ses propos sur le « Plan B » ne sont, je pense, que des illusions qui ne reflètent pas ses intentions, car la réalité montre que la position interne soutient actuellement les forces armées, et ses discours sur les islamistes et autres sont des propos qui ont une part de vérité, mais dont une partie est incorrecte, parce que le mouvement islamique fait partie aussi des FSR et est présent dans d’autres lieux. Il y a peut-être un soutien de la part du mouvement islamique pour les forces armées, mais cela ne signifie pas du tout que le peuple ne soutient pas les forces armées à l’heure actuelle. Ce soutien ne cesse de croître, car beaucoup d’entre eux les considèrent comme un rempart qui protège le peuple et l’Etat.

L’idée de passer à une guerre à grande échelle n’est que parole visant à prétendre qu’il dispose toujours de l’influence, des ressources et du soutien militaire et populaire nécessaires pour mener de telles opérations. Cette idée me paraît exagérée et déconnectée de la réalité. Il s’agit plutôt d’une manoeuvre visant à justifier sa position actuelle et à faire croire qu’il est capable d’agir autrement. Je suis convaincu que cette éventualité est désormais écartée, surtout après le déclin du soutien apporté par les puissances régionales et internationales qui l’appuyaient auparavant. Ces dernières sont réticentes à continuer à soutenir les FSR accusées de crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

— Les constantes égyptiennes concernant la question soudanaise sont claires : préserver l’unité du Soudan et ne pas s’ingérer dans ses affaires intérieures. Pourquoi la sécurité et la stabilité du Soudan sont-elles importantes pour l’Egypte ?

— La sécurité nationale du Soudan et celle de l’Egypte sont deux faces d’une même pièce. La sécurité nationale égyptienne s’étend à la sécurité nationale soudanaise et vice versa, surtout que les deux pays bordent la mer Rouge, dont la sécurité constitue une part intégrante de la sécurité nationale arabe. Les relations entre l’Egypte et le Soudan sont multidimensionnels, qu’il s’agisse des constantes géographiques et historiques ou des liens sociaux et culturels, sans oublier deux liens fondamentaux qui gagnent en importance à l’heure actuelle : le Nil et la mer Rouge. Par conséquent, ces affluents ont établi des intérêts communs, une sécurité mutuelle, de bonnes relations de voisinage et la possibilité d’une forme d’intégration, voire d’une forme d’unité dans le cadre économique en particulier. Ces interdépendances confirment l’intérêt de l’Egypte à préserver la stabilité de la région et soulignent que les positions, qu’elles émanent de l’Egypte ou des pays voisins, soient conformes aux aspirations du peuple soudanais.

— Comment voyez-vous les actions entreprises par l’Egypte visant à mettre fin à la guerre au Soudan ?

— L’Egypte a multiplié les initiatives et les actions en faveur du Soudan, tant au niveau bilatéral que multilatéral. La dernière en date était l’Initiative du Caire présentée en juillet dernier qui se distingue par plusieurs caractéristiques par rapport aux autres initiatives. Premièrement, il s’agit d’une initiative sociétale qui se caractérise par son caractère global, car elle a inclus toutes les composantes de la société soudanaise et a réussi à rassembler les parties soudanaises concurrentes dont le Bloc du progrès, le Bloc démocratique, ainsi que des mouvements qui n’ont participé à aucune autre initiative, comme le mouvement Abdul Wahed Nour ou le mouvement Abdelaziz Al-Hilu. Cette initiative couvre également un large éventail de domaines : sécurité, humanitaire, politique, et devrait bientôt aborder la question de la reconstruction. Des progrès ont été réalisés dans les deux volets, sécuritaire et humanitaire, et le volet politique est censé être complété par une commission qui vient d’être formée. Je pense que la prochaine étape consiste à parvenir à un gouvernement civil indépendant doté des compétences nécessaires pour gérer la période de transition et ouvrir la voie à la tenue d’élections libres et transparentes, et peut-être à l’élaboration d’une Constitution permanente au cours de cette période pour permettre la tenue des élections. En outre, tous les pays et organisations qui ont également pris part à l’Initiative du Caire, en tant qu’observateurs ou médiateurs. Leur rôle principal est de garantir la mise en oeuvre des résultats de cette conférence. Je crois qu’après les changements survenus sur la scène militaire au Soudan, il est probable que les prochaines actions s’inscriront dans ce cadre.

— Quelle est l’ampleur des pertes subies par le Soudan jusqu’à présent ? Et comment mettre fin à cette guerre ?

— Il ne fait aucun doute qu’il y a des pertes énormes. On parle de pertes s’élevant à environ 100 milliards de dollars, mais je pense que ce chiffre pourrait être plus élevé, étant donné l’ampleur de la destruction subie par les installations, les infrastructures, les hôpitaux et les institutions. Sans compter bien sûr les pertes en vies humaines, les réfugiés et les déplacés, et les villes entièrement détruites et désertées. Tous ces éléments pourraient faire grimper le coût bien au-delà des 100 milliards de dollars. Je crois que pour mettre fin à cette guerre, il faudra passer par la voie politique après le changement de l’équilibre des forces.

— Enfin, quels sont les scénarios envisageables pour la crise soudanaise ?

— A mon avis, après les opérations militaires réussies de l’armée soudanaise, qui pourraient se poursuivre, il faudra tenter de parvenir à un règlement politique. Cela nécessitera une action active et efficace de la part de l’Egypte en collaboration avec des pays voisins, ainsi qu’avec les grandes puissances concernées, mais dans le cadre d’un dialogue soudanais-soudanais sans ingérence étrangère. Je pense que tout autre scénario est voué à l’échec. Nous avons vu de nombreuses tentatives menées par l’IGAD, par l’Union africaine et par les Etats-Unis, qui n’ont abouti à rien, parce qu’il n’y a pas d’horizon politique pour régler la crise soudanaise.

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