« Aucun progrès, aucune révolution, aucune guerre ne vaudra jamais ne serait-ce qu’une petite larme d’enfant. Elle pèsera toujours, cette petite larme », disait le célèbre auteur russe du XIXe siècle Fyodor Dostoïevski. Les yeux pleins de larmes, Nizar, 12 ans, n’arrive pas à oublier l’image de son petit frère de 5 ans, tué lors d’un bombardement. Un véritable traumatisme psychologique. Nizar, lui, a miraculeusement survécu au bombardement qui a détruit sa maison à Khan Younès, en décembre dernier. Il a été retiré des décombres après avoir passé plusieurs heures sous un amas de ruines avec environ 20 autres personnes, dont la plupart sont mortes. Lui et sa mère ont été les seuls survivants de sa famille. Après avoir été secourus, ils se sont rendus dans l’une des écoles de l’UNRWA transformées en abri d’urgence, comme beaucoup de Palestiniens dont les maisons ont été bombardées.
Les troubles de stress post-traumatique et le syndrome de stress aigu font partie des troubles psychiques les plus fréquents chez les enfants palestiniens. (Photo : Reuters)
Aujourd’hui, Nizar, qui vit au Caire chez sa tante, souffre d’un trouble de stress post-traumatique et n’arrive plus à dormir et connaît des cauchemars et de sévères troubles de sommeil, nécessitant des gestes de réassurance et des tentatives pour l’apaiser. Les sons de la guerre le hantent encore. « Les avions produisaient un son qui déchirait le ciel et les bombes sifflaient en tombant. Et quand elles explosaient, c’était terrible », raconte Nizar, qui reste recroquevillé dans un coin de la chambre, rongé par la peur, et sursaute chaque fois qu’il entend un bruit fort. Il agite d’ailleurs frénétiquement les mains et n’arrête pas de fermer les yeux. Ces tics nerveux qu’il a développés, comme un clignement des yeux incontrôlable, sont autant de preuves du traumatisme qu’il a vécu. « Mon fils est tellement terrifié à l’idée d’oublier à quoi ressemblaient son père et son frère. C’est ce qu’il craint maintenant. Il ferme les yeux parce qu’il ne peut pas supporter l’idée qu’il les a perdus dans ce monde, mais qu’il pourrait aussi les perdre dans son imagination », explique Rofayda, la mère, tout en ajoutant que son fils souffre d’une incontinence urinaire. Elle l’a emmené voir un psychiatre, mais sans résultat.
Idem pour Deema, âgée de 14 ans, dont la jambe a été amputée sans anesthésie. Son appartement situé à Jabaliya avait été entièrement détruit par les bombardements, mais la famille est saine et sauve. Or, si Deema a réussi à s’échapper avec sa famille à Rafah puis à venir en Egypte, le traumatisme reste, lui, entier. Elle a développé une anxiété sévère, et petit à petit, la jeune fille s’est repliée sur elle-même, elle est devenue souvent triste, terrifiée, désemparée, de mauvaise humeur et n’arrive pas à tourner la page. « Je n’ai plus d’appétit, j’ai du mal à trouver le sommeil, et j’ai constamment envie d’être seule. Bref, j’ai haï ma vie et je me suis haïe », lance Deema qui essaie de s’évader dans un monde qui n’existe plus.
D’autres expriment leur détresse sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, l’adolescente gazaouie de 16 ans Farah Baker représente cette jeunesse palestinienne qui a grandi avec la guerre. Sur son compte @ Farah_gazan, elle a écrit : « Je suis Farah Baker, de Gaza, 16 ans. Depuis que je suis née, j’ai survécu à trois guerres et je pense que ça suffit ».
Troubles psychiques de toutes sortes
En effet, Nizar et Deema ne sont pas des cas uniques. Confrontés à la mort et à des conditions de vie indignes, les enfants de Gaza ont perdu tout sentiment de sécurité et subissent des tortures psychologiques. L’expression des visages des enfants à Gaza révèle « le traumatisme et le stress, comme si le chagrin et la tristesse avaient pris racine ici à Gaza », selon James Elder, porte-parole du Fonds des Nations-Unies pour l’enfance (UNICEF). D’après un récent rapport publié par l’ONG « Save the Children », quatre mineurs sur cinq dans l’enclave palestinienne souffraient de dépression, de troubles du sommeil ou de stress, après quinze ans de blocus et d’épisodes répétés de violences.
Aujourd’hui, et après douze mois de conflit dans la bande de Gaza, on dirait que le traumatisme psychologique de la guerre est ancré dans l’ADN des enfants palestiniens. L’ UNRWA affirme que la guerre et la violence d’Israël ont durement impacté la psyché des enfants palestiniens, d’autant plus que plus de 625 000 enfants ont été privés d’école et souffrent de niveaux de stress dévastateurs.
Dr Mohamed Yasser, un psychiatre à l’hôpital général d’Al-Arich, estime que plusieurs enfants venant de Gaza à l’hôpital souffrent non seulement de troubles de stress post-traumatique, mais aussi du syndrome de stress aigu. « L’impact psychologique de la guerre a commencé à se manifester chez les enfants, notamment en ce qui concerne les traumatismes psychologiques graves, dont les symptômes incluent la peur, l’irritabilité, les convulsions, le comportement agressif, l’énurésie et l’incapacité à quitter leurs parents », explique-t-il, tout en ajoutant que plusieurs enfants ont été témoins de la destruction de leurs maisons et de la mort de leurs familles. Ils ont vécu des drames qu’aucun enfant ne devrait vivre.
Difficile d’en sortir indemne dans ces conditions. « Il est important de soutenir ces enfants pour qu’ils puissent s’aimer comme ils sont et aimer la vie à nouveau, mais ils auront besoin d’une psychothérapie pendant des années pour les aider à atténuer les effets psychologiques des événements traumatisants qu’ils ont vécus» , souligne le psychiatre.
Plus d’orphelins, plus de drames
La situation est d’autant plus difficile que, d’après l’ONU, plus de 25 000 enfants ont perdu un parent ou sont devenus orphelins, ce qui les plonge dans une profonde détresse émotionnelle. Et ce n’est pas tout. Aujourd’hui, à Gaza, environ « 40 000 enfants en état de choc ont besoin d’une assistance psychologique », observe Catherine Weibel, porte-parole de l’Unicef pour la Palestine.
Panser ces cicatrices invisibles et ces traumatismes des enfants s’avère l’objectif des agences des Nations-Unies telles que l’Unesco, l’Unicef et l’UNRWA qui n’hésitent pas à subventionner des initiatives en matière de santé mentale à Gaza. Citons, à titre d’exemple, le projet lancé par l’Unesco visant à soutenir les enfants et leurs familles sur le plan mental et psychosocial et qui a été fait dans 8 refuges à Khan Younès et Rafah, en partenariat avec le Centre de créativité des enseignants. Des activités récréatives et des consultations groupées et individuelles aident les enfants à exprimer leurs émotions et leurs peurs, ainsi qu’à gérer leur stress. Layal, une activiste qui travaille auprès de l’Unesco, déclare que les enfants sont imprégnés d’expériences très douloureuses à tel point que tous leurs dessins sont à dominance noire. « Même le soleil, une fille de 8 ans le colorie en noir », lance-t-elle, tout en ajoutant que ces enfants ont des syndromes post-traumatiques. Quand ils ont recommencé à dessiner, ils ont dessiné des morceaux de corps d’enfants. Ils ont imaginé que l’armée était entrée dans le refuge. L’image du sang est l’une de celles qui revient le plus dans leur traumatisme. Pourtant, Layal estime que les séances avec le psychologue redonnent de l’espoir à ces enfants. Pendant les séances, Hind, qui a dû fuir Jabaliya pour Rafah, aborde ses craintes, mais aussi ses rêves et ses objectifs. Plus tard, elle voudrait devenir cheffe cuisinière et avoir son propre restaurant. Pour l’instant, tout ce qu’elle souhaite, c’est simplement fêter son anniversaire avec sa famille et ses amies. Elle aura 12 ans le 7 octobre, une date qui, à jamais, est aussi celle du premier jour de la guerre dans son pays .
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