« La guerre a volé notre enfance. Mais ici, grâce à cette initiative, nous avons retrouvé notre enfance, nos rêves et nos sourires », confie une jeune fille palestinienne de 15 ans. « Cette initiative nous a aidés à atténuer l’impact de tout ce qu’on a vu là-bas, les scènes sanglantes et les sons assourdissants des raids », poursuit une autre de 11 ans. « Nous avons témoigné de la mort de nos voisins, de la destruction de nos maisons ; heureusement, nous sommes au Caire maintenant, mais ces scènes ne s’effaceront jamais de nos mémoires. Cette initiative nous a cependant aidés à surmonter la peur et à trouver nos repères afin de faire un nouveau départ », explique un garçon de 16 ans.
Tels sont les propos des enfants palestiniens qui ont rejoint l’initiative « Ahfad Al-Zaytoun Volunteer for the Education of Gaza’s Children ». Une initiative éducative et récréative qui a réussi à rassembler une centaine d’enfants venus au Caire pour fuir les conditions macabres de la guerre. Depuis le déclenchement de la guerre, le 7 octobre dernier à Gaza, et pour des raisons humanitaires, l’Egypte a accueilli quelque 100 000 Palestiniens, selon l’ambassade de Palestine au Caire. Cette initiative semble donc leur ouvrir un nouvel horizon en leur donnant la chance de poursuivre leurs études et regagner les bancs qu’ils ont quittés il y a une année.
Tout a commencé par un appel via les réseaux sociaux. A l’origine de cette initiative, une certaine Israa Ali, une Egypto-Canadienne qui a décidé de quitter son pays d’accueil, le Canada, et rentrer en Egypte un mois après le début de la guerre contre Gaza. Le but, d’après elle, est de tendre la main à ces enfants mais aussi de vivre au sein d’une société qui partage ses valeurs au sujet de la cause palestinienne. « Il m’était insupportable d’accepter qu’une part des impôts que je paye au Canada va au budget de la colonisation israélienne. Et j’ai décidé de partir », a confié Israa Ali, fondatrice de l’initiative Ahfad Al-Zaytoun (les descendants d’olivier), au cours d’une interview au programme Al-Safira Aziza diffusé sur la chaîne DMC.
Retrouver l’enfance perdue sous les décombres de la guerre.
Un appel qui a fait écho
Selon Israa Ali, qui a travaillé dans la gestion des ONG, l’initiative a entamé son parcours par trois enfants qui sont arrivés de Gaza afin que leur maman poursuive son traitement en Egypte. « L’objectif était de réhabiliter les enfants comme dans le cadre d’un programme parascolaire, mais en mettant l’accent sur la santé mentale, car tous les enfants de Gaza ont souffert du Syndrome de Stress Post-Traumatique (SSPT) en raison des scènes de guerre et de destruction qu’ils ont vécues », explique-t-elle. Et d’ajouter : « Notre tâche consiste à les aider à retrouver leur enfance perdue et à surmonter ces expériences traumatisantes et les sentiments de peur, de stress et de dépression qui en résultent, ainsi qu’à les aider à s’intégrer dans la nouvelle société égyptienne ». Le second objectif est de leur donner la chance de poursuivre leurs études, d’autant plus qu’ils ont quitté les bancs scolaires avec le début des attaques contre Gaza, poursuit Israa qui a lancé un appel à travers Instagram et Facebook à la recherche de bénévoles et de donations matérielles. Un appel qui a eu un grand écho au sein de la société égyptienne où de nombreux gens voulaient rendre service à ces enfants. « On a reçu des bénévoles dans tous les domaines et de différentes tranches d’âges : professeurs, médecins, ingénieurs, psychologues, étudiants et bien d’autres encore », avance Israa qui a lancé le slogan : « Volontaire pour l’éducation des enfants de Gaza. Faites don d’au moins deux heures de votre temps pour contribuer à l’éducation et au soutien des enfants de Gaza ».
Au cours de cette année, environ 2 000 enfants ont inscrit leur nom auprès de cette initiative au niveau de toute l’Egypte, mais jusqu’à présent, les locaux situés au quartier de Madinet Nasr (qui comprend une partie importante des Palestiniens au Caire) ne peuvent comprendre que 350 enfants. Répartis en groupes en fonction de leur âge et de leur niveau d’éducation, les enfants viennent à des heures différentes au centre pour y passer seulement quatre heures par jour.
« Je ne m’attendais pas à ce que l’initiative soit aussi largement diffusée, je n’imaginais pas que nous aurions un tel bâtiment et un tel nombre de volontaires. Cela montre que les Egyptiens voulaient vraiment les aider par tous les moyens possibles », dit-elle.
Etudes et activités ludiques
Dans la cour, des gamins jouent au football. Par des moyens modestes, on est arrivé à construire un petit terrain pour le jeu. Les gamins parcourent ce mini-stade sur le gazon. La joie est grande quand quelqu’un marque un but. On dirait un nouvel espoir qui naît. Dans une salle adjacente, on voit un groupe d’enfants inclinés devant leurs oeuvres artistiques. Alors qu’un enfant dessine le drapeau palestinien, un deuxième trace la carte de la Palestine, un troisième peint les oliviers qui poussent dans sa ville natale, un quatrième esquisse un avion qui lance un missile …
Aujourd’hui, ces petits ont eu la chance de tourner cette page macabre et d’entamer un nouveau chapitre en Egypte. « J’ai deux enfants de six et de trois ans qui passaient leur temps sur leur portable en train de suivre les nouvelles de la guerre. Une fois au Caire, je les avais inscrits à cette initiative qui a un impact positif sur leur psychologie. Elle a favorisé un sentiment de sécurité, de confiance et d’estime de soi, d’autant plus que les enfants ont perdu une année de scolarité au cours de la guerre et nous craignons qu’ils n’en perdent une autre », confie Israa Ahmad, parent, qui est venue au Caire suite à la guerre contre Gaza, le 7 octobre dernier.
Marah Al-Satri, une jeune femme de 22 ans, tutrice d’un clan de cinq soeurs, avoue que cette initiative lui a présenté une bouée de sauvetage au sein de forts remous. Celle-ci avait accompagné son frère blessé pour venir poursuivre son traitement au Caire après que sa mère a trouvé la mort au cours de la guerre. « Mon frère est mort le lendemain de notre arrivée au Caire, je me suis trouvée avec mes cinq soeurs. Mes petites soeurs sont sorties de Gaza dans de très mauvaises conditions par rapport aux autres enfants. Pourtant, je ne m’attendais pas à ce que cela nous arrive. Nous allions rester avec mon frère à l’hôpital et je me suis retrouvée seule avec les cinq filles, jusqu’à ce que j’aie entendu parler de cette initiative et ensuite je m’y suis inscrite. Cela m’a beaucoup aidée à surmonter ce bouleversement soudain. Cela a aussi aidé mes soeurs à apprendre de nouveau et à s’intégrer dans leur nouvel environnement », avoue Marah, dont le nom qui signifie joie ne semble pas refléter son difficile destin.
Côté académique, l’initiative fournit des cours de maths, de sciences, d’anglais, d’arabe et de Coran selon le programme enseigné dans les écoles de Gaza. Côté curatif et créatif, « nous offrons aux enfants des séances de thérapie à travers l’art par le biais du dessin et des ouvrages manuels, et ce, sans compter les cours de musique et d’exercices physiques. Mais la chose la plus importante pour que les enfants ressentent à la fois sécurité et stabilité est de leur établir une routine quotidienne qu’ils ont changée en se déplaçant d’un pays à une autre », avance Donia Adel, consultante en santé mentale. « Nous sommes actuellement en train de mettre en place un programme spécial élaboré par des psychologues, dans le cadre du programme de rétablissement des traumatismes », poursuit-elle.
Car l’une des faces souvent cachées des guerres, c’est leur impact sur l’éducation des enfants. Selon le Bureau des Nations-Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), 625 000 élèves n’ont pas eu accès à l’éducation à Gaza durant l’année scolaire 2023-2024 en raison de la guerre. Une situation qui exige encore plus d’initiatives de ce genre pour venir au secours de ces enfants et empêcher qu’ils ne se perdent dans les labyrinthes de l’ignorance et de la violence.
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