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Vers une nouvelle ère industrielle

Dr Mohamed Shady*, Mercredi, 21 août 2024

Relancer l’industrie nationale s’impose comme la solution la plus durable pour redresser l’économie égyptienne et corriger ses déséquilibres structurels. Pour réaliser cet objectif, l’Egypte a mis en oeuvre une stratégie étalée sur trois phases : à court, moyen et long terme. Décryptage.

Vers une nouvelle ère industrielle

La promotion de l’industrie apparaît comme une bouée de sauvetage pour l’économie égyptienne qui a traversé en 2023 une phase difficile due aux turbulences économiques mondiales. Celles-ci ont eu un impact violent sur quatre des cinq sources de devises, notamment le transfert de fonds des Egyptiens travaillant à l’étranger et les revenus du tourisme. Tandis qu’en même temps, les prix des produits de base, de l’énergie et des minéraux importés massivement sont restés élevés. Ce qui a entraîné une crise de devises étrangères qui a touché tous les secteurs de l’économie sans exception, augmentant ainsi les niveaux d’inflation à leur plus haut niveau depuis un demi-siècle.

Pourtant, cette crise, en dépit de sa gravité, n’est pas unique en son genre. En effet, l’économie a été confrontée à des crises similaires à chaque changement de cycle économique mondial (Business Cycle), en raison de son déséquilibre structurel. Et ce, parce que, tout au long de son histoire, il repose sur deux piliers volatiles : l’exportation des matières premières et les revenus générés du tourisme, du Canal de Suez et les transferts de fonds des Egyptiens à l’étranger. D’ailleurs, l’économie égyptienne a connu la même crise quoique sous une forme moins grave en 2002 après les attentats du 11 Septembre et en 2009 après la crise financière mondiale.

Tout ceci a fait que les autorités sont parvenues à la conclusion suivante : le seul moyen de sortir de ce cercle vicieux réside dans une transition vers l’industrialisation et une intégration dans les chaînes d’approvisionnement mondiales des produits de consommation. Ce qui garantira un niveau minimum de production, de création d’emplois et de croissance, empêchant ainsi l’économie égyptienne de sombrer dans des crises similaires même si le cycle économique mondial atteint son point le plus bas.

Objectifs ambitieux

C’est ainsi que le gouvernement s’est rapidement engagé dans une réforme du secteur industriel afin d’en faire le nouveau moteur du développement. Et ce, en s’appuyant sur les résultats de son énorme programme d’infrastructures mis en oeuvre au cours des six dernières années pour préparer le terrain à cette transition industrielle, en améliorant les réseaux routiers, les approvisionnements en eau, la production d’électricité et en créant des zones industrielles spécialisées dans tout le pays. A la mi-2024, le gouvernement a annoncé son objectif stratégique pour le secteur industriel visant à porter les exportations industrielles à 145 milliards de dollars d’ici 2030, contre 53 milliards de dollars l’année dernière. Cette stratégie repose sur deux objectifs principaux : premièrement, augmenter la valeur ajoutée du secteur industriel de 20 % par an et, deuxièmement, réaliser une croissance annuelle des exportations qui varie entre 15 et 25 %. En effet, le gouvernement est bien conscient que ces objectifs sont très ambitieux, notamment dans un contexte régional instable, d’une part, et avec la concurrence intense pour attirer les investissements étrangers, de l’autre. C’est pourquoi il a mis en place plusieurs outils pour faciliter l’expansion de ce secteur, notamment une carte d’investissements interactive qui fournit des informations sur les opportunités d’investissement disponibles dans les différentes régions. Elle comprend des données complètes sur les projets d’investissement existants et prévus, le volume des investissements attendus, les opportunités d’emploi disponibles et les avantages compétitifs de chaque région et secteur. Cela est complété par un guide intégré de l’investisseur. Il s’agit d’un manuel qui fournit des informations complètes sur l’environnement d’investissement y compris les lois, les réglementations et procédures liées à la création d’entreprises et l’obtention de licences, ainsi que les installations industrielles mises à la disposition des investisseurs. Ce guide comprend également des informations détaillées de diverses mesures d’incitation pour attirer les investissements locaux et étrangers, telles les exemptions fiscales, la réduction des droits de douane et la fourniture de terrains consacrés aux usages industriels à des prix réduits.

Un plan d’action à court, moyen et long terme

Tous ces outils permettent au gouvernement de favoriser la relance du secteur à court, moyen et long terme en éliminant autant que possible ses entraves et en créant les forces motrices appropriées pour son développement. En plus, le gouvernement vient de nommer l’un de ses cadres les plus performants pour le lancement et la gestion de ce dossier : le lieutenant général Kamel Al-Wazir, vice-premier ministre et ministre des Transports. Une nomination justifiée par une longue expérience dans des projets d’envergure allant du nouveau Canal de Suez au développement du secteur du transport. Ce qui lui a valu une grande estime dans les milieux exécutifs. Ce qui facilitera à son tour la coordination des efforts visant à éliminer les différents obstacles administratifs qui entravent le secteur. Dès son arrivée, il a pris deux décisions d’une importance majeure : la première est l’interdiction de la fermeture administrative des usines sauf par ordre écrit personnellement par lui en tant que vice-premier ministre et la seconde vise à interdire « l’inspection arbitraire » des usines. Celle-ci était utilisée auparavant d’une façon arbitraire contre certains industriels vulnérables par des personnes mal intentionnées.

Dynamiser les secteurs-clés

Parallèlement aux efforts précédents, le gouvernement a pris d’autres mesures à court et moyen terme pour relancer l’industrialisation du pays. Il s’agit premièrement de la réouverture des usines en difficulté ou qui ont été fermées par décision administrative. Celle-ci compte près de 2 000 usines qui employaient des dizaines de milliers d’Egyptiens et exportaient des centaines de millions de dollars par an. C’est pour cette raison que fut promulguée l’initiative présidentielle « Ibdaa » (commence). C’est une initiative présidentielle qui vise à créer un champ d’entente entre les visions des propriétaires de ces usines et les différents organismes administratifs pour éliminer les raisons de fermeture. Pour les rouvrir, l’initiative propose de multiples modèles de financement et de soutien technique adapté aux besoins de chacun. Il s’agit aussi de fournir des partenaires à la demande du propriétaire. En parallèle, le gouvernement s’attache à mettre en valeur les avantages compétitifs de certains secteurs industriels clés, tels que le textile et la pétrochimie. La relance de ces secteurs, dans lesquels l’Egypte dispose d’un énorme potentiel, n’a besoin que de quelques ajustements et d’un financement suffisant pour faire gagner au pays sa place en matière d’exportation.

 Au moyen terme, des efforts sont déployés pour combler le fossé technologique du secteur. En effet, la capacité à produire des biens industriels traditionnels complexes à part entière, comme les automobiles, a considérablement diminué depuis plus de vingt ans pour se concentrer sur l’assemblage et la fourniture de composants non essentiels. Pour compenser ce fossé, des tentatives de partenariat sont en cours avec des pays amis de l’Egypte comme la Chine et l’Inde pour initier les capacités techniques de l’ouvrier et stimuler les capacités administratives des producteurs des secteurs public et privé, afin de passer à une production autonome et indépendante. D’ailleurs, la promotion du secteur industriel ne s’arrête pas là.

D’autres efforts sont déployés visant à améliorer l’environnement économique et l’image de l’économie égyptienne auprès des investisseurs étrangers et à créer un environnement des affaires favorable au secteur privé. L’Etat met ainsi ses ressources au service du secteur privé au lieu de l’entraver. Pour atteindre cet objectif, une révision complète de la législation fiscale et des procédures d’obtention des permis industriels est en cours.

Cap sur les industries vertes

A long terme, le gouvernement met en oeuvre un plan à deux axes : le premier consiste à localiser des industries vertes, notamment les industries génératrices d’énergie, telles que les industries des panneaux solaires et l’éolien. L’objectif est de faire de l’Egypte un hub régional de commerce d’énergie capable de transférer l’énergie sous toutes ses formes, essentiellement l’énergie électrique, vers le Golfe, l’Afrique du Nord et l’Europe. Le deuxième axe se concentre sur la localisation des industries technologiques, en particulier celle de téléphonie mobile dont l’Egypte est devenue déjà un centre régional. Au moins 10 sociétés internationales opèrent actuellement en Egypte en exportant une production qui vaut des dizaines de millions de dollars par an.

Pour conclure, il est impératif que les trois phases, sur les court, moyen et long termes, soient intégrées et synchronisées. Aucune ne doit être interrompue. La détermination du gouvernement actuel à développer le secteur industriel doit également se poursuivre sans relâche. Car il représente la seule issue pour l’économie égyptienne face aux crises mondiales et aux transformations géopolitiques violentes, sans oublier les changements climatiques radicaux qui affectent négativement nos ressources actuelles.

*Expert économique

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