Gaza, d’un massacre à l’autre. Le bombardement de l’école d’Al-Tabéïne, qui hébergeait plus de 2 000 déplacés, est le plus meurtrier depuis le début de l’agression israélienne. Les corps des martyrs se comptent par dizaines sur les lieux du massacre. Cette attaque est intervenue 24 heures après l’appel lancé par l’Egypte, les Etats-Unis et le Qatar, le 9 août, invitant Israël et le Hamas à « reprendre les discussions d’urgence jeudi 15 août, à Doha ou au Caire, afin de combler les lacunes et parvenir sans tarder à un accord ». Au Moyen-Orient, le risque d’embrasement grimpe encore. Le Hezbollah a lancé une dizaine de missiles sur le nord d’Israël. Alors que l’Iran insiste sur son droit de riposter « de manière appropriée et dissuasive » à toute agression, les Etats-Unis ont mis en garde lundi que Téhéran pourrait lancer cette semaine une série d’attaques significatives contre Israël. Par ailleurs, Washington a accéléré son déploiement militaire dans la région en déployant des avions de chasse furtifs et des navires de guerre. Le Moyen- Orient est aujourd’hui sur le qui-vive face aux interrogations suivantes : le Hezbollah et l’Iran représentent-ils aujourd’hui deux fronts distincts, chacun avec ses propres calculs et menant sa propre guerre, ou bien lanceront-ils des frappes simultanées et coordonnées ? Y aura-t-il des frappes préventives de la part d’Israël ? Et quel sera l’impact d’une riposte iranienne sur les négociations ? « Il est évident qu’Israël ira plus loin dans sa stratégie de la terreur à double volet : perpétrer davantage de massacres dans la bande de Gaza et attiser les tensions simultanément sur multiples fronts, afin de déclencher des affrontements régionaux », explique Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire.
Massacres systématiques
De nombreuses analyses s’accordent sur le fait que l’opération « Déluge d’Al- Aqsa », lancée le 7 octobre 2023 contre Israël, était révélatrice de l’échec de la théorie de la dissuasion d’Israël. C’est pourquoi l’un des principaux objectifs de l’agression israélienne est de corriger l’image de défaillance de ses appareils de sécurité en travaillant sur plusieurs volets. Le premier est de détruire massivement et de manière aveugle la bande de Gaza. Ce volet implique des bombardements systématiques d’infrastructures civiles, telles que les abris, les écoles et les lieux de rassemblement, envoyant ainsi deux messages de terreur. Le premier est que le coût d’une attaque contre Israël sera élevé, le deuxième message est destiné aux citoyens palestiniens et consiste à leur dire qu’ils doivent payer le prix d’avoir permis au Hamas de mener une telle opération. En parallèle, Israël poursuit le processus de nettoyage ethnique en Cisjordanie loin des caméras. Le ministre israélien des Affaires étrangères, Israël Katz, a appelé à l’évacuation du camp de réfugiés de Jénine, en Palestine occupée, et à le « gérer de la même manière » que la bande de Gaza. Hassan Abou-Taleb, politologue, souligne deux choses à propos de ces massacres. La première est qu’ils surviennent à « des moments bien calculés » par Netanyahu pour empêcher toute avancée vers un accord équilibré pouvant atténuer légèrement les souffrances des Palestiniens et faciliter l’échange de prisonniers. Ce qui a été confirmé par un communiqué du ministère égyptien des Affaires étrangères condamnant le massacre de l’école Al-Tabéïne : « Israël n’a pas la volonté politique de mettre fin à la guerre à Gaza ». Deuxièmement, ces massacres systématiques sont toujours accompagnés de mensonges pour justifier le meurtre délibéré des civils et des enfants. A chaque fois, Israël prétend que les bombardements ciblaient des groupes militants du Hamas, alors que ces allégations sont dénuées de tout fondement. Les massacres précédents qui ont visé les centres d’hébergement ont fait usage de bombes américaines réputées pour leur large rayon de destruction, leur capacité de percer les fortifications et de tuer un grand nombre de cibles. Dans la dernière attaque, l’aviation israélienne a utilisé huit projectiles américains équipés de système de guidage de type « JDAM ». Ce système, guidé par laser ou par GPS, utilise des algorithmes d’intelligence artificielle pour identifier avec précision les cibles. Ce qui signifie, selon le spécialiste, que le ciblage de l’école était « à la fois intentionnel en ce qui a trait au lieu et au moment » et visait à « tuer le plus grand nombre de personnes possible ».
Attiser les tensions régionales
Autre objectif : Netanyahu cherche à attiser les tensions régionales sur multiples fronts en même temps, dans le but d’étendre leur portée géographique. Ces dernières semaines, Israël a adopté une série d’opérations spécifiques, dont le ciblage du port yéménite de Hodeïda, l’assassinat des deux grandes figures du Hamas et du Hezbollah, Ismaïl Haniyeh et Fouad Chokr, et le lancement, le 9 août, d’une nouvelle opération militaire à Khan Younès. « Netanyahu cherche à prolonger la durée de la guerre et à gagner du temps pour entraver les poursuites juridiques lancées contre lui en Israël, détourner l’attention de la communauté internationale loin de ses crimes de guerre dans la bande de Gaza et prolonger la vie du gouvernement israélien d’extrême droite. En outre, le facteur temps est important pour Netanyahu afin de renforcer sa position sur la table des négociations ».
Mais pourquoi Israël veut provoquer l’Iran en commettant des assassinats sur son sol ? En effet, Israël tente de changer les règles régissant ses confrontations avec l’Iran en attirant Téhéran sur le terrain d’un face-à-face direct au moment où le régime iranien passe par une période de transition interne délicate et prépare la phase de l’après-Khamenei. C’est ce qu’explique Mona Soliman. « Israël souhaite que l’Iran réponde à ses provocations par des représailles violentes ou vise les intérêts américains ou européens dans la région. Israël cherche ainsi à former un front uni avec les pays occidentaux contre l’Iran et ses alliés », souligne-t-elle. Et d’ajouter : « Parallèlement, Tel-Aviv tente de persuader les Occidentaux de la nécessité d’agir face au programme nucléaire iranien, ainsi qu’aux missiles balistiques et aux drones de l’Iran ».
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