Il est facile de prendre la décision de commencer une guerre, mais il est difficile de l’arrêter. Le spectre de l’embrasement plane sur le Moyen-Orient. Quand ? Où ? Et comment ? Ces trois questions sont aujourd’hui sur toutes les lèvres. Après l’assassinat de deux grandes figures du Hamas et du Hezbollah la semaine dernière, les menaces d’une escalade militaire entre l’Iran et ses bras régionaux d’un côté, et Israël de l’autre se multiplient. La première opération a eu lieu dans la capitale libanaise, Beyrouth, et a visé le haut dirigeant du Hezbollah, Fouad Chokr, tandis que la deuxième a eu lieu au coeur de la capitale iranienne, Téhéran, quelques heures après l’investiture du nouveau président iranien, et avait pour cible le leader du Hamas Ismaïl Haniyeh. Selon toutes les prévisions, la réponse iranienne est imminente.
Mais c’est le timing et l’ampleur de cette éventuelle riposte qui suscitent une inquiétude généralisée au sein de la communauté internationale. Le nouveau président iranien, Massoud Pezeshkian, a promis de faire « regretter » à Israël son « acte lâche ». Le Hezbollah évoque, pour sa part, une « réponse inéluctable » et « très étudiée » à venir. Washington est sur la défensive. Les services de renseignement américains ont averti lundi qu’une attaque de l’Iran et du Hezbollah contre Israël pourrait être lancée dans les prochaines 48 heures. Et en prévision d’éventuelles représailles iraniennes, le Pentagone a déclaré dans un communiqué avoir modifié son dispositif militaire au Moyen-Orient avant d’envoyer « des destroyers et des croiseurs dotés de défense anti-missiles balistiques en Méditerranée ». A la frontière israélo-libanaise, les frappes réciproques se poursuivent sans relâche entre le Hezbollah et Israël, alors qu’une dizaine de pays ont demandé à leurs ressortissants de quitter au plus vite l’Iran. Les tambours de la guerre battent sur tous les fronts. Selon beaucoup d’observateurs, l’escalade entre l’Iran et Israël pourrait se transformer en une guerre régionale sans contrôle, ni limites géographiques. « L’horizon est flou. L’assassinat de Haniyeh a mené à l’ouverture de plusieurs fronts de guerre entre Israël et l’Iran dans la région », explique Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire. Jusqu’où peut aller l’escalade entre l’Iran et Israël ?
Les scénarios de la riposte iranienne
Selon Abou-Bakr Al-Dessouki, conseiller éditorial du magazine Al-Siyassa Al-Dawliya (politique internationale), la riposte iranienne est inévitable et sera sans doute plus importante que les frappes iraniennes sur Israël en avril dernier en riposte à l’attaque israélienne contre le consulat iranien en Syrie, ayant entraîné la mort du commandant de haut rang des Gardiens de la Révolution, Mohammad Reza Zahedi, et sept autres commandants militaires. Cette attaque israélienne a été suivie par une attaque iranienne contre Israël dans la soirée du 12 avril 2024, qui fut suivie à son tour par une frappe israélienne sur une base militaire iranienne à Ispahan. C’était la première action directe de l’Iran contre Israël depuis des décennies. « Ces opérations ont amené les affrontements entre les deux pays à un niveau sans précédent. Ces affrontements se déroulaient habituellement de manière indirecte et par le biais de mandataires, aucun des deux pays ne ciblant directement l’autre », explique Dessouki. Et d’ajouter : « Les opérations étaient orchestrées de manière à ne pas provoquer de pertes importantes pour les deux parties, chacune d’elles craignant les conséquences d’une guerre totale. Cependant, les dernières opérations ont grandement ouvert la porte à des actions plus dangereuses en fonction de l’évolution de la situation ». En plus des coûts exorbitants d’une guerre totale, explique Dessouki, la réponse iranienne à l’assassinat de Haniyeh sera également dictée par la vision iranienne de ne pas s’impliquer dans une guerre totale avec Israël, car l’Occident risque de s’impliquer dans cette confrontation, ce qui nuira aux intérêts de Téhéran. « La prochaine frappe iranienne, si elle a lieu, sera limitée, mais efficace ou douloureuse, ce qui signifie qu’elle entraînera des pertes en vies humaines, en équipements ou en infrastructures. Cette frappe pourrait être coordonnée avec le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen et les agents iraniens en Syrie et en Iraq pour maximiser l’impact, c’est-à-dire attaquer Israël sur plusieurs fronts pour l’amener à s’engager dans une désescalade, plutôt que de lancer une guerre souhaitée par Netanyahu », analyse le politologue.
Les calculs d’Israël
Mais Israël est-il prêt à une guerre sur plusieurs fronts ? « Tel-Aviv craint que l’Iran et le Hezbollah ne lancent plusieurs vagues de missiles et de drones, afin de l’épuiser militairement et psychologiquement avant de mener l’attaque attendue. Laisser Israël dans un état d’attente pendant un certain temps perturbe ses calculs et augmente ses coûts », ajoute Dessouki.
Dr Ahmed Sayed Ahmed, expert en relations internationales au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, explique dans son article intitulé « Le Moyen-Orient au bord du gouffre » que Netanyahu a « délibérément voulu accentuer la tension à travers les assassinats ciblés ». Le premier ministre israélien a ainsi clairement franchi les lignes rouges et brisé les règles traditionnelles de l’affrontement entre les deux parties. Netanyahu poursuit plusieurs objectifs. Le premier est de dissimuler ce qui se passe à Gaza, d’autant que l’agression israélienne à Gaza, qui a fait plus de 40 000 martyrs, la plupart des femmes et des enfants, suscite une grande colère dans le monde. « L’attention du monde entier portait sur le procès de Netanyahu et les décisions de la CIJ insistant sur la nécessité de mettre fin à l’occupation et le droit des Palestiniens à établir leur Etat. Netanyahu a réussi à attirer l’attention du monde vers le conflit qui l’oppose à l’Iran et à ses alliés », affirme Sayed Ahmed. Le deuxième objectif est que le problème principal ne soit plus la nécessité de mettre fin à l’occupation et à l’agression israéliennes de Gaza, mais les menaces auxquelles Israël est confronté de la part de l’Iran et de ses alliés. Ce qui conduirait à un changement dans les positions occidentales, passant de la critique d’Israël à un soutien politique et militaire total face aux menaces iraniennes.
Incertitudes
Quel impact sur la guerre à Gaza ? Selon Mona Soliman, « tous les scénarios sont sombres, et l’ambiguïté règne sur le sort de ce que l’on appelle le jour d’après ». Le premier est la poursuite de l’escalade militaire à Gaza comme c’est le cas actuellement. L’autre scénario est le gel du conflit ou le maintien de l’état de non-paix et de non-guerre, jusqu’aux élections de la Knesset en 2026. « Dans ce cas de figure, Israël continuerait à lancer des frappes tactiques ciblant des dirigeants du mouvement Hamas, ainsi que ses capacités militaires et humaines », conclut Mona Soliman.
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