Al-Ahram Hebdo : Quels sont les principaux objectifs de la BAD sur le continent africain ?
Abdourahmane Diaw : La BAD se veut la première institution financière de l’Afrique, nous sommes énormément soutenus par l’Union Africaine (UA) et nous avons pour mandat d’assister nos pays dans leurs parcours de développement économique. Quand le président Adesina est arrivé à la banque, il a fixé cinq priorités opérationnelles, dans le cadre de la stratégie de la banque. La première est comment électrifier l’Afrique, la deuxième nourrir l’Afrique, la troisième industrialiser l’Afrique, la quatrième intégrer l’Afrique, la cinquième améliorer les conditions de vie des populations de l’Afrique. Tout ce que nous faisons en Afrique s’articule autour de ces cinq priorités opérationnelles, qui sont adaptées, bien sûr, selon les priorités et les conditions de chaque pays.
— Quels sont les principaux défis auxquels fait face le continent africain ?
— Si je dois choisir un défi, je vais mentionner la période du Covid-19. Je pense que la période du Covid-19 était un rappel brutal pour tous les pays africains et nous nous sommes rendu compte que nous importions de grandes quantités de denrées alimentaires, et cela a été affecté par l’arrêt du transport de certaines marchandises. Beaucoup de pays africains ont dû faire face à des crises alimentaires. C’est pourquoi la BAD a créé un mécanisme spécial et mobilisé beaucoup de ressources pour aider nos pays à faciliter l’importation des produits alimentaires, sinon la situation risquait de devenir critique. A plusieurs occasions, comme lors des Sommets de Dakar 1 et 2, nous nous sommes focalisés sur les moyens d’augmenter la production agricole en Afrique, de réduire les importations et de faire en sorte que nos pays soient, dans la mesure du possible, autosuffisants. Une priorité pour nous serait de booster la production agricole, d’accompagner les pays africains pour qu’ils produisent au moins les denrées de première nécessité et de faire en sorte qu’on soit à l’abri des perturbations des marchés.
Le deuxième point est urgent, c’est celui de l’énergie, notamment l’accès à l’électricité. Nous sommes dans un continent où 600 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité, c’est quelque chose qui interpelle tout ce que nous avons comme potentiel pour développer les énergies renouvelables, nous sommes là aussi vraiment en retard. Donc là aussi, la BAD, avec d’autres partenaires, notamment la Banque mondiale, ont une initiative de mobiliser des ressources pour permettre à des centaines de millions d’Africains d’avoir accès à l’électricité.
— L’Afrique souffre d’un manque considérable dans les infrastructures de transport, qu’en pensez-vous ?
— C’est un point très important parce que l’une des cinq priorités opérationnelles de la BAD est de favoriser l’intégration africaine et de développer le commerce interafricain. Nous le faisons en renforçant les infrastructures, parce que comme vous le savez au niveau de l’UA, il y a des corridors routiers traversant l’Afrique qui ont été sélectionnés soit du nord au sud ou bien de l’ouest à l’est. Il faut mobiliser davantage de ressources pour financer la totalité du programme des corridors routiers que nous finançons en collaboration avec l’UA. La BAD est organisée en cinq régions, nous avons la région de l’Afrique du Nord, l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique de l’Est, l’Afrique centrale et l’Afrique du Sud. Au niveau des cinq régions, nous élaborons ce que nous appelons une stratégie d’intégration régionale pour chacune de ces régions. Et au niveau de ces stratégies régionales, nous développons des infrastructures non seulement pour favoriser l’intégration au niveau de chaque région, mais aussi pour faciliter l’intégration entre les différentes régions. Prenons l’Egypte à titre d’exemple, ce pays est très bien positionné non seulement pour échanger avec l’Afrique du Nord, mais aussi pour échanger avec les pays de l’Afrique de l’Est. L’Egypte a démontré un savoir-faire certain dans des domaines comme l’industrie, l’éducation, la santé et le tourisme, et les pays de l’Afrique subsaharienne pourraient profiter de l’expertise de l’Egypte.
— Quel potentiel possède, selon vous, le continent africain même s’il n’est pas suffisamment exploité ?
— Je pense que l’Afrique est le continent qui a le plus de ressources naturelles, et toutes les données l’ont démontré. Nous possédons le plus de terres arables, le plus de potentiel hydro-agricole, nous avons la forêt du Congo qui est le second bassin forestier le plus important au monde, nous avons tout ce qui est minerais, nous avons du pétrole et du gaz. Maintenant, comme le dit notre président Adesina, le potentiel ne se mange pas, il faut donc exploiter ce potentiel.
Le rôle d’une institution comme la BAD est de transformer ce potentiel en développement en accompagnant les pays. Au niveau de chaque pays, nous avons un document de stratégie adapté au potentiel et aux défis du pays qui détermine les priorités qu’il faudrait dégager pour permettre un développement économique. Et sur cette base, nous cherchons à développer des ressources en fonction de notre savoir-faire en complément avec nos autres partenaires. Le défi est de savoir comment transformer ce potentiel en développement.
— Quelle est votre stratégie en Egypte ?
— Au niveau de l’Egypte, nous avons une stratégie que nous avons développée en 2022 pour la période 2022-2026 et nous avons deux piliers qui soutiennent cette stratégie. Le premier est de renforcer le secteur privé pour que la création d’emplois et le développement économique soient portés par ce secteur et de faire en sorte qu’il soit davantage un acteur dans le développement économique du pays. Pour cela, nous avons choisi deux secteurs d’intervention. Il y a d’abord l’industrie, comme je le disais, l’Egypte a vraiment une base industrielle intéressante, et en la renforçant, on peut libérer le potentiel du secteur privé pour produire davantage et exporter vers d’autres pays d’Afrique. Nous avons aussi un projet de modernisation du système de transport que nous finançons. Le deuxième pilier d’intervention est celui de la sécurité alimentaire, de la sécurité au niveau de la fourniture d’eau, et aussi l’efficience énergétique. Nous faisons beaucoup en termes de modernisation, de recyclage des eaux usées pour les mettre à la disposition de l’agriculture et même pour la consommation de l’eau potable. C’est l’occasion de parler d’un programme que gère le gouvernement qui s’appelle le programme NWFE et qui fait le lien entre les secteurs de l’eau, de l’agriculture et de l’énergie. Nous avons soulevé un financement de 2,6 milliards de dollars pour le programme eau du NWFE et il y a le volet agriculture où nous participons également. Lorsque ce programme NWFE a été présenté aux autres pays africains, il a suscité leur intérêt parce que c’est un programme complet qui englobe l’eau, l’énergie et l’agriculture. C’est une initiative qui intéresse d’autres pays africains.
— Quels sont les pays africains qui peuvent, selon vous, avancer au niveau du développement économique ?
— Quand nous regardons les perspectives de croissance en Afrique, nous sommes optimistes parce que dans beaucoup de ces prévisions c’est souvent l’Afrique qui est en tête des pays qui pourraient avoir une croissance élevée. Je pense que le défi est la durabilité de cette croissance. Au niveau de la BAD, nous avons une classification des pays, il y a ceux qui sont seulement éligibles à des ressources concessionnelles, nous avons des pays à revenu intermédiaire comme l’Egypte, et ce que nous avons pu noter c’est que, par exemple, des pays qui n’avaient accès qu’à des ressources concessionnelles sont en train de s’améliorer pour devenir des pays à revenu intermédiaire, c’est le cas du Ghana, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal et aussi du Cap-Vert. Ces pays sont en train de faire la transition et nous avons l’espoir de voir un nombre important de pays africains devenir dans les prochaines années des pays à revenu intermédiaire.
Lien court: