Al-Ahram Hebdo : Dans quelle mesure la mort surprise du président iranien peut-elle causer une instabilité dans le pays ?
Ali Atef : La mort du président iranien Ebrahim Raïssi dans le crash de son hélicoptère risque, en effet, de créer une période d’instabilité au sein de la République islamique, au moins jusqu’à l’annonce de la décision du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, concernant le futur président. Plusieurs scénarios sont prévus. Au cours des quelques heures entre l’annonce de l’accident de l’hélicoptère présidentiel et celle de la mort du président, le pouvoir a vite agi pour éviter la confusion avec l’annonce. Outre le président par intérim Mohammad Mokhber, ancien premier vice-président nommé en vertu de la Constitution, Ali Bagheri a été nommé à la tête de la diplomatie à titre provisoire remplaçant Hossein Amir-Abdollahian, mort dans le même crash. Le guide suprême a aussi demandé une réunion le plus tôt possible des chefs du pouvoir judiciaire, du gouvernement et du Parlement pour fixer la date de la présidentielle afin d’éviter la moindre tension dans la période à venir, jusqu’à l’organisation d’élections. Conformément à la Constitution, le président par intérim doit organiser l’élection d’un nouveau président dans un délai maximum de 50 jours.
— Cette période n’est-elle pas propice à de nouveaux troubles comme ceux qui ont secoué le pays fin 2022 ? Et qu’en est-il des réformateurs et de l’opposition ?
— Les réformateurs peuvent s’allier à l’opposition et former un front uni pour affronter les conservateurs. Mais les élections sont très proches, ils n’auront pas le temps de bien se préparer pour faire front commun. Quant aux troubles internes, la vague de protestation qui a secoué l’Iran des mois durant en 2022 à la suite du décès de Mahsa Amini a été réprimée. Elle avait pourtant donné un certain espoir aux Iraniens alors que les conditions de vie sont très difficiles.
— Le président par intérim, Mohammad Mokhber, sera-t-il candidat ? Y a-t-il d’autres noms sur la scène ?
— Mohammad Mokhber a immédiatement, après sa nomination, convoqué une réunion d’urgence des chefs du pouvoir judiciaire, du gouvernement et du Parlement. Et il a été décidé que l’élection présidentielle aurait lieu le 28 juin 2024. Le premier scénario est que Mokhber soit le prochain président car pour le moment, aucun nom ne se dégage comme prétendant pour la présidentielle. Mokhber est connu comme un homme de l’ombre proche de Khamenei. D’autres noms peuvent paraître dans la période à venir.
— Peut-il y avoir un changement dans les grandes lignes de la politique intérieure ou étrangère de l’Iran ?
— Non. On ne s’attend pas à un changement majeur car les grands dossiers sont entre les mains du guide suprême et des chefs du corps des Gardiens de la Révolution islamique (l’armée idéologique du régime) et le Conseil suprême de sécurité nationale qui comprend les dirigeants de services de renseignement. Le président et son gouvernement suivent cette politique.
— Justement, le guide suprême est vieillissant et Ebrahim Raïssi était considéré comme l’un des favoris à la succession de Khamenei …
— En effet, la mort de Raïssi va poser un défi majeur à toutes les institutions du pays, surtout les institutions sécuritaires et religieuses. On peut même dire que sa mort est un défi pour le guide suprême lui-même. Pendant une vingtaine d’années, Ali Khamenei et ses assistants préparaient Ebrahim Raïssi pour devenir le futur ayatollah. Certains s’attendaient même que Khamenei, très âgé et souffrant de plusieurs maladies, cède son poste à Raïssi avant l’élection présidentielle qui devrait être tenue en juin 2025. Maintenant, le guide suprême doit changer son plan et chercher un autre candidat. En effet, c’est le choix d’un nouveau guide suprême qui représente le plus grand défi en Iran.
— Et y a-t-il d’autres candidats pour le poste du guide suprême ?
— Il faut d’abord savoir que ce poste, créé par la Constitution de 1979, représente la plus haute autorité politique et religieuse du pays. Le guide doit être un juriste possédant la plus haute autorité religieuse dans le chiisme duodécimain. Il est élu par l’Assemblée des experts pour une durée indéterminée, potentiellement à vie. Et même les plus hautes sphères du pouvoir lui doivent obéissance. Son rôle est influent non seulement en Iran, mais aussi auprès des chiites du monde entier. Or, depuis la Révolution islamique, deux guides seulement se sont succédé : Rouhallah Khomeini de 1979 jusqu’à 1989, puis Ali Khamenei depuis cette date jusqu’à ce jour. Outre le président par intérim Mohammad Mokhber, deux noms ont récemment circulé : Hassan Rouhani, ex-président de l’Iran (du 2013 à 2021), et Ali Larijani, qui a occupé plusieurs postes importants, dont celui de président du Parlement.
— Revenons au crash de l’hélicoptère présidentiel, les vrais résultats de l’enquête vont-ils être annoncés ?
— Il est vrai que le régime iranien refuse toujours toute forme d’ingérence dans ses affaires internes, mais il sera obligé de rendre public, à terme, tous les résultats de son enquête car il s’agit de la mort d’un président et de son ministre des Affaires étrangères. Le chef d’état-major des forces armées iraniennes a créé un comité de haut rang pour lancer une enquête sur la cause du crash. On sait que les conditions météorologiques étaient difficiles, mais de nombreux doutes planent et d’aucuns estiment qu’il peut s’agir d’un attentat. Plusieurs questions ont besoin d’être justifiées, par exemple, pourquoi le pilote s’est envolé dans ces conditions météorologiques dangereuses, pourquoi les deux autres hélicoptères sont arrivés et celui-là s’est écrasé. Autre question, il est connu dans les lois de navigation aérienne mondiales qu’un hélicoptère de plus de vingt ans ne doit pas voler. Or, cet hélicoptère a été fabriqué en 1997. Autant de questions qui attendent des réponses.
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