« Tout le monde devrait prier pour la santé de ces personnes qui servent la nation iranienne. La nation n’a pas besoin d’être inquiète ou anxieuse puisque l’administration du pays ne sera pas du tout perturbée », écrivait l’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de l’Iran, sur X, alors que les recherches se poursuivaient pendant une dizaine d’heures pour retrouver l’hélicoptère qui transportait le président iranien Ebrahim Raïssi.
Khamenei ne cherchait pas apparemment à clamer uniquement les citoyens, il dévoilait simplement un constat. L’épave de l’hélicoptère transportant Raïssi, le ministre des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian et six autres personnes a enfin été retrouvée lundi tôt le matin dans les montagnes près de la frontière azerbaïdjanaise.
La mort soudaine du président Raïssi, 63 ans, a jeté un voile d’incertitude sur la succession du guide suprême, mais les analystes s’accordent à dire que l’impact sur la politique étrangère et les décisions stratégiques de l’Iran devrait être minime. En effet, c’est l’ayatollah Khamenei (85 ans), qui a succédé à Khomeini après sa mort en 1989, et le Conseil suprême de sécurité nationale qui détiennent les rênes du pouvoir et élaborent la stratégie globale du pays, diluant le pouvoir du président. Raïssi, lui, était largement considéré comme un fidèle allié du guide suprême, mettant en oeuvre sa politique et promouvant le rôle élargi du corps des Gardiens de la Révolution dans les domaines politique et économique.
Répercussions régionales
Cependant, comme le souligne le politologue égyptien Gamal Abdel-Gawad, « l’Iran est un pays de poids, et tout ce qui s’y passe a des répercussions sur la région, d’autant plus que les zones de conflit sont vastes et ont de grandes répercussions sur la stabilité de la région ».
La réponse internationale à la mort de Raïssi a été vive (voir page 5), avec les Etats-Unis présentant leurs condoléances, Le Caire, Riyad et Abu-Dhabi exprimant les sincères condoléances au « peuple frère » et la minute de silence observée au Conseil de sécurité, et bien avant la décision de l’Union européenne d’activer son système de cartographie pour aider Téhéran à retrouver l’hélicoptère transportant le dirigeant iranien le souligne. Abdel-Gawad croit que cette importance est d’autant plus accrue dans le contexte actuel d’escalade des tensions régionales, nées de la guerre israélienne brutale contre les Palestiniens à Gaza.
Le mandat de Raïssi avait, en effet, été marqué par un changement de cap dans la politique iranienne, avec une volonté d’amélioration des relations avec les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite. L’annonce fracassante de la normalisation des relations entre Riyad et Téhéran, à Pékin en mars 2023, avait eu un retentissement considérable sur l’échiquier géopolitique, prévoyant un changement des équilibres précaires de la région, jusqu’alors marquée par la rivalité de longue date entre les deux capitales.
C’est sous son mandat aussi que Téhéran a lancé la toute première attaque directe contre Israël, avec plus de 300 drones et missiles. Un tir de barrage en réponse à un raid israélien contre le consulat iranien à Damas, qui a tué sept membres de la Garde de la Révolution iranienne. L’Iran avait jusqu’à cette date en avril choisi de s’abstenir de riposter indirectement aux agressions israéliennes, malgré son soutien aux groupes résistant à l’influence des Etats-Unis et la posture belliqueuse d’Israël au Proche-Orient, notamment en Syrie et au Liban.
Raïssi n’a pas réussi à parvenir à relancer l’accord nucléaire avec les Américains, n’empêche que durant son règne aussi, des responsables iraniens et américains ont tenu des discussions indirectes à Oman, dont le dernier round était juste trois jours avant son décès.
On lui doit aussi, avec son chef de diplomatie Abdollahian, d’avoir fait pression dans les négociations nucléaires avec les puissances mondiales et d’avoir élargi les liens de l’Iran avec la Russie, la Chine et l’Inde grâce à une stratégie de « regard vers l’Est ».
Cette même stratégie a inclus l’Egypte. Les deux pays ennemis de longue date ont scellé un rapprochement inédit. Le président Abdel Fattah Al-Sissi avait ainsi rencontré, pour la première fois, son homologue iranien en marge du Sommet extraordinaire arabo-islamique de Riyad. « Le volume des consultations, des réunions et des appels téléphoniques entre les responsables iraniens et égyptiens, en particulier entre les présidents des deux pays en marge du Sommet de l’OCI, les appels et la correspondance entre les deux présidents et leurs rencontres lors de la réunion des BRICS, la réunion et l’accord entre les ministres de l’Economie et des Finances, ainsi que les contacts et consultations continus entre moi-même et Sameh Shoukry, ministre égyptien des Affaires étrangères, comme à Riyad, New York et récemment en Gambie, montrent la compréhension politique mutuelle entre Le Caire et Téhéran sur l’efficacité du dialogue et de l’interaction conjointe pour faire progresser les relations bilatérales », avait annoncé Abdollahian, juste en mars dernier. « Nous avons pris des mesures conjointes et nous continuerons ensemble sur cette bonne voie », avait-il ajouté.
Juste un petit rééquilibrage
« Cette approche va vraisemblablement persister, un nouveau président pourrait chercher à maintenir cette dynamique d’amélioration des relations. L’arrivée d’un nouveau dirigeant pourrait uniquement entraîner un rééquilibrage des priorités », croit un diplomate arabe. L’Iran ne changera pas fondamentalement sa politique étrangère à l’égard de Washington ou Tel-Aviv, dit-il.
Il estime toutefois que les événements internes pourraient amener temporairement l’Iran à se préoccuper peu des affaires étrangères, notamment de la guerre contre Gaza.
« Dans quelle mesure la prochaine élection présidentielle favorisera-t-elle le retour d’une concurrence entre les courants réformateurs et la ligne dure ? C’est de cela que dépendra l’avenir », ajoute-t-il.
La plus importante question qui pèse sur l’Iran est de savoir qui succédera à l’ayatollah Khamenei en tant que chef suprême, et qui sera le futur président américain. Un Trump de nouveau à la Maison Blanche risque de pousser l’Iran à durcir le ton s’il décide de renforcer les sanctions et de raviver sa position dure à l’égard de l’Iran.
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