Il faudra 14 ans, selon l’ONU, pour déblayer les 37 millions de tonnes de débris et de décombres qui jonchent la bande de Gaza. L’organisation internationale tire la sonnette d’alarme quant à la situation dans l’enclave palestinienne. 10 % des bombes n’ont pas explosé et se trouvent mélangées aux ruines, ce qui représente une menace pour les habitants. Alors que la guerre entre dans son 7e mois, le bilan humain et matériel ne cesse de s’alourdir : 34 488 personnes tuées, 77 643 blessées, alors que près de 7 000 personnes sont encore sous les décombres. Selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM), « la famine est imminente » dans le nord de la bande de Gaza, où 70 % de la population qui reste souffrent de façon catastrophique de la faim. Sur le terrain, Israël intensifie ses préparatifs pour une offensive à Rafah. Le 24 avril, l’armée israélienne a déclaré que deux brigades de réserve qui se trouvaient dans le nord d’Israël, sur le front avec le Hezbollah au Sud-Liban, seraient mobilisées pour être envoyées au sud de Gaza. Sur le plan diplomatique, les regards du monde se tournent vers Le Caire où devraient se dérouler les négociations de la dernière chance pour parvenir à un accord et empêcher l’invasion de Rafah. Deux délégations du Hamas et d’Israël étaient attendues au Caire mardi 30 avril pour entamer des pourparlers indirects autour d’un nouveau plan égyptien de cessez-le-feu à Gaza.
Le cauchemar
A la tribune du Forum économique mondial (WEF) les 28 et 29 avril 2024 en Arabie saoudite, Le Caire a renouvelé son avertissement contre les conséquences catastrophiques d’une invasion israélienne de Rafah. « La guerre à Gaza est un cauchemar pour le monde entier, car c’est un châtiment collectif infligé aux habitants et non une punition pour le Hamas », a déclaré le premier ministre, Mostafa Madbouly, en marge du forum. Et d’ajouter : « Il y a entre 1,3 et 1,4 million de Palestiniens déplacés aux frontières. Toute attaque contre la ville serait une catastrophe ». Par ailleurs, le ministre des Affaires étrangères, Sameh Shoukry, a dévoilé qu’une « proposition de trêve est actuellement sur la table et les deux parties doivent l’étudier et l’accepter. Les négociations visent un cessez-le-feu permanent à Gaza ». Shoukry s’est dit optimiste. « La proposition prend en compte les positions des deux parties et tente de trouver un terrain d’entente … Il y a des progrès sur certaines questions, mais des questions fondamentales nécessitent encore un compromis de la part des deux parties », a-t-il affirmé.
Selon Mohamed Abdel-Razek, chercheur au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques (ECSS), « l’Egypte déploie des efforts intenses pour parvenir à une désescalade. La proposition égyptienne comprend la libération des femmes et des cas humanitaires israéliens détenus, en échange d’une trêve humanitaire en fonction du nombre de personnes libérées, ainsi que la suspension de l’invasion israélienne de Rafah dans un premier temps, la phase suivante étant consacrée à une trêve de longue durée à Gaza. Le ministre israélien des Affaires étrangères a annoncé samedi qu’il serait possible de reporter l’invasion de Rafah si un accord était conclu », explique Abdel-Razek. Et d’ajouter : « La position israélienne appelle à la libération de 40 otages (femmes, personnes âgées et malades), tandis que le mouvement Hamas affirme que le nombre pourrait être inférieur. Israël souhaite également un cessez-le-feu temporaire, alors que le Hamas souhaite un cessez-le-feu permanent. L’Egypte s’efforce de rapprocher les points de vue en proposant un plan en plusieurs étapes ».
Quels scénarios ?
Israël peut-il accepter un cessez-le-feu ou un retrait de Gaza ? Selon Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire, malgré sa supériorité militaire, Israël n’a pas réussi à atteindre ses objectifs déclarés dans sa guerre, à savoir libérer les otages, éliminer le Hamas ou le désarmer complètement. Mais en transformant Gaza en un lieu inhabitable, Israël a détruit les infrastructures et l’économie de Gaza et a créé une situation où la reconstruction nécessiterait des décennies et des milliards de dollars. La Banque mondiale estime que Gaza a perdu 85 % de son économie.
En outre, selon Abdel-Razek, le gouvernement israélien est confronté à des pressions internes concernant l’accord de cessez-le-feu avec des manifestations massives organisées par les familles des otages, exigeant la conclusion d’un accord pour leur libération et la démission du gouvernement en raison de son incapacité à réaliser cet objectif jusqu’à présent. En plus, les divisions au sein du gouvernement constituent un autre facteur de pression interne. Les ministres israéliens d’extrême droite font pression pour une invasion de Rafah et refusent l’accord de cessez-le-feu, menaçant de faire tomber le gouvernement s’il est approuvé. Par ailleurs, l’opposition et d’autres ministres au sein du gouvernement souhaitent conclure l’accord afin de libérer rapidement les otages et d’alléger la pression populaire. Un autre élément de pression : le moral des troupes israéliennes. Des rapports israéliens font état de soldats israéliens refusant de préparer l’opération militaire à Rafah, affirmant qu’ils ne peuvent plus combattre.
Face à ces pressions, la décision du premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, d’approuver l’accord de cessez-le-feu ou d’envahir Rafah ne sera pas facile, selon Mona Soliman. Tous les scénarios restent ouverts : une intervention limitée à Rafah pour éviter les critiques internationales et les pertes humaines, une invasion complète de Rafah, suivie de sa destruction et du transfert de ses habitants dans des camps ou un report de l’opération en raison d’un accord sur la libération des otages. « On peut dire que les chances de parvenir à un accord sont élevées, mais en même temps, même si un accord est conclu, l’invasion de Rafah restera à l’ordre du jour israélien si les deux parties ne font pas preuve de flexibilité pour parvenir à une trêve de longue durée conformément à la proposition égyptienne », conclut Abdel-Razek.
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