De Columbia à Princeton, de Yale à Harvard, de l’Université de New York à celle de George Washington, de Berkeley à Cambridge … Les campus universitaires s’enflamment aux Etats-Unis. Drapeaux palestiniens, pancartes anti-israéliennes, étudiants en keffieh, haut-parleurs à la main, scandant des slogans de solidarité avec les Palestiniens … L’ombre de la guerre israélienne contre Gaza plane sur les plus prestigieuses universités du monde. Et la fièvre monte. Aux manifestations et aux sit-in pro-palestiniens ont succédé des campements et un bras de fer avec les forces de l’ordre : des dizaines de tentes au beau milieu de plusieurs campus pour dénoncer la guerre à Gaza et le désastre humanitaire qui y sévit, ainsi que le soutien militaire américain à Israël.
Depuis qu’il a été lancé à l’Université de Columbia il y a une dizaine de jours, le mouvement ne cesse de grossir. Les scènes se suivent et se ressemblent à travers le pays : des étudiants installent des tentes sur leurs campus, certains sont ensuite délogés, souvent manu militari, par des policiers antiémeute, à la demande de la direction des universités, elles-mêmes sous pression. En une dizaine de jours, plusieurs centaines d’étudiants et d’activistes pro-palestiniens ont été interpellés dans une soixantaine d’universités, le plus souvent relâchés sans poursuites en justice.
L’ampleur de la contestation est telle que des comparaisons sont faites avec la mobilisation estudiantine de la fin des années 1960 contre la guerre du Vietnam. L’épicentre du mouvement était également l’Université de Columbia à New York. Et il avait aussi été réprimé par la force.
Un mouvement qui n’est pas près de finir, selon l’analyste Mona Soliman. « Il va se poursuivre sans doute jusqu’à la fin de l’année universitaire », dit-elle. Mais de là à peser sur les décisions politiques de Washington, non. « Les décisions politiques majeures se font en vertu d’un certain nombre d’équilibres entre les républicains et les démocrates d’une part et entre la Maison Blanche, le Congrès et le Sénat de l’autre. Les Etats-Unis restent et resteront l’allié fidèle d’Israël. Cela ne changera pas. Et puis, le lobby juif est très puissant aux Etats-Unis, il ne faut pas l’oublier », rappelle-t-elle. En plus, dit-elle, « la contestation contre la guerre du Vietnam était d’un tout autre ordre puisqu’à l’époque, c’étaient les Etats-Unis qui faisaient la guerre contre ce pays et des soldats américains qui mouraient. Le cas actuel est différent et quand bien même la contagion toucherait d’autres pays, cela ne changerait rien sur le cours de la guerre à Gaza. Rappelons-nous que l’énorme vague de contestation, à travers le monde, en 2003, contre la guerre que voulaient lancer les Etats-Unis contre l’Iraq ne les a pas empêchés d’aller jusqu’au bout de leurs plans. Et cette fois-ci, avec l’obstination israélienne, c’est pire ».
Confusion et récupérations politiques
Malgré cela, les étudiants maintiennent la pression et n’entendent pas quitter les campements. La défense des Palestiniens et de leurs droits est le mot d’ordre. Mais les réclamations vont plus loin. Certes, les manifestants exigent la fin du bain de sang dans le conflit qui a coûté la vie à plus de 34 000 Palestiniens, en grande majorité des civils, mais pas seulement. Les revendications incluent le désinvestissement des entreprises qui « profitent du régime d’apartheid d’Israël, du génocide et de l’occupation en Palestine », comme ils le décrivent, plus de transparence sur les investissements des universités et la rupture des liens entre les institutions universitaires américaines et israéliennes. Cependant, selon le New York Times, jusqu’à présent, les universités américaines ont catégoriquement refusé d’ajuster leurs investissements en réponse à la pression des étudiants, certains de leurs administrateurs organisant des réunions avec les étudiants, mais le message général a été qu’elles ne modifieraient pas grand-chose.
Mais au-delà du mouvement estudiantin et de l’appui à la cause palestinienne, l’affaire vire à la confusion. Confusion dans les revendications et confusion dans les réactions. D’un côté, les manifestations pro-Palestine surpassent le conflit lui-même avec la colère qu’a suscitée la réponse souvent musclée de la police. De l’autre, la récupération politique est au rendez-vous. A l’interne, les accusations d’antisémitisme lancées aux manifestants font face à celles de violations à l’encontre du principe de liberté d’expression. Et la tension est telle que le président américain en personne a évoqué la question. Il a d’abord dénoncé, au début de la crise, un « antisémitisme flagrant » dans les universités américaines, avant de mettre de l’eau dans son vin : « Joe Biden soutient la liberté d’expression, le débat et la non-discrimination », a ensuite affirmé une porte-parole de la Maison Blanche, qui a aussi appelé les manifestations de soutien aux Palestiniens à rester « pacifiques ».
A l’externe, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, n’a pas manqué de sauter sur l’occasion pour dénoncer le « caractère antisémite » des manifestations, appelant à y mettre fin. Aux antipodes de Netanyahu, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a exprimé, jeudi 25 avril, ses « profondes inquiétudes » face à l’agressivité de la police sur les campus américains et à la « répression » qu’il juge « conforme au soutien total de Washington au régime israélien ».
La présidentielle américaine en ligne de mire
Mais le plus important reste que la contagion des manifestations anti-Israël dans les campus jette son ombre sur la campagne électorale. A sept mois de l’élection présidentielle américaine, le mouvement de solidarité avec Gaza a pris une tournure politique. Entre les scandales qui entourent le républicain Donald Trump et la crise ouverte chez les démocrates par le soutien assumé de Biden à Israël et le génocide en cours, l’embrasement universitaire vient rajouter une épine dans le pied du processus électoral. Les Etats-Unis comptent le plus grand nombre de juifs au monde derrière Israël (quelque six millions) et aussi des millions d’Américains arabo-musulmans. Et pour Biden, pris en tenaille entre son soutien inébranlable à Israël et le soutien à la cause palestinienne d’une partie de l’électorat démocrate, le mouvement pourrait être désastreux. Il pourrait en tout cas bien rebattre les cartes de la scène politique américaine pour les prochains mois. « C’est justement là le point le plus important : l’impact de ce mouvement sur la présidentielle de novembre prochain. Biden peut tout à fait perdre une importante base électorale. Ce qui peut lui être nuisible », estime Mona Soliman.
Si Trump est loin de représenter l’image du président qui va défendre les Palestiniens ou condamner les Israéliens, il va sans doute exploiter la situation actuelle pour envoyer un message aux électeurs américains selon lequel son rival ne parvient pas à tenir les commandes comme il faut. Et il l’a déjà fait. « Ce qui se passe au niveau des universités — Columbia, NYU et autres — est une honte. Et c’est à cause de Biden », a-t-il récemment lancé.
Pour l’Administration Biden donc, l’enjeu est multiple et il est de taille : il s’agit d’empêcher une déstabilisation en fin de mandat qui profiterait à Donald Trump. De pousser vers une issue à Gaza pour contenir la colère des manifestants pro-Palestine. Et de ne pas susciter celle du lobby juif ou d’Israël.
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