Des cadavres d’enfants et d’adultes, certains décapités, d’autres mutilés, la plupart exécutés, les mains attachées au dos. Des corps presque méconnaissables, des corps décomposés. Environ 400 cadavres palestiniens ont été découverts dans des fosses communes sur les sites de l’hôpital Al-Nasser à Khan Younès et du complexe médical Al-Chifa dans la ville de Gaza, suite au retrait des forces israéliennes de la zone plus tôt en avril. « Nous avons trouvé trois fosses communes, la première devant la morgue, la deuxième derrière la morgue et la troisième au nord du bâtiment de dialyse », a déclaré Mohammed Al-Meghayyer, responsable de la Défense civile palestinienne à Gaza lors d’une conférence de presse à Rafah. La Défense civile soupçonne qu’au moins 20 civils ont été enterrés vivants dans le complexe.
L’évidence accablante des atrocités perpétrées par Israël à Gaza ne requiert davantage de preuves, ni de témoins, ni de rapports internationaux. Si Israël parvient le plus souvent à échapper aux condamnations lorsque ses forces commettent leurs « crimes » loin des regards, ou les justifie par la fameuse allégation de la présence du Hamas, d’autres fois, suite à des attaques contre des hôpitaux, des églises, des habitations de civils tuant des enfants ou des équipes internationales, le gouvernement radical de Benyamin Netanyahu se borne à des promesses d’enquêtes qui restent invariablement lettre morte. Un schéma qui se répète inlassablement, marqué par « des violations des droits humains » dans l’impunité la plus totale. Israël s’était engagé à mener des enquêtes sur le meurtre de la fillette de six ans Hind, l’assassinat par drone de quatre Palestiniens non armés, l’élimination de journalistes, les frappes aériennes meurtrières dans des zones censées être « sûres », les tirs contre des personnes en quête d’aides humanitaires et sur une série d’autres forfaits perpétrés durant les sept mois de guerre brutale à Gaza. Mais rien.
En attendant une enquête transparente
Aujourd’hui encore, la communauté internationale, y compris le principal soutien d’Israël, les Etats-Unis, réclame une enquête « transparente » suite à la découverte de ces charniers. Encore une fois, une enquête qui serait conduite par les Israéliens eux-mêmes, et non pas une investigation indépendante ! Israël a pourtant rejeté tous ces appels affirmant n’avoir trouvé « aucun acte répréhensible » de ses forces et que ces fosses sont l’oeuvre des Palestiniens.
Il est vrai qu’une partie de ces fosses communes avait été creusée avant l’arrivée des forces israéliennes sur le site de l’hôpital, à Khan Younès, la Défense civile de Gaza l’a reconnu, précisant qu’environ 100 corps seulement avaient été enterrés et non pas les 392 trouvés.
Des Palestiniens avaient enterré les corps de leurs proches tués dans l’enceinte de l’hôpital en janvier, comme mesure temporaire. Mais lorsqu’ils sont revenus après le retrait de l’armée israélienne en avril, ils ont découvert que les corps avaient été déterrés et placés dans des fosses communes, et non pas aux endroits initiaux où ils avaient été enterrés. L’armée israélienne ne nie pas avoir déterré les corps, mais refuse de se prononcer sur les organes manquants, les corps décapités ou les mains attachées au dos.
« De tels sites sont de potentielles scènes de crime qui renferment des preuves médicolégales cruciales et urgentes. Il faut les protéger jusqu’à ce que des experts médicolégaux professionnels disposant des compétences et des ressources nécessaires puissent procéder en toute sécurité à des exhumations adéquates et à l’identification précise des corps », a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice des recherches à Amnesty International. « Assurer la préservation des preuves compte parmi les mesures-clés que la Cour Internationale de Justice (CIJ) a indiqué aux autorités israéliennes, afin de prévenir un génocide ».
Des initiatives, mais …
Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU sur les droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, qui vient de présenter son rapport « Anatomie d’un génocide » aux membres de l’ONU à Genève, a conclu qu’« il existe des motifs raisonnables de croire que le seuil indiquant que des actes de génocide » ont été commis « contre les Palestiniens à Gaza a été atteint ».
Elle cite ce qu’elle dit être l’intention d’Israël de détruire les Palestiniens en tant que groupe « en totalité ou en partie », une clause-clé de la Convention sur le génocide.
En visite en Egypte et en Jordanie cette semaine, après s’être vu refuser l’accès à la bande de Gaza par Israël, Albanese dit que la situation s’est gravement détériorée depuis son rapport, fin mars, et appelle la communauté internationale à « imposer immédiatement des sanctions pétrolières et un embargo sur les armes contre Israël », parce que les Palestiniens ont besoin avant tout d’une « protection d’urgence ». La rapporteuse onusienne a critiqué « l’impunité accordée à Israël », et pointe du doigt la complicité tacite des Etats-Unis et d’autres pays occidentaux, tributaire de leur assistance militaire et de leur soutien indéfectible. « La complicité avec le génocide est un crime en soi en vertu de la Convention sur le génocide », a-t-elle dit au Caire.
Début avril, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a, en effet, demandé un arrêt de toutes les ventes d’armes à Israël, avertissant que « tout transfert d’armes ou de munitions à Israël qui seraient utilisées à Gaza est susceptible de violer le droit international humanitaire et doit cesser immédiatement ».
Des initiatives parlementaires et des actions similaires ont eu lieu partout dans le monde tentant de mettre fin au flux d’armes à destination et en provenance d’Israël. Une récente initiative de l’Irlande et de l’Espagne appelant la Commission européenne à suspendre l’accord UE-Israël a été rejetée par d’autres pays européens désireux de maintenir le soutien absolu du bloc à Tel-Aviv. Même à Washington, des responsables américains de haut niveau ont déclaré ne trouver « ni crédibles, ni fiables » les assurances d’Israël, selon lesquelles son utilisation d’armes fournies par les Etats-Unis à Gaza respecte le droit international humanitaire, selon une note interne du département d’Etat américain vue par Reuters.
Au moins sept bureaux du Département d’Etat américain avaient envoyé leurs évaluations à Antony Blinken, selon Reuters, et quatre d’entre eux indiquaient que les assurances d’Israël n’étaient « ni crédibles, ni fiables ». Ils ont cité huit exemples d’actions militaires israéliennes qui soulèvent de « sérieuses questions » sur de potentielles violations du droit international humanitaire. Il s’agit notamment de frappes répétées contre des sites « protégés » et des infrastructures civiles, de « niveaux élevés de façon inacceptable de dommages causés aux civils par rapport à l’avantage militaire », de la prise de peu de mesures pour enquêter sur les violations ou pour tenir responsables les auteurs de dommages importants causés aux civils et de « meurtres des travailleurs humanitaires et journalistes à un taux sans précédent ».
Selon Reuters, l’évaluation des bureaux a également cité 11 exemples d’actions militaires qui, selon les responsables américains, entravent arbitrairement l’aide humanitaire. Human Rights Watch et Oxfam avaient affirmé que toute assurance israélienne n’est pas « crédible », appelant l’Administration Biden à déclarer une « suspension immédiate » des transferts d’armes. Ils ont publié un rapport conjoint documentant ce qu’ils ont qualifié de « violations flagrantes du droit international humanitaire, privation de services essentiels à la survie de la population civile et déni arbitraire et restrictions de l’aide humanitaire ».
Pourtant, Israël semble voué à persister dans l’impunité que lui confèrent les régimes occidentaux. Le Sénat américain vient d’adopter 13 milliards de dollars d’aide à Israël pour renforcer son bouclier antimissile « Dôme de fer », fournir des armes et des munitions pour les trois corps de l’armée, ou encore pour acheter des systèmes d’armes avancés. Une décision américaine d’imposer des sanctions contre le bataillon Netzah Yehuda, un bataillon de l’armée israélienne impliqué dans de graves violations des droits de l’homme contre les Palestiniens, a été gelée après la colère affichée par les responsables israéliens.
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