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Bénévolat, l’autre combat

Chérine Abdel-Azim , Mercredi, 06 mars 2024

On ne les connaît pas, ils travaillent jour et nuit dans l’anonymat pour venir en aide aux victimes de la guerre à Gaza et alléger leurs souffrances. Ce sont les volontaires du Croissant-Rouge égyptien. Retour sur leur parcours.

Bénévolat,
7 000 repas par jour seront livrés durant le Ramadan.

A Al-Arich, dans le gouvernorat du Nord-Sinaï, ils forment un bataillon de combat toujours prêt à s’engager. Ces jeunes en uniforme sont les seuls autorisés à traverser les frontières et à distribuer les aides humanitaires aux Gazaouis. Mais comment vivent-ils cette expérience ? « Mes priorités dans la vie ont complètement changé durant cette mission, qui a commencé le 15 octobre. J’ai trouvé que mes besoins n’ont pas d’importance par rapport aux besoins des gens que j’avais côtoyés là-bas », affirme Ahmad Magdi. Il raconte qu’il a été touché notamment par les enfants qui souhaitaient simplement jouer sans entendre le bruit des bombes et des missiles. « A chaque fois qu’on se rendait au camp de Khan Younès, les enfants ne voulaient pas qu’on quitte les lieux. Ils nous attendent impatiemment et nous connaissent maintenant chacun par son nom », affirme Ahmad. Il ajoute que ces enfants auront sans doute besoin d’un traitement psychologique après la fin de la guerre, car d’après lui, certains d’entre eux tremblent de manière anormale en jouant, d’autres sont pris de panique en entendant le bruit des explosions. « Certains de ces enfants alertent leur entourage en cas d’attaque israélienne près de Khan Younès », ajoute Ahmad. Ce dernier, qui n’a pas vu ses parents depuis des semaines, refuse de prendre congé pour ne pas rater la chance de visiter les enfants de Khan Younès.

Moustapha Fekri, ingénieur et volontaire au Croissant-Rouge égyptien depuis 2015, raconte sans regret qu’il a raté quatre interviews d’embauche dans de grandes compagnies car il refuse de rentrer au Caire et de laisser son travail de volontaire. « Je suis arrivé ici le 13 octobre, je faisais partie de la première équipe à Al-Arich. On a commencé à organiser le travail. Au début, les camions chargés d’aides entraient en Palestine sans être fouillés. Mais les Israéliens ont exigé que les camions changent de chemin et passent par Al-Oga et Karm Abou-Salem avant d’entrer en Palestine », explique Moustapha. Et d’ajouter : « Durant les premiers jours, nous faisions nous tous le travail : les chauffeurs, les employés, les ouvriers et les volontaires, en coordination avec la branche du Croissant-Rouge égyptien à Al-Arich. Nous avions pour mission de répertorier les aides et les ranger par ordre d’importance. Les médicaments devaient entrer en priorité, suivis de la nourriture et ensuite de l’eau. La première fois que j’ai vu des Israéliens face à face, j’ai été dégoûté, mais étant donné que je porte l’uniforme du Croissant-Rouge égyptien, je devais être neutre et je n’étais pas autorisé à parler de politique, mais quand même nous sommes des êtres humains ».

Distribuer l’aide

Moustapha a été chargé de plusieurs tâches. Au départ, il y a la préparation et la distribution des boîtes d’aliments. Il faut ensuite scanner le code QR des aides, puis organiser le mouvement des chauffeurs et les rembourser. « La mission qui me tient le plus à coeur était quand je suis allé à Khan Younès pour distribuer l’aide. La situation était catastrophique et j’ai rencontré des gens qui me demandaient de leur chercher des médicaments contre des sommes d’argent, mais bien sûr j’ai refusé. J’ai averti mon chef pour qu’il leur apporte gratuitement des médicaments lors de la prochaine visite, que ce soit du Croissant-Rouge égyptien ou à ses propres frais. J’ai rencontré d’autres personnes qui étaient mécontentes du Hamas. Elles disaient que les membres du mouvement avaient une vie stable, avec leurs maisons, leurs familles et leurs voitures, alors qu’elles vivent comme des réfugiés sans abri, sans nourriture, avec un seul vêtement, les pieds nus et qu’elles ne savent pas quand elles pourront reprendre leur vie normale », affirme Moustapha, interrompu par un autre volontaire qui a requis l’anonymat. Celui-ci souligne que la plus grande ambition des enfants palestiniens, c’est d’avoir un morceau de chocolat et une paire de pantoufles. « A chaque fois qu’ils entrent à Khan Younès, les volontaires du Croissant-Rouge organisent des compétitions pour les enfants afin de les divertir. Parfois, on joue avec eux des matchs de football », explique-t-il.


Un volontaire du Croissant-Rouge racontant un conte aux enfants de Khan Younès.(Photo : Chérine Abdel-Azim)

Ce volontaire anonyme a caché à ses parents qu’il se rendait à Khan Younès car à chaque fois que ces derniers l’appelaient, ils lui demandaient de rester à Al- Arich et de ne pas partir de l’autre côté de la frontière. « Mes parents ne savent pas que nous les volontaires, nous nous disputons car chacun veut aller à Khan Younès », raconte-t-il. Il affirme qu’à cause de ce petit mensonge, il préfère rester à Al-Arich et ne pas prendre de congés pour ne pas affronter ses parents.

« Je sais qu’ils ont raison. Durant l’un de nos déplacements, les Israéliens ont tiré des balles tout près de nous. J’aurais pu être blessé, mais grâce à Dieu nous sommes rentrés saints et saufs en Egypte. Nous avons appris des Palestiniens à ne rien jeter. Même les objets qui nous paraissent inutiles peuvent être recyclés, comme les boîtes vides. Nous, nous les ramassons pour les jeter mais les Gazaouis, eux, se disputaient pour les prendre ».

Les filles aussi

Le Croissant-Rouge égyptien ne compte pas que des hommes, il y a aussi des femmes. Darine Mahmoud Ahmed, 24 ans, est volontaire de l’organisation humanitaire depuis le début des événements de Gaza ; elle voulait avoir un rôle à jouer pour venir en aide aux Palestiniens en détresse. « Je voulais faire n’importe quoi pour aider les Gazaouis et réduire leurs souffrances. J’avais entendu parler du Croissant-Rouge égyptien et j’en ai parlé à mes parents qui m’ont encouragée à devenir bénévole. Et voilà, je suis bénévole depuis quelques mois », dit-elle, très fière de cette décision. Darine explique qu’au début, elle était chargée d’accueillir les blessés au port de Rafah. « Ce n’était pas facile du tout de voir les blessés, surtout quand il s’agissait d’enfants qui ont perdu une partie de leur corps. J’ai vu une mère désespérée en pleurs car son fils avait une blessure grave à la colonne vertébrale. Vraiment la guerre est la chose la plus abominable qui puisse arriver au monde », affirme-t-elle.

Darine reconnaît qu’elle a beaucoup changé après cette expérience et qu’elle s’est rendu compte que sa vie n’avait aucune valeur avant son adhésion au Croissant-Rouge, alors que maintenant elle est devenue un membre efficace dans un système très bien organisé. « Mon travail à présent consiste à entrer les données relatives aux aides sur ordinateur. J’aimerais qu’on me choisisse parmi les personnes qui traversent les frontières et se rendent à Khan Younès car jusqu’à présent, cette tâche est limitée aux hommes », affirme Darine.


Ici, on travaille d’arrache-pied pour préparer les repas avant le Ramadan. (Photo : Chérine Abdel-Azim)

Hicham Mohamad, volontaire qui vient d’Ismaïliya, a été « très touché » par sa première visite à Khan Younès. « La situation est bien plus grave que ce que l’on voit sur les écrans de télévision ou les réseaux sociaux. Les gens là-bas sont pieds nus, certaines personnes n’ont pour unique vêtement qu’un t-shirt car elles ont fui la guerre sans pouvoir prendre leurs vêtements. Le nombre de personnes déplacées augmente quotidiennement. En revanche, les aides ont de plus en plus de mal à entrer en territoire palestinien. Outre les aides qu’on distribue aux citoyens palestiniens au nom du Croissant-Rouge égyptien, on ramasse de l’argent entre nous et on achète du chocolat pour le distribuer aux enfants », assure Hicham.

Hicham travaille à présent dans la salle d’opérations où il saisit les données relatives aux missions du Croissant- Rouge égyptien à Al-Arich. « Mais j’aimerais, comme mes collègues, retourner à Khan Younès », dit-il. A peine avait-il terminé sa phrase qu’une nouvelle a commencé à circuler, selon laquelle une des volontaires du Croissant-Rouge a été transférée à l’hôpital public d’Al-Arich après une baisse de la tension artérielle, car elle n’avait pas mangé toute la journée alors qu’elle était chargée de rester avec les blessés à l’hôpital de Cheikh Zowayed.

Les jeunes du Croissant- Rouge égyptien ont choisi de prendre la responsabilité d’aider le peuple palestinien et ils sont à la hauteur de cette responsabilité. Le Haut-Conseil des tribus palestiniennes a publié vendredi un communiqué remerciant l’Egypte pour ses efforts et soulignant le travail remarquable du Croissant-Rouge égyptien.

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