Emad Gad : On n’a pas de bilans documentés sur les pertes militaires réelles des deux côtés. Le Hamas et les factions palestiniennes diffusent des vidéos et publient des communiqués sur les pertes qu’ils infligent à Israël. Ce genre de pertes n’affecte pas grandement l’armée israélienne. D’abord parce que les chars détruits par le Hamas sont fabriqués localement et en grand nombre, ensuite parce que les aides militaires américaines à Israël sont très importantes. 14 milliards de dollars ont été alloués à Tel-Aviv par Washington en novembre dernier. Une somme à même de compenser largement les pertes militaires israéliennes.
— Mais certains estiment que le fait que le Hamas résiste jusqu’à maintenant est en soi une sorte de victoire …
— La victoire n’est pas déterminée par la poursuite de la guerre, mais par les résultats concrets sur le terrain. Le Hamas vit dans des tunnels de 60 m de profondeur. Personne ne connaît à quoi s’élèvent ses pertes. Il est difficile de parler de victoire quand on voit le nombre de morts et de blessés et l’ampleur des destructions. Plusieurs analystes militaires jugent que cette guerre est la pire qu’ait connue la bande de Gaza. Des familles entières ont disparu, on approche de 30 000 morts, 90 % du territoire sont détruits, plus de 85 % de la population ont été obligés de se déplacer. Gaza est devenue une région inhabitable. La reconstruction nécessite 50 milliards de dollars. Sans compter l’impact psychologique sur les Gazaouis, ce sont eux qui payent le prix de la guerre.
— Jusqu’à présent, Israël n’a pas atteint les objectifs qu’il s’est fixés. Jusqu’où peut-il aller ?
— Malgré les appels à un cessez-le-feu, Israël persiste et signe. Ni la communauté internationale ni les organisations internationales n’exercent une vraie pression sur Israël pour qu’il arrête ses crimes. Déjà, depuis l’instauration du blocus contre l’enclave en 2007, elles ne sont pas parvenues à l’alléger. Elles n’ont pas non plus pu arrêter la construction de colonies dans les territoires occupés bien qu’elles soient illégales au regard du droit international.
D’autre part, ni les attaques du Hezbollah, qui ne causent pas d’importantes pertes à Israël, ni celles des Houthis, qui n’atteignent pas le territoire israélien, ne vont arrêter Israël. Israël va jusqu’au bout de sa logique de guerre tant que cette guerre sert ses intérêts.
— Il existe des différends au sein du gouvernement israélien au sujet de la guerre. Comment ces différends influencent-ils son cours ?
— Les différends existaient déjà avant la guerre. Depuis la formation par Netanyahu, en décembre 2022, du gouvernement le plus extrémiste de l’histoire d’Israël grâce à une coalition composée de partis d’extrême droite et ultra-religieux, ce gouvernement a fait face à plusieurs crises. La guerre a augmenté les divergences. Netanyahu sera jugé dès la fin de la guerre. C’est pourquoi il ne veut pas la finir avant de réaliser ses promesses.
— Dans ces conditions, comment peut finir cette guerre et quel sera l’avenir de Gaza ?
— Actuellement, les pressions s’intensifient sur les deux parties pour accepter les médiations égyptienne et qatarie. Tôt ou tard, on ira vers l’instauration d’un cessez-le-feu durable et la formation d’un gouvernement palestinien intérimaire fait de technocrates qui sera chargé de diriger Gaza pendant une période de transition. La reconstruction, financée par la communauté internationale, commencera dès le lendemain de l’arrêt de la guerre sous surveillance onusienne.
— Mais est-il presque impossible d’envisager l’avenir de la bande de gaza sans la présence du Hamas ? Comment cela peut-il se faire ? Y aura-t-il des compromis ?
— Le Qatar vient de proposer une nouvelle initiative basée sur le compromis juste. Elle a été refusée par le Hamas et certaines factions. Mais des modifications y ont été faites et elle sera réexaminée. Cette proposition repose essentiellement sur trois points : les otages seront libérés en échange d’un bon nombre de prisonniers palestiniens : tous les chefs militaires du Hamas, du Jihad islamique et des factions palestiniennes vont sortir de Gaza et vont vivre au Qatar avec la garantie de leur protection ; ces groupes pourront se transformer en partis politiques qui auront le droit de se présenter aux élections.
La guerre en chiffres
23 968 personnes ont été tuées, dont 12 345 enfants et 6 471 femmes, et 60 582 autres ont été blessées (jusqu’au dimanche 14 janvier), selon le ministre de la Santé à Gaza.
Au moins 82 journalistes et professionnels des médias ont été tués, selon le Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ).
1 Palestinien sur 20 dans la bande de Gaza est un martyr, blessé ou disparu.
337 membres du personnel de santé ont été tués et 99 autres arrêtés.
132 employés des agences de l’ONU ont été tués.
150 établissements de santé ont été pris pour cible.
30 hôpitaux et 53 centres médicaux ont été mis hors service.
121 ambulances ont été détruites.
400 écoles ont été détruites et 70 % de tous les bâtiments scolaires auraient été endommagés.
Entre 48 et 60 % des bâtiments de l’enclave auraient été endommagés ou détruits.
1,9 million de personnes, soit près de 85 % de la population, ont dû quitter leur logement.
1,3 million de personnes ont été déplacées à la ville de Rafah, qui comptait environ 300 000 habitants.
Une seule toilette par tranche de 486 personnes, dans les camps à Rafah.
Plus d’un demi-million de personnes sont en situation de famine dans la bande de Gaza.
Un demi-million de Gazaouis ne savent pas où rentrer à la fin du conflit en raison des destructions.