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Moyen-Orient : Des conflits aux dimensions multiples

Racha Darwich , Mercredi, 03 janvier 2024

Les conflits armés au Moyen-Orient sont d’une grande complexité, ce qui rend leur règlement quasi impossible. Décryptage.

Moyen-Orient : Des conflits aux dimensions multiples
(Photo : Reuters)

Le Moyen-Orient souffre, depuis des années, de conflits armés qui l’ont rendu l’une des régions les plus instables du monde. Alors que certains pays connaissent des guerres civiles et sont quasiment divisés en deux comme le Soudan, la Libye et le Yémen, d’autres voient des milices armées disputer à l’Etat légitime le droit de monopoliser le port d’armes comme au Liban, en Iraq et en Syrie. D’autre part, le Moyen-Orient connaît depuis le siècle dernier l’une des plus grandes tentatives de séparation ethnique avec les Kurdes qui veulent se créer leur propre Etat, le Grand Kurdistan, en séparant des parties de l’Iraq, de la Syrie, de la Turquie et de l’Iran. N’oublions pas le conflit israélo-palestinien qui connaît depuis le 7 octobre une escalade sans précédent et qui a des retombées sur de nombreux autres conflits dans la région.

Soudan, Libye, Yémen : la guerre civile

Le Soudan est actuellement l’exemple le plus flagrant de guerre civile. Le conflit a éclaté le 15 avril 2023 entre l’armée soudanaise officielle dirigée par Abdel-Fattah Al-Burhan d’une part et les Forces de Soutien Rapide (FSR) dirigées par le général Daglo (Hemeti) d’autre part. Au cours de toute cette période, aucune partie n’a réussi à prendre le dessus, bien que les FSR aient réussi à s’emparer de larges territoires. Grâce à une médiation de l’Union africaine et de l’Arabie saoudite, Burhan et Hemeti devraient se rencontrer à Djibouti en janvier. Mais chaque partie tente, jusqu’à la tenue de ces négociations, de réaliser le maximum d’acquis afin d’être en position de force lors des négociations. D’où l’escalade des combats ces derniers jours. « Si ces négociations réussissent, un cessez-le feu pourrait être instauré au Soudan pour la première fois depuis le déclenchement de ce conflit armé qui a fait des milliers de morts », explique Dr Mona Soliman, chercheuse en affaires internationales à la faculté de sciences politiques de l’Université du Caire. Elle estime, cependant, que ce scénario est peu probable.

La Libye est quasiment divisée en deux camps avec deux armées, deux gouvernements et des forces étrangères qui soutiennent chaque partie. Le camp de l’est à Benghazi est dirigé par le maréchal Khalifa Haftar et possède l’armée libyenne. Le camp de l’ouest siège à Tripoli et est formé de plusieurs milices dirigées par le chef du gouvernement de Tripoli, Abdelhamid Dbeibah. Celui-ci était le chef du gouvernement d’unité nationale élu par l’ONU en février 2021 pour une année au cours de laquelle des élections devaient être organisées. Mais rien n’a été fait à cause de l’absence d’une Constitution libyenne. En 2023, les affrontements directs entre l’est et l’ouest se sont quasiment interrompus mais on a vu apparaître des affrontements entre les milices de l’ouest en raison de luttes de pouvoir et de retard du versement des soldes. « En 2024, sans une véritable pression de la communauté internationale pour obliger Dbeibah à organiser des élections présidentielle et parlementaires, la situation en Libye restera inchangée », souligne Soliman.

Au Yémen, une grave évolution est survenue ces dernières semaines car les milices houthies ont commencé à menacer la navigation en mer Rouge et dans le détroit de Bab El-Mandab par lequel passent 14 % du commerce international. Le conflit au Yémen a commencé en 2014 quand les milices houthies pro-iraniennes basées au nord du pays se sont emparées de la capitale Sanaa et de larges parties du pays. Le gouvernement et l’armée yéménites légitimes qui jouissent de la reconnaissance internationale siègent depuis au sud, à Eden. Le conflit entre les deux parties a connu de multiples péripéties avec des trêves obtenues grâce à des médiations saoudiennes ou onusiennes et à de nombreuses négociations qui n’ont abouti à rien. Actuellement, les Etats-Unis ont créé une alliance avec près de 20 pays et ont commencé à envoyer des porte-avions et des bâtiments militaires au Yémen. « Est-ce le prélude à une attaque militaire américaine contre les Houthis au Yémen en 2024 ? Ceci est tout à fait probable si les Houthis continuent à menacer la navigation », affirme Mona Soliman.

Milices armées au sein de l’Etat

Dans plusieurs pays du Moyen-Orient, des milices menacent les armées régulières légitimes. La plus puissante milice est certes le Hezbollah libanais qui mène des frappes contre Israël, menaçant ainsi de transformer la guerre menée par ce dernier à Gaza en un conflit régional. Un fait qui place l’armée libanaise, bien plus faible que le Hezbollah, dans une situation critique car elle doit choisir entre le soutien au Hezbollah contre Israël ou une position neutre pour éviter qu’Israël ne frappe l’Etat libanais.

Le Hezbollah est présent en Syrie où se trouvent différentes milices armées. Au nord, se trouve l’Armée syrienne libre (ASL). Formée d’anciens officiers de l’armée syrienne et jouissant du soutien de la Turquie, elle détient près de 10 % des terres syriennes au nord et constitue la principale opposition au gouvernement de Bachar Al-Assad. Les groupes islamistes d’Idleb comprennent plus de 60 000 éléments armés et sont majoritairement pro-turcs, alors que les milices chiites iraniennes qui se trouvent à Damas soutiennent le gouvernement syrien d’Al-Assad. « En 2023, la Syrie a continué à souffrir de la présence de toutes ces milices et de l’incapacité de l’armée officielle à imposer sa domination sur la totalité du territoire syrien. Cependant, la Syrie a réussi à réintégrer la communauté arabe et la Ligue arabe en 2023. En 2024, il est probable que la situation reste inchangée et il semble que l’on se dirige vers le statu quo », explique Soliman.

 En Iraq, les milices chiites pro-iraniennes sont apparues en 2005 et ont consolidé leur présence en 2014 sous prétexte de combattre Daech. La plus importante de ces milices est celle des Unités de mobilisation populaire qui a été intégrée aux forces armées et qu’il est devenu difficile de séparer. Il y a aussi les milices chiites d’Al-Sadr qui sont hostiles aux Unités de mobilisation populaire. « La situation en Iraq se dirige vers la stabilité et l’ouverture sur les pays arabes, notamment les pays du Golfe. Mais il s’agit d’une stabilité fragile car l’Iraq n’est pas encore parvenu à une solution politique qui satisfait toutes les parties », explique Soliman.

Un avis partagé par Dr Gamal Abdel-Gawad, politologue, qui explique, dans une étude publiée par le Centre des Etudes politiques et stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, qu’il est peu probable que les conflits armés dans la région trouvent une solution dans un avenir proche, mais que la situation tend à se calmer. « En Syrie, en Libye, au Yémen, comme en Iraq et au Liban, le fossé politique entre les belligérants est énorme. Ni l’opposition et le régime syrien, ni les parties en conflit en Libye et au Yémen ne semblent plus proches aujourd’hui qu’ils ne l’étaient au début du conflit. Cependant, les longues années de conflit les ont épuisés et ont clairement montré qu’aucune partie ne peut effacer l’autre et lui infliger une défaite écrasante. Par conséquent, les chances d’une solution militaire, comme les chances d’une solution politique, semblent très limitées car les positions des différentes parties, ainsi que les solutions politiques proposées sont loin d’apporter un compromis », prédit Dr Gamal Abdel-Gawad.

Les Kurdes veulent leur indépendance

Enfin, l’Iraq, la Turquie, l’Iran et la Syrie connaissent des conflits armés à cause d’un groupe ethnique qui cherche l’indépendance. En effet, les Kurdes répartis dans une région à cheval entre ces quatre pays attendent d’obtenir leur propre Etat depuis la signature en 1920 du Traité de Sèvres, à l’issue de la Première Guerre mondiale. Depuis cette date, les Kurdes combattent pour créer leur Etat. Dans chaque pays, leur position est différente. En Iraq, ils jouissent d’une autonomie dans le Kurdistan. Ils ont un semblant d’armée, un gouvernement indépendant et des relations étrangères avec différents pays du monde. Ils possèdent un soi-disant Etat depuis 1993. En Syrie, ils possèdent une autonomie depuis 2014 où ils ont formé des unités armées et ont commencé à combattre Daech et à obtenir le soutien des Etats-Unis. En Turquie et en Iran, leur position est différente. Ils possèdent des partis politiques qui accèdent parfois aux parlements et qui jouissent d’une reconnaissance populaire mais ils ont aussi des milices armées considérées comme organisations terroristes comme le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Turquie et le Parti pour une vie libre au Kurdistan (PJAK) en Iran. Pour combattre les rebelles du PKK, la Turquie et l’Iran bombardent certaines régions de l’Iraq et de la Syrie sous prétexte de vouloir préserver leur sécurité nationale. « Ces actes représentent une violation de la souveraineté de l’Iraq et de la Syrie, ainsi qu’une violation de la loi internationale », conclut Mona Soliman.

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